En cause, un virage à 180 degrés sur la question cruciale de l'utilisation de crédits carbone pour compenser les émissions de gaz à effet de serre de la chaîne de valeur d'une entreprise.
Le bilan carbone d'une entreprise est composé de ses émissions de gaz à effet de serre liées à ses opérations propres (scope 1 et 2) et des émissions liées à sa chaîne de valeur, c'est-à-dire de ses fournisseurs ou encore de l'utilisation de leurs produits ou services par leurs clients (scope 3).
Pour certains secteurs, par exemple les fournisseurs de carburants, ce scope 3 peut représenter la grande majorité des émissions. La "Science based target initiative" (SBTi), un comité fondé par le Pacte mondial des Nations-Unies, le WWF, le World Resources Institute et le CDP, valide les plans de réduction des émissions des entreprises et leur cohérence avec l'accord de Paris, qui vise à limiter le réchauffement climatique à 1,5°C.
La compensation, qui consiste à financer des projets permettant de réduire les émissions de CO2, était jusqu'à mardi incompatible avec la méthodologie SBTi.
Mais désormais, les entreprises qui achètent des crédits carbone -- un crédit équivalant à une tonne de CO2 retirée ou empêchée de rentrer dans l'atmosphère grâce à un projet -- pour compenser les émissions de leur chaîne de valeur pourront obtenir le tampon SBTi. Une méthodologie doit être publiée d'ici juillet.
La crédibilité des crédits carbone ayant été profondément entachée ces dernières années par des enquêtes et scandales, la décision a fait bondir en interne mais aussi les experts. Les crédits carbone sont accusés d'être utilisés par les entreprises comme un passe-droit pour continuer à polluer.
- Revirement drastique -
Dans une lettre consultée jeudi par l'AFP, de nombreux employés de la SBTi accusent le conseil d'administration d'avoir pris cette décision sans consultation, en contradiction avec la science et au détriment de la réputation de l'organisation.
"Nous sommes prêts à soutenir tout effort qui permettra d'éviter que la SBTi ne devienne plus une plateforme de greenwashing où les décisions sont influencées par des lobbyistes, pleines de conflits d'intérêt et sans respect des procédures de gouvernance", affirment-ils en demandant la démission du PDG et du conseil d'administration.
Sollicitée, la SBTi n'a pas réagi dans l'immédiat. Gilles Dufrasne, expert pour Carbon Market Watch qui siège au comité technique de la SBTi, dénonce un "demi-tour fondamental dans la stratégie" de l'organisation. "C'est pratiquement un putsch de la part du conseil d'administration", affirme-t-il à l'AFP.
Selon lui, un membre du comité technique a déjà démissionné. "Je ne suis pas sur que la crédibilité de l'institution survive" à cette crise, ajoute cet expert de référence. Plus de 4.000 entreprises, dont de nombreuses multinationales parmi les plus importantes au monde, ont soumis leurs objectifs environnementaux à la SBTi, dont le tampon est fièrement affiché par ceux qui l'obtiennent.
Cette décision est "extrêmement préjudiciable" puisque le signal envoyé aux entreprises est qu'elles peuvent payer quelqu'un d'autre pour atteindre leurs objectifs de réduction d'émission, conclut Gille Dufrasne.
"Le SBTi a donc visiblement cédé devant la pression d'entreprises qui ont bien compris qu'une réduction de 90% de leurs émissions d'ici à 2050 ne pouvait avoir lieu sans une transformation radicale de leurs modèles d'affaires - chose qu'elles n'ont pas du tout envie de faire", a commenté sur X César Dugast du cabinet Carbone 4.
A l'inverse, la coalition We Mean Business, composée d'entreprises actives dans les négociations climat, s'est félicitée auprès de l'AFP de la décision: "Cette réforme permettra d'ajouter un outil scientifique à disposition des entreprises pour accélérer l'action nécessaire face au changement climatique".
Avec AFP.