Michèle Pappalardo, présidente du comité du label ISR.
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Finance durable

Michèle Pappalardo : le label ISR “n’est pas un label vert, ni un label climat”

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Le comité du label ISR a présenté en avril une proposition de nouveau référentiel. Alors qu’une consultation est ouverte jusqu’au 31 mai, Michèle Pappalardo, présidente du comité, revient sur les principaux apports de ce nouvel opus mais aussi sur les points de blocage. Entretien. 

Quels sont les principaux apports du nouveau référentiel ? 

Tout en préservant les caractéristiques d’origine du label, notre proposition de nouveau référentiel est construite autour de trois grandes évolutions : 

Une plus grande exigence à tous les niveaux. Cela repose souvent sur des éléments techniques mais qui ont des conséquences majeures dans la manière dont les fonds devront sélectionner leurs investissements, puis devront les faire évoluer. Par exemple, le taux de sélectivité par rapport à l’univers d’investissement initial passe de 20% à 30%. En outre, les prescriptions de méthodes sont beaucoup plus précises, notamment en matière de gestion des controverses, d’engagement actionnarial ou de vote. La version actuelle du référentiel repose essentiellement sur des objectifs de transparence pour ces sujets ; désormais nous voulons aussi des objectifs de résultats, par exemple avec l’exigence de voter à 90% des AG. 

L’intégration de la double matérialité. Cette évolution est très structurante. Jusqu’à présent, nous avions pour objectif de réduire les conséquences financières sur les portefeuilles des fonds des problématiques environnementales, sociales et de gouvernance des entreprises dans lesquels ils ont investi. Nous souhaitons désormais que les gestionnaires d’actifs prennent aussi en compte les conséquences de leurs investissements dans ces entreprises dans le domaine de l’environnement, des questions sociales et de gouvernance. La nouvelle version du référentiel prévoit en effet que chaque fonds labellisé identifie, pour chacun de ses investissements, les principaux effets négatifs dans les domaines E, S et G, ce qui lui permettra de mesurer, par agrégation, ses effets sur chacun de ces 3 domaines, et donc de mettre en place des mesures cohérentes avec ses objectifs extra-financiers... 

La prise en compte systématique du climat. Comme je le disais, bien que le label soit un label généraliste, il nous a paru nécessaire de veiller à ce que la dimension “climat” soit systématiquement prise en compte. Plusieurs éléments y participent. Tout d’abord, compte tenu de ce que j’explique au point précédent concernant les indicateurs de double matérialité, nous aurons la connaissance des émissions de gaz à effet de serre de chaque fonds, ce qui permettra, de suivre l’évolution de ces émissions et de comparer les fonds. Ensuite, contrairement au référentiel actuel, nous proposons des exclusions, en particulier pour les investissements dans les entreprises ayant des activités dans le charbon ou dans les énergies fossiles non conventionnelles. En pratique, cela concerne aujourd’hui tous les grands groupes pétroliers. Enfin, nous souhaitons que les fonds accompagnent la transition des entreprises, qui produisent des fossiles conventionnels ou dont les produits reposent sur la consommation d’énergies fossiles, dans la réduction de leur offre ou de leur demande d’énergie. Ces entreprises des secteurs à forts enjeux climatiques devront avoir une stratégie et une trajectoire en phase avec l’accord de Paris (limitation de l’augmentation de la température à 1,5C), c’est-à-dire réduire progressivement mais drastiquement leur offre ou leur consommation d’énergie fossile.  

La proposition de nouveau référentiel met l'accent sur le caractère généraliste du label. Pourquoi insister sur ce point ? 

C’est un point important que je rappelle souvent pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté car je vois que ce n’est pas encore toujours bien compris. Depuis sa création en 2016, le label est généraliste, c’est à dire qu’il vise à soutenir les fonds qui portent leur attention à la fois sur les sujets environnementaux, et sur les sujets sociaux et sur les sujets de gouvernance. En clair, ce n’est pas un label “vert” ni un label “climat” (comme Greenfin), ni un label à dominante sociale (comme Finansol). Il est fondé sur une démarche de développement durable (ESG) qui repose sur l’idée qu’il faut porter une attention à l’ensemble des trois dimensions. Par exemple, nous ne cherchons pas à labelliser des fonds qui seraient excellents en matière de climat mais dont les investissements auraient des effets négatifs importants sur le plan social. Il ne faudrait pas non plus d’ailleurs, qu’ils aient des effets destructeurs massifs sur la biodiversité. 

Pour être encore plus exigeant en matière d’équilibre entre les thématiques E, S et G, nous proposons de donner un poids minimum de 20% à chacune des trois thématiques dans le calcul de la note ESG des entreprises qui sont sélectionnées pour entrer dans les portefeuilles des fonds labellisés. Cela devrait permettre d’éviter les entreprises qui font des “impasses” dans leur démarche ESG." 

Sur ce thème, à l’inverse, j’entends aussi qu’en imposant un socle climat fort, avec des exclusions “climat” et une obligation de transition énergétique, nous renoncerions au caractère “généraliste” du label. Nous y avons beaucoup réfléchi. Mais nous considérons qu’aujourd’hui, compte tenu des conséquences du changement climatique, aucun fonds ne doit se désintéresser du sujet climat qui a des implications majeures sur toutes les dimensions E, S et même G.  

Comment s'articule cette proposition de référentiel avec les nouvelles réglementations (SFDR, taxonomie) ? 

Dès le début de nos travaux, cette articulation avec les nouvelles réglementations européennes a été une de nos préoccupations. Ce n’est pas toujours facile parce que ces réglementations ne sont pas encore complètement définies et qu’elles ont tendance à évoluer ou à avoir besoin de précision pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté dans leur application. Je pense notamment à la classification des fonds entre les articles 6, 8 et 9 de la SFDR.  

Toutefois, nous avons pris le parti de nous appuyer sur les outils créés ou en cours de création par ces réglementations, à la fois pour soutenir leur développement et pour ne pas ajouter de la confusion pour les épargnants. Cela devrait aussi faciliter la vie des sociétés de gestion en leur permettant de s’appuyer sur les mêmes outils pour appliquer la réglementation européenne et pour faire labelliser leurs fonds.  

Cette articulation est particulièrement visible pour la double matérialité car nous demandons aux fonds de mesurer les effets de leurs investissements sur les dimensions E, S et G à partir des indicateurs de la SFDR. Ce texte définit précisément les thèmes qui doivent être analysés (climat, biodiversité, droits humains...) ainsi que les indicateurs associés (plus d’une quarantaine) et leurs méthodes de calcul. Les fonds devront désormais choisir parmi ces indicateurs (appelés PAI, principal adverse impact), deux indicateurs cibles qui devront progresser dans le temps. A terme, cela devrait permettre d’homogénéiser les données et les méthodes et de comparer les fonds qui ont les mêmes objectifs. 

Concernant l’exigence de trajectoire de transition pour les secteurs à forts enjeux climatiques, nous nous appuyons cette fois sur la CSRD et son calendrier d’applications sur ce point, même si nous l’avançons un peu pour les grandes entreprises cotées. 

La différence entre les règlementations européennes et le label, c’est que les réglementations européennes reposent sur un principe d’auto-déclaration alors que les déclarations des fonds labelisés sont contrôlées par des tiers (les certificateurs) et qu’il y a des objectifs de résultat.   

Certains observateurs estiment que le sujet des exclusions est partiellement traité. Que répondez-vous ? 

Comme je l’ai indiqué, le référentiel d’origine ne contenait pas d’exclusion, considérant que les dispositions du référentiel suffisaient à éliminer les activités les moins cohérentes avec une démarche ESG efficace. C’est en réalité ce qui se passe pour beaucoup de sujets. Par exemple, nous proposons désormais des exclusions en matière sociale (respects des droits humains, armes controversées, tabac) ou de gouvernance (lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, coopération fiscale...), mais les fonds labellisés appliquent déjà, d’eux-mêmes, en très grande majorité ces exclusions. 

Le débat concerne essentiellement les exclusions “climat” qui portent sur le charbon et les fossiles non conventionnels, ces derniers étant exclus à la fois pour leur effet négatif sur le climat et pour leurs autres conséquences environnementales, notamment sur la biodiversité. Si notre proposition est retenue, l’application de ces deux types d’exclusion obligera les fonds qui veulent être labellisés avec le nouveau référentiel à sortir de leur portefeuille toutes les grandes entreprises de production “pétrole gaz”. 

En revanche, nous n’avons pas voulu proposer d’exclure la production de fossile conventionnel, considérant qu’aujourd’hui nous en avons encore, malheureusement, besoin et que cela serait donc “hypocrite” de faire comme si nous pouvions tous nous en passer du jour au lendemain. Mais nous avons encadré fermement la possibilité d’avoir dans un portefeuille des entreprises de production d’énergie fossile conventionnelle : il faudrait qu’elles fassent la preuve qu’elles ont aujourd’hui une trajectoire qui respecte l’objectif de l’Accord de Paris, ce qui signifie notamment que leur production de fossile se réduit, donc qu’elles ne sont pas engagées dans de nouveaux projets.   

En pratique, actuellement, à ma connaissance, aucune entreprise du secteur de production “pétrole gaz” ne correspond à nos exigences. 

D'autres regrettent le fait que l'épargnant n'ait pas été sondé. Souhaitez-vous faire évoluer ce point à l'avenir ? 

Il y a plusieurs sondages qui sont faits chaque année pour connaître les préoccupations des épargnants et nous les avons lus avec attention. J’en tire d’ailleurs la conclusion que la préoccupation “climat” qui suscite tant de débat chez les commentateurs est souvent moindre chez les épargnants pour lesquels les dimensions sociales ou environnementales autre que le climat, comme la biodiversité et l’eau, sont tout aussi importantes. Au sein du comité nous avons également une représentante des conseillers financiers qui a donc une bonne vision des attentes des épargnants.   

J’ajoute que les “épargnants” qui s’intéressent aux fonds labellisés ne sont majoritairement pas (en volume) des épargnants individuels mais des investisseurs institutionnels qui ont toute latitude pour nous faire part de leurs avis, notamment à travers la consultation qui est en cours sur le projet de référentiel.  

 

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