Les investisseurs publics et privés ont un rôle à jouer dans la relocalisation des entreprises.
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2030, Investir Demain

Accompagner la relocalisation : entre engagement environnemental et stratégie économique

Le groupe de travail "(Re)localisation juste : un enjeu de compétitivité et de durabilité", co-piloté par Sycomore AM, s'est réuni le 18 juin pour un quatrième et dernier atelier consacré au rôle clé des investisseurs dans la relocalisation.  

Comment les investisseurs peuvent-ils accompagner la relocalisation des entreprises ? Et est-elle uniquement motivée par des aspects environnementaux ? Ce sont les questions sur lesquelles se sont penchés les participants du quatrième atelier du groupe de travail consacré à la "Relocalisation juste", co-fondé par Sycomore AM. Avec en toile de fond la volonté d'élaborer un guide d'engagement actionnarial, pour accompagner les investisseurs vers une relocalisation réussie.  

Pour Sophie Flak, membre du Directoire et Managing Partner en charge de l’ESG et du digital chez la société de gestion Eurazeo, relocaliser répond avant tout à des exigences de décarbonation. Et l’un des premiers leviers à actionner, c'est la chaîne d’approvisionnement. "C'est quand on fait son bilan carbone qu'on se rend compte du poids de la chaîne d'approvisionnement, a-t-elle expliqué. Donc quand on cherche des leviers de réduction des émissions carbone, il faut modifier cette chaîne d’approvisionnement. L'avion, on oublie !".  

La glocalisation : un modèle d’équilibre 

Pour autant, il n'est pas nécessaire de tout ramener en France ou en Europe, a-t-elle estimé. "Nous, on croit en la glocalisation, donc une relocalisation sur chaque plaque géographique", a-t-elle poursuivi, en prenant l'exemple d’une société de biocontrôle dans laquelle Eurazeo a investi. Implantée en France, au Kenya et en Californie, cette société fabrique des insectes pour lutter naturellement contre les ravageurs des cultures. Autrement dit, des produits frais qui ne peuvent pas être exportés trop loin. "On est obligés de les produire localement, a résumé Sophie Flak. C'est pour ça que nous croyons au modèle de la glocalisation. Il faut aller dans chaque géographie, avec lucidité bien évidemment".  

Si la relocalisation peut contribuer à réduire l'empreinte carbone des industries, elle n’en est pas moins coûteuse et des investisseurs plus modestes peuvent rencontrer des difficultés pour l’accompagner. C’est ce qu'a voulu souligner Valérie Geiger, directrice régionale Est chez Arkéa Capital. Cette filiale de capital investissement du groupe Crédit mutuel Arkéa n'investit qu'en tant que minoritaire, mais toujours en direct. "On veut être dans la gouvernance et donner notre avis, même s'il n'est pas nécessairement pris en compte. Et on s'assure de toujours être aligné avec la stratégie que le fonds majoritaire veut déployer" a-t-elle expliqué. 

"Pour nous, la relocalisation est un sujet majeur, nous y sommes très sensibles. Mais on aura besoin des pouvoirs publics et de moyens qui vont bien au-delà de ce que peut déployer Arkéa Capital", a-t-elle poursuivi.  

Le rôle essentiel des acteurs publics 

Des moyens comme ceux que peut apporter Bpifrance, la banque publique d’investissement, comme l'a expliqué Raphaël Didier, directeur de la Transformation et de la Stratégie de la Direction Innovation chez Bpifrance. "Entre le fonds SPI – pour Sociétés de Projets Industriels –, les subventions et les prêts, beaucoup de moyens ont été déployés pour favoriser la réindustrialisation et la relocalisation en France, a-t-il indiqué. Avec des premiers signes de réussite et des premiers succès, même si le chemin reste semé d’embûches".  

D’autant qu'en raison de l’état préoccupant des finances publiques, l'enthousiasme de la période post-Covid et de ses plans d’investissement ambitieux, tel que le plan "France 2030", s'essouffle. Mais pour Raphaël Didier, il n'y a pas de fatalisme, il faut avoir une vision de long terme. "Ça ne se fera pas en un claquement de doigts, ça prendra peut-être 15 ans, mais c'est un grand mouvement de fond auquel il faut croire et qu’il faut accompagner". 

Au-delà des enjeux environnementaux et de souveraineté, et malgré son coût potentiellement élevé, la relocalisation présente également d’importants avantages économiques, en permettant par exemple de raccourcir les processus. "Depuis la fin du Covid, les entreprises ne stockent plus de la même manière, explique Valérie Geiger. Quand on stocke moins, on a besoin d'avoir une disponibilité beaucoup plus rapide et avoir son fournisseur en France ou en Europe est un réel avantage. Selon moi, ce sont surtout ces aspects économiques qui motivent les relocalisations".  

Faire "autrement"

De l'autre côté de la chaîne, la relocalisation doit également trouver son public. Car si le consommateur est prêt à payer plus cher un produit fabriqué en France ou en Europe, ce surcoût ne doit pas dépasser 15 à 20 %. Selon Julien Chaverou, président de la Camif, entreprise historique d'aménagement de la maison, si beaucoup de Français se sont tournés vers des marques étrangères, c’est parce que ces dernières ont réussi à proposer une expérience client valorisante à moindre coût, dans un contexte où la classe moyenne faisait face à un sentiment de déclassement. "La volonté de surconsommation, c'est une bouée de sauvetage, l'impression d’exister", a-t-il analysé. 

Face à ce constat, qui s'accompagne souvent de discours climatiques anxiogènes, Julien Chaverou a souhaité démontrer que la transition n'était pas synonyme de "moins" mais de "autrement". Et surtout, il considère qu'il faut revenir à la notion de plaisir. "Ceux qui achètent de la déco et de l’ameublement cherchent bien sûr à s'équiper, mais aussi à se faire plaisir. Dès la rentrée, on va donc développer de nouveaux produits avec un travail plus poussé sur le design, sans rien changer aux engagements qui nous tiennent à cœur, comme les prix abordables et le made in France". 

Mais produire local et abordable entraîne un certain nombre de défis. "Depuis 50 ans, on explique aux fabricants que la France est faite pour le luxe, a expliqué Julien Chaverou. Si je cherche une assiette en faïence ou en porcelaine à un prix moyen de 6 ou 7 euros, je vais devoir me fournir à l’étranger, en Pologne par exemple. En France, les fabricants ne seront pas intéressés car ils peuvent vendre leurs produits dix fois plus cher en travaillant avec des marques de luxe".  

"Notre échelle, c’est l’Europe"

Pour valoriser la production française, plusieurs leviers peuvent être activés, comme la réduction des marges et, surtout, l'augmentation des volumes. "Il faut recréer du volume, car la réindustrialisation ne se produira qu'à cette condition", a indiqué Julien Chaverou. Il plaide également pour une collaboration entre les marques, les fabricants et les pouvoirs publics pour recréer des filières, avec un partage équilibré des marges.  

Toutefois, pour les intervenants, la relocalisation ne peut pas se penser uniquement au niveau national. Pour espérer faire le poids face aux marchés américains et asiatiques, il faut que l'Europe puisse attirer des capitaux. "30 % de l’épargne européenne part financer l’économie américaine", a déploré Sophie Flak. Pour endiguer cette fuite, elle estime que les pouvoirs publics doivent mettre en place des leviers incitatifs à l'investissement, comme une taxation différenciée. 

"Notre échelle, c’est l’Europe. On n'y arrivera pas autrement", a-t-elle conclu.