Quatre mégas-usines de batteries électriques vont voir le jour dans le nord du pays dans les mois à venir.
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Id décrypte

Gigafactories : des usines pour la transition ?

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Réindustrialiser le pays au nom de l'écologie ? Tel est l'engagement pris par le gouvernement qui s'appuie sur les voitures électriques et une nouvelle façon de produire : les gigafactories. Décryptage.

"Nous avons une transformation à faire de notre tissu industriel et productif si on veut relever le défi du changement climatique", a déclaré Emmanuel Macron le 11 mai devant les journalistes, dévoilant sa stratégie "d’industrialisation décarbonée". Le Président a défendu sa politique "d’investir massivement dans plusieurs plans dès 2018 sur les batteries", et annoncé dans la foulée la construction d’une nouvelle usine de batteries électriques par l’entreprise taiwanaise ProLogium à Dunkerque (Nord). La voiture électrique devient l’emblème du renouveau de l’industrie française.

Selon l’Ademe, l’agence de la transition écologique, "une voiture électrique roulant en France a un impact carbone 2 à 3 fois inférieur à celui d’un modèle similaire thermique". La transition de l’industrie automobile du thermique à l’électrique est de plus poussée par l’Union européenne, qui a acté en octobre la fin des moteurs à essence en 2035 dans la zone. Des efforts enfin motivés par le poids des puissances étrangères dans la course à l'électrique. Selon le ministère de l’Économie, "près de 70 % des capacités de production mondiale de batteries de véhicules électriques sont localisées en Chine". Réindustrialiser au nom de l’écologie, un pari réellement tenable ? ID a mené l'enquête.

Des usines pour l’écologie et la souveraineté

Pour rattraper ce retard, la France comme d'autres pays européens misent sur des usines d'un nouveau type : des "gigafactories", ou mega-usines. Le terme a été imaginé en 2014 aux États-Unis, par Elon Musk pour désigner son usine Tesla géante au Nevada. Jacques Boonaert, enseignant-chercheur à l’IMT Nord Europe, est associé au programme Electro’mob, projet de formation des ingénieurs en partenariat avec les gigafactories françaises. Il nous explique les différences fondamentales avec une usine traditionnelle. "Les gigafactories devraient avoir une capacité totale de stockage d’énergie dans les batteries d’environ 25 gigawattheures à horizon 2030. Ce sont de très gros chiffres par rapport à une usine 'classique', que l'on peut atteindre grâce à leur grande taille. Surtout, plusieurs métiers viennent se superposer dans la gigafactory : production des cellules des batteries, tests, assemblage et conditionnement. Cela permet aussi de réaliser des économies d’échelle". Et ainsi d'espérer atteindre l’objectif de deux millions de véhicules électriques produits en France, fixé par le plan France 2030.

En Europe, on arrive après les autres, il y a un gros effort à faire sur la formation dans ces usines, et très rapidement" - Jacques Boonaert, enseignant-chercheur à l'IMT Nord Europe

La région Hauts-de-France accueillera d’ici quelques mois quatre gigafactories de batteries électriques. Surnommé la "vallée de la batterie électrique", le nord de la France s’appuie largement sur ces usines gigantesques pour redynamiser l’emploi dans l’ancien bassin minier. Selon les chiffres de la région, plus de 13 000 emplois vont être créés à l’horizon 2026 grâce à l’activité de ces méga-usines.

Les Taiwanais de ProLogium rejoignent donc Verkor à Dunkerque (Nord), Envision à Douai (Nord), et Automotive Cells Company, une coentreprise des géants Stellantis, TotalEnergies et l’allemand Mercedes-Benz, à Douvrin, dans le Pas-de-Calais. Gilles Normand, président de ProLogium Europe, affirme vouloir "contribuer au développement de la ‘Battery Valley’ dans le Nord de la France et accélérer la transition vers la neutralité carbone".

Une industrie encore polluante

Reste que la construction d’usines gigantesques n’est pas sans aucun risque pour l’environnement. Dans son avis paru en février 2023 sur le projet de construction de l’usine Verkor à Dunkerque, l’Autorité environnementale précise que "le dossier se cale sur les obligations environnementales réglementaires", mais recommande à l’entreprise de chiffrer plus précisément les conséquences écologiques d’une telle installation, des émissions de CO2 de la production, des risques sanitaires d’un site SEVESO (à haut risque) ou des émissions liées aux déplacements automobiles. "Ces projets auront des effets directs importants sur les trafics et les incidences induites sur l’environnement".

infographie gigafactories

 

Si en France, les projets de gigafactories ont été soutenus par les pouvoirs publics et les habitants, ce n’est pas le cas partout. En Allemagne, l’usine Tesla construite près de Berlin est vivement critiquée par les militants écologistes. Ces derniers accusent l’entreprise américaine de mettre en péril les ressources en eau potable de la région. Car la production de batteries est très demandeuse en eau. Gerlinde Schermer, porte-parole de l’association Berliner Wassertisch, déclarait lors d’une manifestation : " Les moteurs électriques sont 'glorifiés', tandis que les problèmes sont minimisés. Tesla à Grünheide signifie une énorme consommation d’eau dans l’une des régions les plus sèches d’Allemagne, où le niveau de la nappe phréatique baisse depuis trois ans !".

Autre critique récurrente, le poids environnemental et social de l’extraction des minerais, essentiels à la fabrication des composants des batteries. En février 2022, un rapport du Commissariat général au développement durable rappellait que l’extraction minière à ciel ouvert dans des pays "où les règles environnementales sont peu développées", comme la Chine, le Brésil, ou le Mozambique, avait de lourdes conséquences sur la déforestation, l’érosion des sols, ou encore la pollution des eaux.

"Dans le salar d’Atacama, au Chili, les activités minières ont consommé 65 % des ressources en eau" dans l’extraction du lithium, précise le rapport. Ses auteurs alertent : "le développement exponentiel du marché du véhicule électrique va induire une forte augmentation de la consommation des métaux de batteries. […] L’accès à des ressources qui concilie coûts compétitifs et approvisionnement responsable pourrait devenir le principal défi pour permettre l’acceptabilité et l’accessibilité des véhicules électriques".

Recyclage et innovations vertes

Dans ce sens, le Parlement européen votera le 13 juin prochain une proposition de règlement pour encadrer l’extraction des composants, la production, et la gestion de fin de vie des batteries. Un approvisionnement transparent et responsable en matières premières serait par exemple imposé à tous les constructeurs.

Ce règlement européen a aussi pour objectif "de construire une industrie européenne du recyclage plus forte, notamment pour le lithium, et un secteur industriel compétitif dans son ensemble " selon Achille Variati, rapporteur italien du texte. Le recyclage des batteries, qui intervient en général après une dizaine d’années d’utilisation, pourrait réduire drastiquement l’extraction de minerais rares dans les années à venir. Selon un rapport de l’Université de Sydney, la demande mondiale du lithium pourrait diminuer de 25 % en 2040, et jusqu’à 55 % pour le cuivre par exemple, grâce au recyclage.

Le français Orano s’est associé au chinois XTC pour construire deux usines de composants et de recyclage des batteries à Dunkerque, à proximité des gigafactories, qui devraient ouvrir en 2026. Emmanuel Macron a de même annoncé le 11 mai la création dans les prochaines années d’une mine de recyclage de lithium dans l’Allier.

La technologie en développement de batteries solides représente un autre espoir de verdissement de l’industrie. Contrairement aux batteries actuelles, les batteries solides pourraient stocker plus d’énergie avec moins de matériaux. Elles seraient aussi moins dangereuses. Selon une étude commandée par l’ONG européenne Transport & Environnement, les batteries solides pourraient réduire jusqu’à 39 % leur empreinte carbone, "si elles étaient fabriquées avec des matériaux provenant des sources les plus durables". La gigafactory ProLogium annoncée en mai dernier par Emmanuel Macron s’est spécialisée dans la production de ces batteries nouvelles générations.

Jacques Boonaert assure de-même travailler à "l’amélioration continue des procédés, pour les rendre plus efficaces et frugales en consommation de matières premières et d’énergie". Pour Marie Chéron, responsable des politiques véhicules chez Transport & Environnement France, "l’empreinte carbone des batteries diminue chaque année".

 

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