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"Actifs naturels : impossible de dissocier ces investissements de leur impact environnemental"

Arnaud Filhol, co-fondateur et Directeur Général de France Valley, revient sur le développement de cette société de gestion spécialisée dans les actifs naturels, un domaine en plein essor. Entre forêts, vignobles et bientôt terres agricoles, France Valley veut s'imposer sur un marché où les attentes des investisseurs rencontrent les défis de durabilité. Dans cet entretien, il partage sa vision sur l’intégration des enjeux environnementaux dans la gestion d’actifs et détaille les pratiques mises en place pour répondre aux attentes croissantes autour de la biodiversité et de l’impact environnemental.

Pourquoi avoir lancé une entreprise spécialisée dans la gestion d’actifs naturels ?

La création de notre société repose sur une observation : en France, aucun opérateur ne s’était vraiment spécialisé dans les actifs naturels en appliquant les meilleures pratiques de gestion d’actifs. Cela inclut des processus rigoureux, des reportings précis, et des outils adaptés aux attentes des investisseurs, qu’ils soient particuliers ou institutionnels.

L’idée était donc de faire entrer les actifs naturels dans l’univers de l’épargne et de la gestion d’actifs. Nous avons débuté avec la forêt, puis élargi nos investissements au secteur viticole, notamment en Champagne.

Lorsqu’on parle d’actifs naturels, il est presque impossible de dissocier ces investissements de leur impact environnemental global

En parallèle, chez France Valley, nous avons une autre activité : la gestion de fonds de fonds immobiliers, destinée exclusivement à une clientèle institutionnelle. Ces fonds n’ont pas nécessairement une vocation durable ; il s’agit principalement d’investissements financiers reposant sur des actifs indirectement immobiliers. Au total, nous gérons 4,5 milliards d’euros d’actifs, dont 1 milliard dans la forêt et 50 millions dans les domaines viticoles en Champagne.

Quelle place occupe la durabilité dans vos stratégies d’investissement ?

Lorsqu’on parle d’actifs naturels, il est presque impossible de dissocier ces investissements de leur impact environnemental global. Très clairement, la durabilité est une attente forte de nos investisseurs, mais aussi une valeur qui nous anime en interne.

En ce qui concerne nos forêts, nous cherchons à améliorer leur capacité d’accueil et d’investissement. Nous collaborons avec une cinquantaine d’experts forestiers pour identifier et mettre en œuvre les meilleures pratiques afin de renforcer la biodiversité. Nous avons élaboré une charte de gestion forestière que tous nos gestionnaires doivent respecter. Cette charte impose des lignes directrices strictes, comme la mise en place de cloisonnements pour limiter le tassement des sols causé par les engins. Ce tassement peut prendre des siècles à se résorber.

Pour chaque acquisition forestière, nous établissons une grille de notation de la gestion en place et fixons des objectifs à atteindre

Lors des exploitations forestières, nous laissons systématiquement les rémanents, c’est-à-dire les branches, sur place afin qu’ils enrichissent les sols. Nous veillons également à conserver des arbres morts sur pied ou au sol, des arbres à cavités et d’autres spécimens présentant un intérêt écologique, afin de soutenir la biodiversité.

Pour chaque acquisition forestière, nous établissons une grille de notation de la gestion en place et fixons des objectifs à atteindre. Cette gestion alternative permet de progresser sur des critères liés à la biodiversité, au carbone, mais aussi aux aspects sociaux. Ces pratiques répondent pleinement aux attentes de nos investisseurs.

À partir de 2025, vous lancerez un fonds dédié aux terres agricoles en France. Quels outils prévoyez-vous pour accompagner ce secteur ?

Sur la partie viticole, nos actions visent à permettre aux exploitants, qui ne sont pas propriétaires des terres, de continuer à les cultiver après la vente par le propriétaire initial.

En matière environnementale, nos exigences pour le viticole sont un peu moins strictes que pour les forêts, mais nous demandons systématiquement que les viticulteurs soient certifiés HVE (Haute Valeur Environnementale) ou Viticulture Durable en Champagne, ou qu’ils soient en cours de certification.

Pour les terres agricoles, notre objectif principal est de favoriser l’installation d’exploitants, tout en imposant des critères environnementaux plus stricts qu’en viticulture.

On parle souvent plus du climat que de la biodiversité. Pourtant, l’urgence est aussi là, non ?

Je ne partage pas ce constat. Les discussions que nous avons avec les investisseurs institutionnels montrent un intérêt croissant pour la biodiversité, parfois même supérieur à celui pour les questions climatiques.

Les opérateurs financiers ont compris qu’une approche durable nécessite une vision holistique. Focaliser sur un seul impact, comme le carbone, pourrait nuire à d’autres éléments fondamentaux d’un écosystème.

Parvenez-vous à concilier performances financières et extra-financières ?

Oui, et cela se reflète dans nos résultats. Nous gérons actuellement un milliard d’euros d’actifs forestiers, avec environ 200 millions d’euros de capitaux levés chaque année auprès d’investisseurs privés et institutionnels.

Même si cela reste modeste à l’échelle de la gestion d’actifs globale, notre progression sur les actifs naturels est forte. Nous avons réussi à allier des exigences environnementales impliquant des sacrifices économiques à court terme avec une vision de long terme.

Par exemple, notre principal fonds forestier, capitalisé à 600 millions d’euros, affiche une performance annuelle de 4 à 6 % ces dernières années. Cela reflète l’appréciation de la valeur des actifs sous-jacents. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, une gestion durable, comme le couvert continu, peut augmenter la valeur d’une forêt.

Certes, nous renonçons à des revenus immédiats en évitant les coupes rases, qui permettent de dégager rapidement des volumes importants. Nous privilégions des prélèvements progressifs sur plusieurs décennies. Ce choix ralentit les revenus à court terme, mais il s’avère plus avantageux à long terme, tant pour la forêt que pour les investisseurs.