Les membres du collectifs Scientist Rebellion à Nice.
©Scientist Rebellion/Eve Saint-Germes
Education/Citoyenneté

Scientist Rebellion : "Pour être entendu, il faut sortir des labos"

L’inaction climatique provoque une révolte chez les chercheurs du mouvement “Scientist Rebellion”. Entretien avec Eve Saint-Germes et Aurélien Crida, tous deux membres du collectif.

Les chercheurs s’insurgent contre l’inaction climatique. Eve Saint-Germes, maîtresse de conférence en gestion et Aurélien Crida, maître de conférence en astrophysique à l’Université de Côte d’Azur témoignent, en tant que membres de "Scientist Rebellion", un mouvement de scientifiques qui luttent pour sensibiliser la population à la question climatique.

Est-ce le rôle des scientifiques d’aller jusqu’à la désobéissance civile ? 

Eve : Le rôle des scientifiques est avant tout de créer des connaissances et de les faire circuler. C’est notre devoir d’aller encore plus loin en devenant des lanceurs d’alerte et des activistes. Il s’agit bien d’une rébellion, le mouvement a pour vocation d’alerter. Je pense que la désobéissance civile est indispensable car l’urgence est là. 

Aurélien : Je pense que le rôle des scientifiques n’est pas d’abord de désobéir mais de produire des connaissances dont les politiques et le peuple peuvent s’emparer pour prendre des décisions. Mais depuis trente ans les chercheurs nous montrent que l’on se dirige vers une catastrophe climatique. Le dernier rapport du Giec, nous indique que la situation sera dramatique si l’on n'agit pas à très court terme.

Nous avons l’impression d’être dans le film “Don’t Look up”, nous sonnons l’alarme et tout le monde s’en moque donc nous essayons autre chose. "

Vous prenez des risques en désobéissant, estimez-vous que le jeu en vaut la chandelle ?

Eve : Il y a une prise de risque mais nous sommes prêt. Je ne vois pas d’autres moyens d’agir étant donné cette inaction. Les rapports du Giec ont un ton de plus en plus inquiétant. Il est indispensable de sortir de sa zone de confort et de prendre ce rôle de lanceur d’alerte. Pour être entendu, il faut sortir des labos et du discours scientifique classique. 

Aurélien : Pour l’instant nous n’avons pas mené d’actions “à risque”. À Nice, notre but était de sensibiliser avec des conférences sauvages sur les campus entre 12h et 14h. Nous y expliquions les tenants et les aboutissants du changement climatique à ceux qui passaient par là pendant leur pause déjeuner. Ces conférences ont reçu un bon accueil. Le risque serait de ne rien faire et que dans dix ans de graves événements climatiques surviennent, comme la tempête Alex qui a durement touché les vallées des Alpes-Maritimes. 

L’approche scientifique est-elle libre de toute opinion ?

Aurélien : Le rapport du Giec se base sur des travaux publiés par des experts selon la méthode scientifique. Ils collectent des données, les analysent, rédigent des articles qui sont ensuite soumis à un journal. Puis un relecteur anonyme vérifie les travaux et propose des modifications. Ensuite l’article est publié. Il s’agit de la méthode de relecture par les pairs, c’est ainsi qu’est produit le corpus de connaissances. Il y a plusieurs dizaines de milliers d’articles publiés qui ont été analysés par plusieurs centaines de scientifiques du Giec. Leurs rapports sont produits sur cette base. Cela n’a rien à voir avec les propos d’un polémiste à la radio qui explique que “ce matin il faisait froid donc il n’y a pas de réchauffement climatique”. La méthode scientifique est solide. Le Giec n’expose pas une opinion, mais des faits. 

Quels sont les profils que l’on retrouve dans votre collectif ?

Eve : Il est dangereux de considérer que nous ne sommes que des militants. Les connaissances scientifiques dont on connaît l’exigence nous amènent à vouloir faire circuler ce savoir. Être militant ici, c’est faire preuve de raison. Nous voulons faire pression sur les gouvernements et embarquer avec nous la société civile. Les scientifiques travaillent avec rigueur depuis des années pour prouver ces faits. Il faut appuyer sur les boutons de la raison pour mobiliser tout le monde et pour agir immédiatement de manière juste. Il ne faut pas opposer militantisme et raison. 

Quelles sont les disciplines représentées dans le collectif ?

Aurélien : Nous sommes une trentaine de personnes à Nice et toutes les disciplines sont représentées. La plupart des scientifiques ne sont pas des activistes. Mais leur prise de conscience du changement climatique leur fait ressentir un besoin d’agir.

Eve : Les profils sont assez variés en termes d'âge, de genre et de discipline. Les sciences sociales sont peut-être un peu moins présentes que les sciences physiques, biologiques ou astronomiques. De plus, ce sont des personnes qui ont une sensibilité pour l’environnement et qui rencontrent probablement des difficultés à trouver une arène pour les représenter. Le fait d’avoir un mouvement qui se structure nous aide et nourrit notre envie d’agir.  

Est-ce qu’écrire ne suffit plus quand on est scientifique ?

Aurélien : Publier ne suffit plus. Le travail des scientifiques ne prend pas dans le débat public car certains individus, journalistes ou influenceurs, le déforment ou émettent une opinion différente. Aujourd’hui, toutes les opinions se valent et il faut simplement faire le buzz. La production de connaissances scientifiques ne suffit plus, nous devons nous mobiliser et alerter. Autrement, la communauté scientifique finira comme l’orchestre du Titanic qui continue à jouer pendant que le bateau coule. Nous savons que le bateau coule, maintenant il faut agir, rester dans nos bureaux ne suffit plus. 

Aviez-vous déjà participé à ce type de démarches ?

Eve : J’adhère pour la première fois à un mouvement aussi radical. J’ai déjà participé à des manifestations ou des pétitions, mais jamais sous cette forme-là. Je vois au sein de la communauté l’inquiétude et la panique de mes collègues et je vois que leurs voix ne sont pas entendues. Le fait qu’il s’agisse de chercheurs me pousse encore plus à m’engager car je me sens dans mon rôle et je peux aussi porter la voix de mes collègues qui travaillent directement sur le sujet. 

Aurélien : Je suis sensible aux questions environnementales depuis plusieurs années, mais je n’ai jamais été particulièrement actif. Aujourd’hui, il y a une conjonction de facteurs qui fait que l’urgence est de plus en plus présente. Le mouvement Scientist Rebellion représente exactement ce que je pense et c’est un rôle que je peux tenir étant donné ma position d'astrophysicien. Je me sens à ma place dans cette action, il s’agit d’une opportunité pour être acteur et pas seulement observateur de la catastrophe. 

Une interview réalisée en partenariat avec France Inter. Écoutez la chronique Social Lab ici.

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