La 16e Semaine de la qualité de vie au travail s’ouvre ce lundi 17 juin, et l’enjeu est d’importance ! La QVT, comme on l’appelle également, est la préoccupation principale des Français concernant le travail. Ils la placent même en premier (59 %) devant le pouvoir d’achat (58 %) selon une étude réalisée par BVA pour Salesforce.
Pour répondre à ce besoin, certaines entreprises ont décidé de mettre en œuvre un nouveau modèle managérial : c’est l’entreprise libérée. On ne parle pas ici de la mode "start-up" qui consiste à améliorer l’ambiance au travail en installant des baby-foot, des tables de ping-pong, ou des même des consoles de jeu dans les espaces détentes des sociétés. Ces divertissements ne sont parfois qu’une illusion de modernité managériale. À quoi bon pouvoir se défouler à la pause déjeuner si c’est pour arriver et repartir déprimé à des heures indécentes ?
Théorisé par Isaac Getz et Brian M. Carney en 2012, le concept d'entreprise libérée repose sur la prise d’initiatives des salariés au sein de leur société. Dans une entreprise libérée, tous les employés ont un pouvoir de décision - à différents niveaux en fonction de leur poste - au lieu de se voir imposés des directives et des contrôles venus d’en haut.
Il s’agit de faire confiance à ses collaborateurs pour prendre les bonnes décisions et faire progresser l’entreprise. Dans ce système, la hiérarchie classique est remplacée par une structure horizontale basée sur des règles définies collectivement, dans laquelle les collaborateurs s’auto-dirigent.
Ce concept ressemble à celui d’holacratie, dont nous vous avions déjà parlé. Pourtant, ce n’est pas la même chose. L’holacratie propose aussi de casser la structure pyramidale classique pour redistribuer le pouvoir de décision au sein d’équipes plus autonomes, en proposant un modèle-type applicable aux entreprises. L’entreprise libérée ne propose, elle, aucun schéma pré-établi, c’est plutôt une philosophie flexible qui peut être adaptée et modulée selon les besoins et l’organisation de l’entreprise.
La France est assez en retard sur les nouveaux modes de management en entreprise. Selon l’enquête européenne Eurofund 2015 sur les conditions de travail, 31% des salariés français déclarent pouvoir influencer les décisions importantes dans la vie de l’entreprise. Cela place notre pays avant-dernier en Europe, derrière la Slovaquie.
Pourtant, cette méthode de management semble améliorer significativement le bien-être au travail. L’Institut Gallup considère que les salariés des "entreprises libérées" seraient plus impliqués dans leurs missions et développeraient un attachement fort à leur entreprise, parfois même affectif. Selon un sondage en ligne réalisé par Toluna pour l'entreprise Interface le 27 mai 2019, 33 % des personnes interrogées estiment que plus d’autonomie et de perspective d’évolution dans leurs missions les rendraient plus performants. Cette question est aujourd’hui au centre des préoccupations des salariés. Selon le même sondage, 73 % d’entre-eux considèrent que la qualité de vie au travail est même aussi importante que le salaire !
Cela permet aussi aux entreprises de perdre moins d’argent. Comme nous l’expliquait Thomas Coustenoble, président de Happytech, le coût du mal-être au travail "s’élève à 12 000 euros par an et par salarié. On sait également que la France est dans le dernier classement de l’OMS le troisième pays en termes de dépressions liées aux environnements professionnels."
Une bonne qualité de vie au travail induit également une meilleure productivité des employés, selon l’étude 2015 de Terra Nova "La qualité de vie au travail : un levier de compétitivité" en partenariat avec La Fabrique de l’industrie et l’Anact. L’engagement des salariés aurait un impact direct sur les performances de la société, et la rendrait plus attractive aux yeux de futurs collaborateurs. Terra Nova s’appuie notamment une étude de l’Institut Gallup de 2013 qui affirme que les unités de production où l’engagement salarial est le plus fort affichent un niveau de productivité 21 % plus élevé que les autres.
Toutefois, les gains de productivité ne sont pas l’objectif de l’entreprise libérée, selon l’inventeur du concept, Isaac Getz, qui confiait à l’Usine Nouvelle en janvier 2018 : "Ceux qui pensent que l’entreprise libérée est un moyen de réduire la masse salariale ou même d’améliorer radicalement la performance économique n’ont pas vraiment saisi cette philosophie." À méditer...
*enquête Odoxa/Dentsu Aegis Network pour Franceinfo 3 au 5 avril 2018