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2030, Investir Demain

Ressources essentielles : comment les entreprises mesurent, transforment, valorisent

À l’occasion du troisième atelier du groupe de travail consacré à la gestion durable des ressources essentielles, naturelles, humaines et financières, plusieurs acteurs ont partagé leurs expériences sur la manière dont ils structurent, pilotent et rendent visibles leurs pratiques.

Comment mieux gérer les ressources dont dépend son activité, tout en rendant ses pratiques lisibles et crédibles ? C’est autour de cette question que se sont articulés les échanges du troisième atelier du groupe de travail dédié aux "Ressources essentielles", co-piloté par Ecofi.

"On vit de la ressource, nous en sommes dépendants à 100 %", a rappelé en introduction Bertrand Swiderski, directeur RSE du groupe Carrefour. Une dépendance directe aux écosystèmes qui impose de mieux comprendre et encadrer l’usage de ses ressources, et d’orienter les choix stratégiques. Pour cela, l’entreprise s’appuie sur deux grandes familles d’indicateurs : ceux qui traduisent une bonne gestion des ressources, souvent mesurés en chiffre d’affaires, et ceux qui permettent d’anticiper les risques qui pèsent sur leur pérennité.

Cela inclut, par exemple, la part de produits bio ou issus de l’agroécologie, ou encore le ratio entre protéines végétales et protéines animales vendues. "On sait que notre impact carbone Scope 3 dépend à 18 % de la ressource animale que l’on vend. La question est donc : comment trouver un équilibre entre ressource animale et ressource végétale ?"

Mesurer pour mieux piloter

Ces indicateurs ne sont pas qu’un outil de suivi : ils orientent directement les actions mises en œuvre par l’entreprise. Plusieurs leviers sont ainsi activés par Carrefour pour faire évoluer l’offre et les comportements d’achat en faveur d’une consommation plus durable et respectueuse des ressources naturelles : développement de produits durables, accompagnement de l’innovation, mais aussi valorisation en point de vente. "La signalétique en magasin est le levier le plus efficace pour susciter une croissance du marché", a souligné Bertrand Swiderski. Un autre axe d’action concerne la communication, à la fois dans les médias et via le e-commerce. Exemple : suggérer aux clients des alternatives végétales lorsqu’un produit carné figure dans leur panier.

En complément de ces actions, l’entreprise engage aussi une réflexion prospective sur les risques liés à des ressources essentielles pour son activité. Elle mène par exemple actuellement une analyse sur quatorze produits pour évaluer, à moyen terme, l’impact potentiel du changement climatique sur leur production. Pour anticiper ces évolutions, Carrefour travaille sur deux axes : la décarbonation des filières existantes et le développement d’alternatives. "Par exemple, la filière porc a un objectif de décarbonation de 32 % d’ici 2030. Nous explorons notamment la composition du bol alimentaire des porcs. Et, en parallèle, nous accompagnons nos fournisseurs sur le long terme pour faire émerger des sources alternatives de protéines."

Ces arbitrages techniques s’inscrivent dans une vision plus large, centrée sur les attentes des consommateurs. C’est ce qui a guidé, par exemple, le retrait du plastique autour des bananes bio – initialement utilisé pour prolonger leur conservation – ou le passage à des emballages en carton sur certains produits, perçus comme plus vertueux, bien qu’ils puissent présenter un impact carbone supérieur à celui du plastique. Bertrand Swiderski a d’ailleurs souligné les limites de cet indicateur comme repère unique, qui ne reflète pas toujours les priorités portées par l’entreprise : "Moins de plastique, plus de bio, moins de pesticides, plus de local : c’est ça, la vision politique que l’on porte. Et le carbone n’est pas l’indicateur qui reflète à lui seul cette transition."

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Choisir les bons indicateurs

Une vision partagée par Christophe Eberhart, co-fondateur d’Éthiquable, entreprise coopérative (SCOP) spécialisée dans le café, le chocolat et d’autres produits bio et issus du commerce équitable. "Le facteur carbone utilisé pour évaluer l’impact de notre chocolat repose sur un modèle dominant — celui de la Côte d’Ivoire et de la déforestation. Il ne reflète pas la réalité d’un cacao bio, équitable et agroforestier, qui peut même être régénératif, au sens où il capte plus de carbone qu’il n’en émet", a-t-il expliqué.

Il a également souligné la difficulté à disposer d’indicateurs capables de traduire l’ensemble des dimensions portées par l’entreprise : agriculture paysanne, gouvernance partagée, co-construction avec les producteurs… "Avant d’être pilotés par des indicateurs, nos actions, nos choix sont d’abord guidés par une vision politique : celle de défendre un modèle de commerce plus juste et plus résilient." Pour répondre à cette complexité, les intervenants ont rappelé l’intérêt de mobiliser des approches plus fines, comme les analyses de cycle de vie (ACV) multicritères, capables de mieux refléter la diversité des impacts et des pratiques.

Ces indicateurs permettent de repérer des signaux faibles, d’anticiper certains risques et de mettre en place des politiques adaptées, qu’elles soient environnementales ou sociales."

La question des indicateurs se pose aussi en matière de communication au grand public. Comment rendre compte, de manière simple et fiable, de démarches souvent complexes ? Si le Nutriscore s’est imposé sur les enjeux de santé, d’autres scores environnementaux, comme l’Écoscore ou le Planet-score, peinent à trouver leur public. "L’indication doit être directe, simple, compréhensible tout de suite", a insisté Bertrand Swiderski. Pour Éthiquable, c’est la cohérence du projet qui structure la communication, à travers un récit accessible. "On raconte une histoire, qu'intuitivement, nos consommateurs comprennent", a expliqué Christophe Eberhart.

Au-delà de leur fonction de communication externe, les indicateurs jouent aussi un rôle de structuration interne, a rappelé Camille Richard, directrice de l’impact chez Alter Equity : "Côté entreprise, il y a un vrai travail à faire de pilotage, qui n’était pas toujours formalisé auparavant. Ces indicateurs permettent de repérer des signaux faibles, d’anticiper certains risques et de mettre en place des politiques adaptées, qu’elles soient environnementales ou sociales."

Veolia par exemple a priorisé quinze indicateurs – financiers et extra-financiers – pour piloter une "performance plurielle". "Ils permettent de lancer une dynamique, de fixer un cap partagé, et d’embarquer managers et écosystèmes dans une logique de transformation", a expliqué Fanny Demulier, directrice raison d’être et parties prenantes chez Veolia. Une approche qui s’appuie sur le dialogue, des relais locaux et une vision systémique intégrant les attentes des citoyens, le rôle du régulateur, et la nécessité de repenser la performance économique à l’aune de la soutenabilité.

Novaxia : intensifier l’usage des mètres carrés

Entreprise à mission depuis 2020, la société d’investissement spécialisée dans l’immobilier Novaxia fait du recyclage urbain le cœur de son modèle : "Nous achetons des bâtiments obsolètes et énergivores pour les déconstruire ou les réhabiliter en logements, sans artificialiser de nouveaux sols", a expliqué Victor Breillot, son responsable du Développement Durable.

La ressource, ici, est le mètre carré. Novaxia gère via ses fonds d’investissement des bâtiments vides le temps de concevoir des projets immobiliers, d’obtenir les permis de construire et enfin de réaliser les travaux. Au lieu de laisser vacants et inutilisés ces espaces, Novaxia a développé et systématisé une stratégie d’impact appelé "Immobilier Solidaire". En quelques années ce sont plus de 48 projets qui ont vu le jour sur l’ensemble du territoire français, soit plus de 120 000 m² rendus « utiles » pour des associations et porteurs de projets à impact. "Recycler les m² obsolètes permet d’une part d’éviter la destruction d’espace et de ressource naturelle via l'étalement urbain mais aussi d’intensifier l’usage de ce qui existe déjà", a développé Monsieur Breillot. Pour aller plus loin dans la gestion des ressources, Novaxia travaille aujourd’hui sur deux leviers structurants : le réemploi des matériaux et la réversibilité des bâtiments.