Les participants ont ouvert ce second atelier en rappelant brièvement les observations issues du premier, consacré à l’évaluation des impacts et des dépendances des entreprises vis-à-vis des ressources naturelles. Plusieurs besoins avaient alors été identifiés, notamment en matière de pédagogie, d’accès à des données fiables, ou encore de renforcement de la réglementation.
Ils ont ensuite abordé la question des métaux rares, en soulignant en particulier leur impact environnemental. "Ce sont des métaux dont l’extraction est très polluante et consomme énormément d’eau", a rappelé Camille Richard, directrice de l’impact chez Alter Equity. Si le recyclage constitue un incontournable pour la bonne gestion de ces ressources, il reste encore très limité : "Aujourd’hui, moins de 17 % des déchets électroniques sont recyclés dans le monde", a-t-elle précisé, soulignant que beaucoup finissent dans des décharges à ciel ouvert, "principalement en Afrique", avec des conséquences lourdes pour l’environnement.
Pour Camille Richard, l’un des principaux freins à une meilleure valorisation de ces ressources reste l’absence généralisée d’écoconception chez les fabricants d’appareils électroniques. En clair, les industriels ne conçoivent pas leurs produits pour permettre une récupération efficace des métaux qu’ils contiennent, tout en mettant parfois en avant des discours marketing trompeurs sur la durabilité de leurs produits.
Quelle que soit la filière, le recyclage ne doit d’ailleurs être envisagé qu'en dernier recours, a rappelé Yann Fradin, Directeur de projets à l’Association Espaces et vice-président d’Emmaüs : "La priorité est de concevoir dès le départ des produits durables, faciles à réparer et à réutiliser". Pour illustrer ses propos, il a évoqué le cas de l’industrie textile, où la surconsommation s’est accentuée ces dernières années : en moins de dix ans, le nombre de vêtements vendus par personne en France a augmenté de 75 %, "alors même que les réflexions sur la conception durable et le réemploi restent encore très limitées".
Dans ce contexte, "les pouvoirs publics ont un énorme rôle à jouer", a souligné Camille Richard, citant l’exemple du chargeur universel, imposé par l’Union européenne pour limiter le gaspillage lié aux équipements électroniques. "C’est un résultat tangible de l’action du législateur. Pourtant, aujourd’hui, on peut s’interroger : pourquoi les appareils de seconde main sont-ils soumis aux mêmes niveaux de taxation que les produits neufs ?" s’est-elle étonnée. Une meilleure régulation permettrait pourtant de réduire la pression sur les ressources naturelles, qu’il s’agisse des terres rares, des métaux précieux, de l’eau ou d'autres ressources critiques, "et donc, de facto, à réduire significativement la pollution associée".
Il est indispensable de passer d’un modèle économique fondé sur le volume à une économie de la sobriété, favorisant une meilleure gestion des ressources naturelles ainsi que des déchets."
Changer les modèles
"Il est indispensable de passer d’un modèle économique fondé sur le volume à une économie de la sobriété, favorisant une meilleure gestion des ressources naturelles ainsi que des déchets", a poursuivi Fanny Demulier, directrice raison d’être et parties prenantes chez Veolia. Pour y parvenir, elle insiste sur la nécessité d’impliquer l’ensemble de l’écosystème, "des entreprises aux consommateurs, en passant par les régulateurs", afin de repenser collectivement l’usage des ressources. "La régulation joue un rôle clé, car sans cadre contraignant, peu d’acteurs s’engagent spontanément dans une démarche de sobriété", a-t-elle ajouté.
Yann Fradin a quant à lui attiré l’attention sur la nécessité de repenser les attentes en matière de rentabilité, "souvent trop fortes à l’égard des entreprises privées". "Ces exigences excessives peuvent conduire à une dégradation des conditions sociales et à une mauvaise gestion des ressources", a-t-il expliqué, plaidant pour "un changement profond du modèle de production en s’inscrivant dans le fonctionnement naturel des cycles écologiques".
"Le shift que nous devons opérer est complexe", a reconnu Fanny Demulier, soulignant que Veolia a adopté depuis plusieurs années une approche plus globale de la performance, "une performance plurielle, qui intègre, au-delà des seuls indicateurs financiers, des aspects environnementaux, sociaux et sociétaux". Pour réussir cette bascule, il est par ailleurs nécessaire d’impliquer tous les niveaux de décision, des actionnaires aux managers opérationnels. "Il est indispensable de démontrer que cette vision plurielle est source d’une performance durable sur le long terme, a-t-elle précisé. Malgré sa complexité, l’intégration des enjeux RSE peut être un moteur d’innovation, de transformation, et surtout d’engagement".
Les participants ont également insisté sur la nécessité pour les entreprises de prioriser clairement leurs actions en identifiant précisément leurs impacts et leurs dépendances les plus significatifs. Cette priorisation permettrait de mettre en place des initiatives concrètes et efficaces, et ainsi de réduire les risques de greenwashing. "Les entreprises doivent se concentrer sur leurs enjeux essentiels. Par exemple, Veolia a mis en place un dialogue régulier avec un comité d’experts externes, précisément pour challenger nos politiques RSE et vérifier leur pertinence", a illustré Fanny Demulier. La formalisation d’une mission peut également aider les entreprises à structurer ces démarches et à aller plus loin.
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Enjeux de transparence
Malgré les récentes évolutions réglementaires, il reste encore souvent difficile pour les investisseurs d’évaluer concrètement la prise en compte des enjeux de gestion durable des ressources au cœur des business models, a pointé Aurélie de Barochez, Responsable du Pôle Consulting chez Moonshot : "La principale difficulté, quand on ouvre un rapport, est de déterminer précisément comment ces questions de ressources naturelles sont réellement intégrées dans la stratégie". Elle a toutefois salué une initiative inspirante : celle d'une entreprise danoise qui, dans son premier reporting CSRD, détaille systématiquement toutes les ressources entrantes et sortantes nécessaires à son activité. "Cela permet de mesurer concrètement l’évolution, année après année, de la consommation réelle des ressources", a-t-elle souligné.
Chez Ecofi, la prise en compte des enjeux liés aux ressources naturelles constitue un critère déterminant dans la sélection des entreprises. « Notre méthodologie d’analyse ESG surpondère les enjeux les plus matériels en fonction des secteurs d’activité, et nous excluons les sociétés qui n’ont pas développé de politiques suffisantes sur ces enjeux stratégiques », a précisé Cesare Vitali, Responsable de la Recherche ESG et du développement ISR chez Ecofi.
Enjeux sociaux et chaînes de valeur
Les intervenants ont ensuite élargi la réflexion à la gestion durable des ressources humaines, en commençant par approfondir la notion de "transition juste". Ce concept désigne "l’articulation nécessaire entre transition écologique et enjeux sociaux", a rappelé Cesare Vitali. Concrètement, une transition énergétique réussie implique de prendre en compte des aspects tels que "la création d’emplois, le respect des droits de l’homme, l’égalité femmes-hommes et, plus largement, l’ensemble des enjeux sociaux".
Les intervenants ont particulièrement insisté sur la nécessité de veiller aux enjeux sociaux tout au long des chaînes de valeur, en particulier en matière de gestion des ressources humaines et de respect des droits fondamentaux. "Depuis 2017, la loi sur le devoir de vigilance impose aux grandes entreprises françaises de mettre en place un plan couvrant notamment le comportement social de leurs fournisseurs", a rappelé Cesare Vitali, qui constate "une prise de conscience croissante de la part des entreprises vis-à-vis du comportement de leurs partenaires". "Autrefois, les entreprises étaient surtout concernées par des risques de réputation, mais avec cette loi, elles sont aussi exposées à des risques légaux", a-t-il ajouté.
Cela fait partie des devoirs des sociétés responsables : elles ne doivent pas simplement s’implanter pour profiter de coûts très faibles, mais aussi contribuer à l’amélioration des réglementations locales."
En fonction des zones géographiques dans lesquelles opèrent les entreprises, Ecofi applique des critères supplémentaires, notamment lorsque celles-ci ou leurs fournisseurs sont implantés dans des pays plus à risque en matière de droit social ou de respect des droits humains. À défaut d’informations publiques suffisantes, un dialogue est alors engagé pour s’assurer de la bonne prise en compte de ces enjeux. "C’est un enjeu très important pour nous", a poursuivi Alix Roy, analyste ESG chez Ecofi. "Nous essayons régulièrement d'encourager les entreprises, à travers nos dialogues, à améliorer la traçabilité de leur chaîne de valeur." Selon elle, deux problèmes principaux persistent : "soit les entreprises connaissent mal leur propre chaîne de valeur, auquel cas nous les incitons à faire un effort en matière de traçabilité ; soit elles manquent de transparence et se limitent à publier la liste de leurs fournisseurs directs".
La société de gestion encourage par ailleurs les entreprises à dialoguer avec les gouvernements locaux pour renforcer les réglementations relatives aux droits de l’homme et du travail dans certaines régions. "Cela fait partie des devoirs des sociétés responsables : elles ne doivent pas simplement s’implanter pour profiter de coûts très faibles, mais aussi contribuer à l’amélioration des réglementations locales", a insisté Cesare Vitali, qui regrette les assouplissements introduits par le paquet législatif "Omnibus", réduisant les exigences de certaines directives comme la CS3D, équivalent européen de la loi sur le devoir de vigilance. "Alors que la version initiale de la directive exigeait une évaluation approfondie de l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement, la version amendée limite cette obligation aux seuls fournisseurs directs (niveau 1)", a-t-il précisé.
Ressources humaines et partage de la valeur
Pour les entreprises, la bonne gestion des ressources humaines passe aussi par les politiques menées en interne, notamment en matière de pédagogie et de formation. "Il y a parfois un défaut de conscience, de compréhension des collaborateurs sur ces problématiques, ce qui peut conduire à de mauvaises décisions ou à une prise en compte insuffisante de ces enjeux au plus haut niveau", a souligné Fanny Demulier. Veolia a notamment lancé, il y a deux ans, Terra Academia, une école de la "transformation écologique", en s’appuyant sur des partenariats institutionnels et locaux. "Il est indispensable de mener cette réflexion à l’échelle des territoires, afin d’anticiper notamment les besoins du tissu industriel local", a-t-elle ajouté. Dans le même esprit, Yann Fradin a également insisté sur l’importance de s’appuyer sur les acteurs locaux et les associations : "C’est là que le changement se fait réellement, il faut donc donner des outils à ces structures". Il a souligné le besoin "de davantage de jonction, de compréhension et d’anticipation", notamment en matière de formation.
Dans ce contexte d’implication des différentes parties prenantes, la question du partage de la valeur a également été abordée. "Aujourd’hui, 90 % de notre chiffre d'affaires est réinvesti localement, que ce soit à travers l’emploi, la sous-traitance, l’insertion, la formation ou encore l’innovation", a expliqué Fanny Demulier. Selon elle, cette dynamique locale permet aux entreprises d’avoir un impact plus concret : "Cela nous pousse à travailler différemment, en adaptant nos projets au territoire, aux compétences locales et aux expertises nécessaires, mais aussi en réfléchissant à la façon dont nous formons nos équipes".
Enfin, les entreprises devront aussi s’adapter aux attentes des nouvelles générations, notamment en matière de sens et de conditions de travail. "Le rapport au temps et à la hiérarchie est complètement différent", a souligné Camille Richard. Or aujourd’hui, "les organisations ne sont pas toujours prêtes à gérer ces nouvelles attentes et doivent trouver des solutions pour s’y adapter."