©Wang An Qi/Shutterstock
Finance durable

Financer le verdissement plutôt que le "déjà vert", un défi pour les investisseurs

Financer du vert c'est bien, mais financer le verdissement ce serait mieux: sans cadre légal ni base commune d'analyse, investir dans des entreprises en transition relève toutefois du casse-tête pour les financiers.

Des actions de la major pétrolière BP ou du géant des déchets et de l'eau Veolia dans des fonds à objectif social et environnemental de La Banque Postale Asset management (LBPAM) ? Certains crieront à l'écoblanchiment ("greenwashing"), mais le gérant d'actifs assure oeuvrer pour la transition de ces entreprises.

Les offres de placement intitulées "transition" environnementale ou énergétique, ou encore "à impact" sociétal, fleurissent chez les gérants de portefeuilles et intéressent de plus en plus le secteur financier.

Mais le problème est double: d'une part on ne sait pas définir une "entreprise en transition", et d'autre part la réglementation "ne permet pas de prendre en compte le sujet de la transition dans les portefeuilles" d'investissement, déplore la directrice générale de l'Institut de la finance durable, Pauline Becquey. En clair, il n'existe pas, en Europe, de catégorie qui regroupe les fonds investissant dans des entreprises en cours de verdissement.

Investir dans des énergies renouvelables est facile, en revanche il est "moins intuitif d'investir dans une activité actuellement polluante pour qu'elle devienne verte", soulignait récemment Isabelle Millat, directrice durabilité de la banque Société Générale.

Crédibilité

Difficile parfois d'y voir clair. Pour Mehdi Chaiti, gérant de portefeuille chez LBPAM, le plan de transition de Veolia est ainsi tout à fait crédible, malgré un bilan carbone plombé notamment par les émissions de méthane de ses sites. Les objectifs de Veolia de réduction des émissions de gaz à effet de serre sont validés par la SBTi, (Science Based Targets initiative), le principal label pour évaluer les engagements climatiques des entreprises, dont le coup de tampon est le principal outil de nombreux acteurs financiers pour identifier les entreprises en transition.

Un critère "pas suffisant", estime Lara Cuvelier, chargée de campagne investissements durables chez Reclaim Finance. L'ONG spécialisée dans la finance affiche des exigences plus strictes pour cocher la case "en transition", et attend des entreprises énergétiques des engagements fermes d'abandon des énergies fossiles.

En interne, LBPAM essaie de développer des outils pour analyser les moyens mis en oeuvre par les entreprises pour atteindre leurs objectifs de transition, décrit Héléna Charrier, la responsable des solutions d'investissement socialement responsables du gérant d'actifs.

Pauline Becquey confirme: il est impossible de "s'arrêter uniquement à l'existence d'un plan de transition, il faut regarder sa crédibilité". Son organisation, qui émane de l'association de promotion de la place économique parisienne Paris Europlace, cherche à créer une méthodologie commune à tous les acteurs financiers pour analyser ces plans de transition, explique-t-elle.

Règles floues

"Il y a une multitude d'initiatives", comme le SBTi, les agences de notation ESG ou les méthodologies internes, mais aucune prônée par la réglementation ou "qui représente un standard reconnu", ajoute Mme Becquey.

De fait, la réglementation européenne de référence sur le sujet reste pour l'instant trop floue sur la définition de ce qu'est un "investissement durable". Et la taxonomie européenne, qui se limite à classer les secteurs d'activité économique selon leur impact sur le changement climatique, avec des actifs "déjà verts", ne prend pas en compte une éventuelle évolution vertueuse en cours dans les entreprises.

Un vide juridique qui laisse les coudées franches aux investisseurs pour choisir comment verdir leurs portefeuilles - avec à la clé parfois des interrogations sur la sincérité des gérants de portefeuilles. C'est surtout dans le secteur pétrolier, qui n'est pas encore couvert par la SBTi, que les débats vont bon train. LBPAM voyait d'un bon oeil des annonces en 2020 de la major BP sur des investissements massifs dans les énergies renouvelables et une réduction de sa production de pétrole et gaz.

Mais en 2023, BP a rétropédalé. Un changement de cap qui n'est pas du goût de LBPAM, qui assure vouloir rediscuter des engagements climat avec la direction du groupe, selon Héléna Charrier. Reclaim Finance, elle, n'était déjà pas satisfaite des engagements de BP de 2020. Lara Cuvelier rappelle que la major "fait partie des plus gros développeurs européens de nouveaux projets de pétrole et de gaz".

Avec AFP.