Le journaliste Fabrice Nicolino.
©Agence Anne et Arnaud
LES ENGAGÉS

Le mouvement des coquelicots compte bien en finir avec les pesticides

Fabrice Nicolino, journaliste à Charlie Hebdo, lance ce 12 septembre "le mouvement des coquelicots". Un appel assorti d'une demande claire et directe : que soient interdits tous les pesticides en France. 

"L'exposition aux pesticides est sous-estimée par un système devenu fou, qui a choisi la fuite en avant". Voici ce que dénonce l'"Appel des coquelicots" publié dans le numéro spécial pesticides de l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo en date du 12 septembre. Fabrice Nicolino, journaliste spécialisé dans les questions environnementales et rescapé de l'attaque contre Charlie Hebdo, précise qu'il s'agit aussi de "l'Appel des 100", car celui-ci est actuellement signé par 100 personnes inconnues du public. Sa demande : l'interdiction de tous les pesticides (de synthèse) en France. "Assez de discours, des actes", lance-t-il, ajoutant que "l'objectif, cinglé, est de réunir au moins cinq millions de soutiens en deux ans d'une mobilisation intense". 

Dans son appel relayé par Charlie Hebdo, les pesticides sont décrits comme "des poisons qui détruisent tout ce qui est vivant" et comme "une tragédie pour la santé", provoquant "des cancers, des maladies de Parkinson, des troubles psychomoteurs chez les enfants, des infertilités, des malformations à la naissance". Fabrice Nicolino estime ne plus reconnaître son propre pays, où la nature est "défigurée". Il co-signe à ce sujet avec François Veillerette, directeur de l'ONG Générations futures, un livre-manifeste baptisé Nous voulons des coquelicots (éd. Les Liens qui Libèrent). 

Pour en savoir plus sur ce mouvement apolitique et cet ouvrage, ID a précisément parlé "coquelicots" avec François Veillerette.

François Veillerette, directeur de l'ONG Générations futures

©Nadine Lauverjat

Pourquoi avoir décidé de lancer le mouvement "des coquelicots" ?

On pourrait penser que cela a un lien avec la démission de Nicolas Hulot, mais pas du tout. Cela ne se prépare pas en cinq minutes, on travaille dessus depuis des mois. Cette décision est intervenue près avoir constaté que différents plans pour la réduction de l'usage des pesticides ne fonctionnaient pas : il y a un ras-le-bol populaire. Visiblement, nous ne sommes pas entendus. On voit bien avec les discussions sur la loi Alimentation que le résultat n'est pas bon. On a fait quelques avancées sur les néonicotinoïdes mais c'était déjà décidé par le gouvernement précédent. Et il n'y a pas moyen d'avoir une loi sur le glyphosate. 

Vous déplorez notamment les impacts des pesticides sur la santé humaine...

Il ne se passe pas une semaine sans que d'importants impacts ne soient publiés : ils sont dramatiques. Ce n'est plus l'heure de faire uniquement des études et d'observer. C'est l'heure de prendre des mesures pour éliminer fortement l'exposition des populations. Cela passe par une vision de sortie des pesticides, de changement de modèle agricole. Et aujourd'hui, on n'est pas là-dedans au niveau gouvernemental. On n'a pas envie de rediscuter : pour le glyphosate, il y a eu des années de discussions pour arriver finalement à rien. Et il ne s'agit que d'une molécule ! L'objectif, désormais, est de sortir des pesticides chimiques. Il faut amener l'agriculture ailleurs et assurer sa mutation complète. 

On ne peut pas être en bonne santé sur une planète malade. François Veillerette, directeur de Générations futures

Et au niveau de la biodiversité ?

Au niveau de la biodiversité, c'est la moitié des papillons qui ont disparu en vingt ans, les insectes pollinisateurs qui meurent aussi et je ne ferai pas la description de ce qui arrive aux abeilles avec les insecticides. Il y a aussi un tiers des oiseaux qui ont disparu en quinze ans... Les cris d'alarme poussés ces derniers mois par les scientifiques sont absolument effrayants. Nous assistons à un véritable effondrement de la biodiversité. Or, elle n'est pas là juste pour décorer : si ces écosystèmes s'effondrent, c'est l'ensemble des conditions de vie sur Terre qui vont s'effondrer aussi, y compris les capacités de production agricole. On ne peut pas être en bonne santé sur une planète malade.

Vous estimez qu'il n'y a pas de volonté politique à ce niveau ?

Il n'y a qu'à écouter ce qu'affirme Nicolas Hulot : il a clairement dit qu'il n'y avait pas de volonté politique, les lobbies venant régner en maître. Aujourd'hui, au niveau du climat, il y a le même ras-le-bol populaire. On arrive à un moment où la population a pris conscience des problèmes. Il faut qu'elle se manifeste massivement. Quand on voit qu'on a eu 115 000 manifestants pour le climat ce week-end, c'est quand même déjà important et c'est assez rare sur des questions environnementales. Cela doit être la même chose pour les pesticides. Il y a urgence à agir, parce que la crise environnementale et sanitaire est là. 

Le livre-manifeste Nous voulons des coquelicots, que vous co-signez avec Fabrice Nicolino, accompagne d'ailleurs cet appel...

Avec Fabrice, on se connaît depuis longtemps. Nous avons déjà écrit un livre ensemble sur le scandale des pesticides (ndlr : Pesticides : Révélations sur un scandale français, 2007, éd. Fayard). Nous ne voulions pas ici proposer une mise à jour de ce livre, mais publier plutôt un pamphlet, un manifeste qui, de manière ramassée, puisse expliquer un peu l'histoire de ces pesticides - leur origine est d'ailleurs souvent liée à l'histoire militaire -, mais aussi comment ce système a été promu au niveau de l'État et quelles sont aujourd'hui les connaissances sur le sujet. Et évidemment, pourquoi tout cela ne bouge pas. Avec ces éléments de base, écrits de manière vivante, on estime que les personnes ont de quoi être informées a minima. Ce livre se lit rapidement et permet de soutenir ce mouvement populaire de refus des pesticides. 

Les pesticides seraient partout aujourd'hui, d'après les analyses réalisées par quinze membres de Charlie Hebdo sur leurs cheveux et dont les résultats sont publiés dans le numéro du 12 septembre ?

Il y en a absolument partout. Ils en ont une quarantaine chacun et cela est dramatique (ndlr :  sur 140 pesticides et métabolites de pesticides recherchés, "80 ont été retrouvés au moins une fois"). Cet empoisonnement collectif et généralisé est absolument anormal et nous voulons en sortir. 

Pourquoi le coquelicot ?

Le coquelicot est un symbole utilisé dans d'autres contextes, c'est d'ailleurs un peu aussi pour rendre hommage aux victimes de la Grande Guerre. C'est une plante messicole, des cultures, des champs, qui avant, avec le bleuet, était bien représentée. Mais aujourd'hui, on n'en voit pratiquement plus parce que des désherbants sont passés par là. C'est une fleur toute légère, toute fragile, cela nous a semblé être un très beau symbole. Nous voulons des coquelicots car nous voulons revoir une agriculture qui tolère et qui protège les êtres vivants. On peut donc fièrement arborer cette très belle cocarde, très visible, avec un "stop pesticides" apposé dessus.

Monsieur Nicolino indique dans Charlie Hebdo qu'il aimerait que ce coquelicot "joue le même rôle que la petite main de SOS Racisme il y a trente ans"...

C'est l'idée. Nous voulons que tout le monde organise des événements et que ce mouvement nous échappe, quelque part. N'importe qui peut prévoir des événements dans son village, dans son quartier, pour promouvoir l'appel et demander la sortie des pesticides de synthèse. Sur le site Nousvoulonsdescoquelicots.org, les gens nous signaleront ce qu'ils font. Nous sommes sur une campagne à long terme qui pourrait durer deux ans, le temps que l'on obtienne un soutien suffisant : cela permettra à chacun de participer de manière volontaire, collaborative et créative à la campagne. 

Qu'attendez-vous dans deux ans ?

On espère que le gouvernement réagira. Il est plus que temps de prendre des mesures concrètes dans la loi. On est dans une situation étrange, comme pour le climat : des dizaines de milliers de personnes vont dans les rues et on ne prend pas la mesure des choses, on continue comme avant. C'est un peu à la mode, et cela touche clairement ses limites. 

Interdire tous les pesticides de synthèse, est-ce possible ?

Oui, c'est possible. Il y a des agriculteurs bio qui ne les utilisent pas, c'est déjà une réalité, et cela ne veut pas dire qu'ils ne produisent pas. Après, est-ce que cela mettra deux, trois, cinq ans, ce n'est pas ça qui compte. Ce qui compte, c'est qu'il y ait une affirmation d'une politique et sa mise en place. L'important, c'est qu'il y ait un plan crédible et une application honnête. On est toujours sur une agriculture basée sur l'utilisation de la chimie de synthèse, c'est ce que l'on veut changer. Nous ne proposons pas de revenir à l'agriculture d'avant la Deuxième Guerre : les connaissances scientifiques et agronomiques ont progressé et on va en bénéficier, mais sans les effets néfastes de l'utilisation systématique de la chimie.