Adoptée par le Parlement européen en 2022, la CSRD est une directive européenne visant à rendre publiques les données des entreprises européennes concernant leur impact environnemental, social et de gouvernance, simplifiés en ESG. Elle fait cependant partie des directives qui pourraient être remises en cause le 26 février par la Commission européenne.
Le détricotage de ce texte pourrait avoir des conséquences importantes sur l’ensemble des professionnels de la RSE. Parmi les initiatives impactées se trouve celle de Rémy Gérin. Directeur de la chaire Grande Consommation à l’ESSEC, il travaille à l’élaboration d’un indicateur permettant de comparer les performances RSE des enseignes de la grande distribution européenne et s’appuie pour cela sur les données fournies par ces entreprises dans le cadre de la CSRD.
Comment avez-vous commencé à travailler sur le sujet de la RSE dans la grande distribution ?
Je m'intéresse depuis 12 ans à la transformation de la grande consommation et du retail alimentaire sur le plan de la durabilité. Il y a une douzaine d'années, nous avons créé le grand prix ESSEC du commerce responsable, qui remet chaque année des prix aux meilleures initiatives de la grande distribution sur le plan de la RSE.
Je travaille selon cette logique : mettre en avant ce que les gens font de bien pour donner envie aux autres de le faire plutôt que de stigmatiser ce que les gens font de moins bien.”
Qu’est-ce que le CSR Retail Index et en quoi dépend-il de la CSRD ?
C'est l'indicateur de performance RSE du retail européen. Nous avons réalisé qu'en matière de RSE, tout le monde est champion du monde, puisque rien n'est comparable. La CSRD a cette vertu de rendre public et comparable ce qui est fait sur le sujet de façon normée. C'est pour cela que j’ai pris la parole pour la défendre.
Les distributeurs européens doivent publier un rapport de durabilité sur un format normé par la CSRD, qui nous permettra de comparer les performances des uns et des autres. Pour 2025, il doit s’agir de Carrefour, Auchan, Casino, Esselunga en Italie, Mercadona en Espagne, Schwarz et Rewe en Allemagne, Tesco en Irlande, etc. Pour Leclerc, Intermarché et coopérative U, ce sera plutôt en 2026. Mais tout va dépendre de la décision de la Commission européenne ce 26 février.
Quelle méthodologie est utilisée pour mettre en place cet indicateur ?
Ces rapports vont rendre public un millier de data points. Parmi eux, nous en avons choisi à peu près 25, considérés comme déterminants en matière de RSE. Ces critères ont trait aux émissions de gaz à effet de serre, à la parité dans les instances dirigeantes, à la rémunération des dirigeants, etc. Ces 25 data points sont ensuite pondérés : nous leur attribuons un coefficient plus ou moins important pour en sortir une note finale.
Depuis la publication de cet article, la Commission européenne a proposé son « paquet législatif Omnibus » :
Environ 80 % des entreprises retirées du champ d'application de la CSRD
Comme c'est assez exigeant, nous nous sommes associés à un cabinet d'audit qui s'appelle BDO. C’est un réseau mondial qui a l’avantage d’être présent dans tous les pays européens ciblés et qui nous aide à nous rapprocher des grandes enseignes.
Nous attendons maintenant la publication des rapports de durabilité, puis nous allons extraire les chiffres sur les 25 critères retenus pour une quinzaine de retailers européens. La note obtenue va nous permettre de les évaluer les uns par rapport aux autres.
Les entreprises mauvaises en ESG vont se faire rattraper par les clients et les collaborateurs, elles n’attireront plus les talents, les banques ne les suivront plus. Les investisseurs ont besoin de savoir quelle boîte sera encore là dans 20 ans.
Quelle serait la conséquence principale d’un détricotage de la CSRD ?
Si la Commission européenne décide de tout flouter, nous n'avons plus accès aux datas. Donc, en fonction de sa décision puis de la ratification par le Parlement, cela peut nous amener soit à déférer d’un an, soit à modifier nos critères parce que certains chiffres ne seront pas rendus publics.
Je considère que la CSRD gagnerait à être simplifiée, mais il ne faut surtout pas la reporter ou la supprimer. On ne progresse que sur ce qu'on mesure et on ne progresse que lorsque l'on se compare. En matière financière, les bilans des entreprises sont normés depuis très longtemps, ce qui permet de comparer les performances économiques. Il n'y a pas de raison que la performance ESG ne puisse pas être lue de la même façon.
Une disparition ou un allègement trop important de la CSRD n’est pas un service rendu ni aux citoyens, ni aux entreprises, parce qu'elles n'auront pas les moyens de se comparer et de savoir ce sur quoi leurs concurrents sont en avance. Ce n’est pas un service rendu aux investisseurs non plus. Les entreprises mauvaises en ESG vont se faire rattraper par les clients et les collaborateurs, elles n’attireront plus les talents, les banques ne les suivront plus. Les investisseurs ont besoin de savoir quelle boîte sera encore là dans 20 ans.