Reclaim Finance met régulièrement en lumière l’écart entre les promesses et la réalité de l’engagement de certains actionnaires. Le constat est-il si sombre?
La plupart des sociétés de gestion mettent en avant leur engagement actionnarial, notamment pour justifier qu’elles ne désinvestissent pas. Mais il faut être très vigilant face à ces affirmations qui cachent une très grande hétérogénéité de pratiques. Il y a souvent un manque considérable de transparence sur les actions réalisées, et encore trop de politiques de vote et de dialogue floues. Certains investisseurs se contentent de faire quelques rendez-vous par an pour dialoguer avec des entreprises, quand d’autres sont plus proactifs, et n’hésitent pas à monter au créneau en multipliant les actions ciblant ces entreprises, comme le dépôt de résolutions actionnariales ou le vote contre le management en assemblée générale. Pour être crédibles, les investisseurs doivent prévoir une stratégie d’escalade systématique. Concrètement, si l’entreprise ne répond pas à des demandes précises dans un laps de temps défini à l’avance, des actions d’intensité croissante doivent être mises en œuvre régulièrement. Sinon, l’engagement se transforme en dialogue interminable et infructueux.
S’il est bien mené, le dialogue est-il un outil suffisant pour que les actionnaires fassent changer les choses?
Reclaim Finance travaille beaucoup sur le secteur pétro-gazier, l’un de ceux les plus engagés par la communauté des investisseurs. Sur ce secteur, en plus du dialogue bilatéral privé, on dénombre plusieurs dépôts de résolutions actionnariales climatiques en assemblée générale. Toutefois, les pratiques actuelles d’engagement échouent à faire changer les choses. Les entreprises pétro-gazières continuent de développer de nouveaux projets fossiles, alors même que l’on sait cette expansion incompatible avec le maintien du réchauffement planétaire à 1,5°C. Plusieurs investisseurs ont ainsi annoncé récemment renforcer leur engagement actionnarial avec ce secteur. Cette année, un groupe de 16 investisseurs coordonné par Ofi Invest Asset Management a par exemple envoyé une lettre publique à six entreprises pétro-gazières pour leur demander d’arrêter l’expansion fossile et indiquer qu’ils voteront contre la réélection des présidents des conseils d’administration. D’autres choisissent plutôt de désinvestir totalement du secteur pétro-gazier, après plusieurs années d’engagement. C’est le cas du fonds de dotation de l’Église d’Angleterre, The Church Commissioners for England, ou encore du fonds de pension néerlandais PFZW.
Nous invitons les actionnaires à utiliser les votes stratégiques, par exemple sur la réélection des membres du conseil d’administration, la rémunération des dirigeants, l’approbation des comptes financiers ou des dividendes pour exprimer leur opposition".
Quid du “Say on climate” ? Ce levier est-il efficace ?
Sur le papier, le "Say on climate" est intéressant car il permet aux actionnaires de s’exprimer sur les pratiques climatiques d’une entreprise. Dans la pratique, il s’agit plutôt d’un outil de greenwashing pour les entreprises, qui obtiennent des scores largement positifs malgré des stratégies peu ambitieuses. Nous avons également constaté l’incohérence de certaines sociétés de gestion, comme lors de l’assemblée générale 2023 de TotalEnergies. Amundi et BNP Paribas Asset Management avaient voté pour une résolution climatique actionnariale demandant à TotalEnergies d’aligner ses objectifs de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre indirectes avec l’accord de Paris d’ici 2030, mais aussi pour le "Say on climate", alors que la stratégie de l’entreprise est très insuffisante, et loin d’être alignée sur les objectifs de l’accord de Paris.
Au-delà du dialogue, de la résolution climatique ou du désinvestissement, quelles solutions pour faire bouger les lignes ?
Notre vision, c’est qu’il faut utiliser tous les outils à disposition des actionnaires avant de désinvestir. Nous appelons les investisseurs à utiliser de nouveaux leviers d’actions, comme le fait de suspendre les nouveaux investissements, donc de refuser d’acheter de nouvelles actions ou de nouvelles obligations de ces entreprises. Une autre piste qu’il faut renforcer est le vote en assemblée générale, au-delà des votes sur les résolutions climatiques actionnariales et le "Say on climate". Nous invitons les actionnaires à utiliser les votes stratégiques, par exemple sur la réélection des membres du conseil d’administration, la rémunération des dirigeants, l’approbation des comptes financiers ou des dividendes pour exprimer leur opposition. Le raisonnement est un peu différent pour chaque type de vote, mais par exemple pour la réélection des administrateurs ou la rémunération des dirigeants, l’idée est de tenir ces individus responsables de la stratégie climatique inadéquate de l’entreprise et de l’exprimer par le vote. Cela a un potentiel d’influence important car les résolutions climatiques actionnariales et les "Say on climate" sont souvent consultatifs, alors que s’opposer à la réélection d’un administrateur, c’est avoir un effet direct sur la gouvernance de l’entreprise.
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