Dans le cadre de vos processus d'investissement à impact, quels sont les indicateurs ESG transversaux, communs à l'ensemble des secteurs, sur lesquels vous vous fondez pour évaluer la responsabilité des entreprises ?
La définition d’objectifs et donc l’identification d’indicateurs sont les fondements mêmes de l’investissement à impact. En premier lieu, beaucoup d’indicateurs, d’enjeux sont communs à tous les secteurs et font consensus : l’égalité salariale entre hommes et femmes, le pourcentage de femmes au niveau managérial, la création d’emplois, le partage de la valeur, le taux d’imposition, la gouvernance par exemple. Pour sa part, le critère des émissions carbone est essentiel dans l’industrie et d’une manière générale dans les secteurs les plus émissifs (transports, énergies…). Mais, il doit figurer parmi les enjeux stratégiques des entreprises de quasiment tous les secteurs si le périmètre d’analyse s’étend au scope 3 : les émissions indirectes, tout au long de la chaîne de production, en amont, mais aussi en aval, concernant l’usage des produits. L’objectif de réduction des émissions vaut alors pour tous les secteurs, toutes les entreprises. Cependant, beaucoup d’autres indicateurs apparaissent plus ou moins cruciaux selon l’activité d’une entreprise ou sa situation géographique. C’est sur la combinaison de ces deux types d’indicateurs que se construit l’évaluation de la responsabilité des entreprises.
Justement, quels sont, plus spécifiquement, les indicateurs propres à certains secteurs, à certaines régions ou propres à certaines stratégies d'investissement sur lesquels vous vous fondez ?
Concernant les indicateurs propres à certains secteurs, quelques exemples : les enjeux de biodiversité ont une importance majeure dans le secteur des mines, voire des banques qui leur apportent des financements, tandis que le taux d’accidents parmi les salariés revêt une grande importance dans l’énergie ou la construction, et que la question des droits de l’homme est plus sensible dans certains pays en développement en particulier. Le sujet des droits de l’homme représente d’ailleurs un risque pour les entreprises, un risque légal, lié au devoir de vigilance, un risque de réputation aussi, susceptible d’avoir des implications dans leurs relations avec les consommateurs et les salariés. La démarche est un peu différente concernant l’investissement dans l’univers de l’économie sociale et solidaire (ESS), à travers des fonds solidaires. La recherche d’impact, de réponse à des besoins sociaux étant privilégiée, les indicateurs sont très spécifiques. Ils permettent de mesurer les réalisations des entreprises non cotées à forte utilité sociale dans lesquelles ces fonds investissent : le nombre de personnes en difficulté insérées, le nombre de logements sociaux gérés, le nombre de bénéficiaires de micro-crédit ou le nombre d’hectares dont la biodiversité est protégée, par exemple.
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Aujourd'hui, quels sont les freins que vous rencontrez pour accéder à une information de qualité suffisante pour élaborer ces indicateurs ?
La stratégie RSE des entreprises doit encore gagner en transparence. C’est pourquoi, comme beaucoup d’investisseurs, nous attendons de la mise en œuvre des directives CSRD sur le reporting de durabilité des entreprises et CS3D sur le devoir de vigilance, des avancées notables. L’un des freins, et donc l’un des défis pour les entreprises, est l’accès à une information de qualité sur l’ensemble des chaînes de valeurs, couvrant les pratiques de leurs fournisseurs et c’est l’objet de CS3D. Nous regrettons donc la remise en cause de ces deux textes, même si elle est partielle, dans le cadre de la directive Omnibus. Ces nouvelles exigences réglementaires devraient obliger les entreprises à hausser le niveau des informations qu’elles diffusent sur leurs pratiques sociales et environnementales et aussi, ce qui est primordial pour les investisseurs, à harmoniser ces informations.
Comment animez-vous, sur la base de ces indicateurs, votre dialogue actionnarial avec les entreprises ?Quels résultats parvenez-vous à obtenir en termes d'évolution des pratiques des entreprises ?
Notre vocation en tant qu’investisseur est aussi d’inciter les entreprises à faire évoluer leurs pratiques. Dans cette perspective, nous dialoguons avec elles et nous devons leur faire connaître nos objectifs. Le partage d’informations sur les indicateurs entre toutes les parties prenantes est donc clé. Notre stratégie d’engagement doit pouvoir faire l’objet de mesures d’impact. Notre objectif est d’accompagner les sociétés afin de les rendre plus responsables. Dans cette perspective, nous dialoguons en particulier avec des sociétés qui font partie des moins bons élèves de leur secteur, voire qui subissent des controverses. Nous avons ainsi établi une échelle de notes qui prend en compte la qualité de leurs réponses à nos demandes. Les plus mal notées sont les entreprises qui ne répondent pas à nos demandes, tandis qu’à l’inverse, les mieux notées sont celles qui ont pris des mesures afin d’améliorer leurs pratiques. Nous avons ainsi apprécié la prise de conscience de Daimler, qui s’est décidée à mettre en place une traçabilité de sa chaîne de fournisseurs. Vis-à-vis de nos investisseurs, nous tenons à afficher des chiffres leur permettant de connaître le niveau de nos exigences : notre taux de votes négatifs aux assemblées générales s’établit ainsi à 40 % en moyenne au cours des dernières années, contre 20 % en moyenne parmi les sociétés de gestion françaises et nous avons soutenu 81 résolutions d’actionnaires minoritaires en 2024.
Du point de vue de l'investisseur final, quels avantages tangibles lui procurent ces démarches ?
Ces indicateurs sont choisis au regard de l’importance des enjeux du point de vue sociétal (social, environnemental), mais aussi au regard de la matérialité financière de ces enjeux pour les entreprises concernées, de leur influence sur leur performance financière : le risque climatique comme le risque de perte de biodiversité ont des répercussions sur l’activité de beaucoup d’entreprises lorsqu’ils se matérialisent. La matérialité financière des indicateurs ESG détermine son importance dans nos processus d’investissements. Ce sont donc des points d’attention pour les investisseurs responsables, non seulement pour des raisons éthiques mais aussi pour des raisons financières, car leur mauvaise anticipation peut mettre en péril la santé financière d’une entreprise. L’analyse ESG (environnementale, sociale et de la gouvernance) prend ainsi en compte des risques qu’une analyse financière traditionnelle prendra moins en compte. Et in fine, cette très saine approche doit se traduire par un plus solide rendement sur le long terme pour l’investisseur.
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