Les pays riches comme les économies en développement vont devoir considérablement avancer leurs objectifs de neutralité carbone.
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Les crédits carbone: mode d'emploi, selon l'accord de Paris

Un pays bon élève dans la réduction de ses émissions de gaz à effet de serre peut-il se faire payer par un mauvais élève? C'est ce que prévoit un article méconnu de l'accord de Paris, en passe d'entrer enfin en vigueur malgré les risques de "greenwashing".

L'accord historique sur le climat adopté en 2015 par 195 pays laisse chaque pays fixer ses propres objectifs de réduction des rejets de gaz à effet de serre.

Dans son article 6, il permet aussi à un pays de réaliser une transaction avec un autre pays pour réduire davantage son bilan carbone, en échangeant des volumes de réductions d'émissions de gaz à effet de serre. Mais ces règles n'ont pas encore été finalisées à la COP29, à Bakou.

Une autre partie de l'article 6 vise à standardiser le marché aujourd'hui non réglementé des crédits carbone entre pays ou entreprises, avec un organisme de l'ONU pour le superviser. Ces nouvelles règles ont elles été adoptées lundi au premier jour de la conférence de l'ONU.

Accords entre Etats

Imaginez un pays bon élève qui dépasserait ses objectifs de baisse des émissions. Ce pays, au lieu de le faire gratuitement, céderait ce bonus d'émissions à un pays qui serait trop lent à se décarboner, en général un pays riche, grâce à l'article 6.2 de l'accord de Paris.

Un exemple réel illustre ce cas de figure: la Suisse a déjà acheté cette année des crédits à une société thaïlandaise qui finance l'achat de bus électriques à Bangkok. Cela ne fonctionne que si seule la Suisse, et non la Thaïlande, comptabilise la réduction dans son bilan carbone, afin d'éviter un double comptage.

Plusieurs pays ont déjà conclu des accords bilatéraux estampillés "article 6.2" avant même l'adoption formelle des règles à l'ONU. Mais les détracteurs de ce mécanisme dénoncent un passe-droit donné à certains pour ne pas réduire leurs propres émissions, puisqu'il leur suffirait de payer pour se dire en ligne avec l'accord de Paris.

Plusieurs pays pétroliers sont très intéressés par ce type de transactions avec des pays ayant de grandes forêts, qui peuvent absorber et stocker du CO2 par la photosynthèse. La COP29 pourrait voir un texte soumis aux pays d'ici sa conclusion le 22 novembre.

Un marché de crédits enfin réglementé

L'accord de Paris va plus loin en proposant d'établir des règles communes pour établir pour Etats et entreprises un marché fiable de crédits carbone, alors que ceux-ci sont aujourd'hui très controversés et minés de scandales.

Des milliers d'entreprises, non contraintes de réduire leurs émissions, clament aujourd'hui sur leurs emballages ou dans leurs publicités être "neutres en carbone". En réalité, elles rejettent des tonnes de CO2 dans l'atmosphère, mais signent des chèques pour annuler, sur le papier, leurs émissions.

Les chèques financent des projets en Amérique latine, en Asie ou ailleurs pour protéger des parcelles contre la déforestation, pour replanter des arbres ou remplacer des centrales à charbon par des champs solaires. A chaque tonne supplémentaire de CO2 absorbée par les arbres, ou économisée grâce au solaire, correspond normalement un crédit, vendu aux entreprises.

Mais la réalité des bénéfices de ces crédits est douteuse, plusieurs études scientifiques ayant montré que les réductions d'émissions sont largement surestimées, voire nulles. Le marché actuel entre entreprises, dit "volontaire", n’est pas régulé et les seules normes existantes sont issues d’organismes privés non indépendants.

L'accord de Paris (article 6.4) vise à créer une réglementation au niveau de l'ONU pour permettre aux Etats d'acheter des crédits de qualité, afin de les aider à atteindre leurs objectifs climatiques. Un organe de supervision onusien a écrit les méthodologies qui permettront de certifier ces crédits; elles ont reçu un feu vert de la COP29, et le marché entre entreprises devrait s'aligner dessus.

D'autres textes devront suivre pour établir pleinement un marché fiable, mais la décision de lundi va mettre en branle un mécanisme attendu par les Etats depuis l'accord de Paris. Des ONG et experts ont toutefois dénoncé le passage en force des nouvelles règles, critiquant un manque de débat et de transparence.

Au-delà, Greenpeace maintient que les marchés carbone sont une faille "exploitée par les pollueurs pour continuer à détruire le climat".

Avec AFP.