Le projet musical One Song One Ocean a été réalisé à partir d'enregistrements sonores de mammifères marins.
© Gabriel Dizzi/Unsplash
Culture

Biodiversité : quand la musique donne à entendre les voix des océans

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A travers le projet musical One Song One Ocean, le label à impact social et écologique Mangroove Music mixe art et science pour faire découvrir une autre facette du monde marin et donner envie au plus grand nombre de s’engager pour la préservation des animaux qui peuplent ce milieu encore méconnu. Rencontre avec le fondateur du label, Olivier Covo, et l’océanographe François Sarano, référent scientifique sur le programme. 

On dit que la musique adoucit les mœurs. Mais est-ce son unique pouvoir ? Pour le label musical à impact positif Mangroove Music, elle peut aussi être un puissant levier d’action notamment pour sensibiliser à la protection du vivant. Après avoir dévoilé en 2022 plusieurs créations musicales autour de la protection des écosystèmes forestiers, dans le cadre de l’initiative One Song One Forest, le label revient avec un nouveau projet intitulé One Song One Ocean, dédié cette fois aux océans. Au programme : des ateliers, des conférences, des podcasts mais aussi un EP dont les titres sortiront progressivement jusqu’au printemps. Baptisé Deep Ocean, cet opus a été réalisé par les artistes Deep Forest et DeLaurentis qui ont composé leurs morceaux à partir d’enregistrements de sons de grands mammifères marins (baleines, cachalots) captés par des scientifiques. Dans une interview croisée, le fondateur du label, Olivier Covo, et l’océanographe et fondateur de l’association Longitude 181, François Sarano, dévoilent les coulisses de ce dialogue musical inédit. 

Pendant longtemps, les océans ont été considérés comme un univers silencieux. Cette croyance évolue à la lumière de plusieurs études scientifiques. Quel rôle joue en réalité le son dans le milieu marin ?  

François Sarano : Le son est essentiel pour la simple et bonne raison qu’il est difficile de voir clair dans l’océan, notamment à partir d’une certaine profondeur. En dessous de 200 mètres, la lumière ne passe plus. Pour percevoir leur environnement et communiquer entre eux, les animaux marins utilisent essentiellement les vibrations sonores. Hormis les requins et les raies, tous émettent des sons, y compris les tortues et les poissons qui se servent par exemple de leurs dents pour pousser des borborygmes ou faire entendre des claquements.  

Oliver Covo : En travaillant avec François Sarano et d’autres chercheurs sur ce projet, j’ai en effet été surpris de découvrir à quel point les paysages sonores marins sont denses. Ils sont saturés par les bruits des bateaux mais aussi par ceux des animaux.  

Sur les trois premiers titres dévoilés de l’EP Deep Ocean, on peut notamment écouter le chant des cétacés. Comment a-t-il été capturé ? 

François Sarano : Les sons sont enregistrés grâce à des hydrophones qui sont plongés dans l’eau à différentes profondeurs. Ces micros peuvent capturés pendant plusieurs mois les bruits du milieu de façon indifférenciée. Cela va du claquement des pinces des crevettes, en passant par les borborygmes des poissons grogneurs, aux chants des baleines. Mais on peut aussi utiliser ces appareils pour enregistrer de manière plus précise les sons de chaque individu. Quand on plonge avec les cachalots, on utilise cette technique pour mieux comprendre leur communication ainsi que leur mode de perception de leur environnement. On essaye d’associer des expressions sonores avec des comportements et des situations.  

Au cours de vos différents enregistrements, quels sons vous ont le plus marqués ? 

L'océanographe et plongeur François Sarano avec le cachalot Eliot.
© René Heuzey

François Sarano : Les chants les plus émouvants que j’ai eu à entendre sont ceux de la baleine à bosse. C’est une mélodie enchanteresse d’une puissance formidable. Chez les cachalots, ce qui est interpellant, ce n’est pas la force des sons en eux-mêmes mais plutôt leurs significations. Lorsqu’on est interpellé par un jeune cachalot qui vous invite à danser, c’est bouleversant. 

Olivier Covo : De mon côté, j’ai été marqué par la profondeur des clics du cachalot. Je n’ai pas eu l’opportunité de le vivre sous l’eau. Mais on sent que ça vibre dans tout le corps et que c’est rempli de significations. 

La musique "humaine" se mêle à ces mélodies marines. Quelle tonalité souhaitiez-vous lui donner ? 

Olivier Covo : L’idée n’était pas de créer une conversation directe entre un animal marin et des artistes terriens - qui ont chacun leur propre langage et leur propre univers, mais plutôt d’utiliser les différents sons comme des instruments de musique avec lesquels on peut jouer et composer. Les morceaux ont été réalisés par Deep Forest et DeLaurentis qui ont proposé plusieurs styles musicaux, avec des sonorités plus ou moins éloignées de l’univers marin. L’un des titres a notamment des accents techno et deep house très prononcés.  

François Sarano : Je reconnais que j’ai été assez surpris quand j’ai entendu ce morceau pour la première fois. Je me suis même dit que cela n’allait pas du tout, que cela ne collait pas avec l’univers des cachalots. Mais aujourd’hui, je trouve ce parti pris intéressant car cela permet de sensibiliser d’autres personnes, de toucher un public encore plus large. 

Les coulisses de l'EP "Deep Ocean"

Dans quelle mesure la musique peut-elle, selon vous, éveiller à la préservation de la biodiversité marine ? 

Olivier Covo : Le son a un pouvoir physiologique. Il peut activer le taux de cortisol dans le sang et être vecteur d’action. Il a aussi un pouvoir cognitif et peut stimuler l’imaginaire. Avec ce projet, on crée des "âmes-sons" pour planter du beau et du réel dans le coeur des auditeurs. Dans une société où les peurs autour du climat sont nombreuses et où les discours abondent, la musique offre une nouvelle caisse de résonnance. Comme le dit le compositeur Wagner, elle commence là où s’arrête le pouvoir des mots. 

François Sarano : En tant que scientifique, ce projet permet de sortir de notre entre soi. Les publications que nous faisons ne touchent qu’une centaine de personnes. Mais les livres que nous écrivons ou les films que nous réalisons ont la capacité de sensibiliser une centaine de milliers de personnes. 

En plus des conversations avec la mégafaune, les titres de l’EP abordent d’autres thématiques comme celle de la pollution sonore. Que sait-on de son impact sur le milieu marin ? 

François Sarano : La pollution sonore est gênante mais celle des bateaux est beaucoup plus grave. On l’observe au quotidien. De grands cétacés sont aujourd’hui découpés, mutilés, ensanglantés, à cause des collisions avec les cargos les paquebots et autres navires qui traversent leur habitat. La pollution plastique est un fléau tout aussi dévastateur. Partout dans le monde, lorsque l’on fait des autopsies des cadavres qui sont échoués sur les plages, on s’aperçoit que l’ensemble des cétacés ont des déchets plastiques à l’intérieur de leur estomac et de leur intestin.

Enfin, on découvre que les produits toxiques déversés dans les océans ont des conséquences sur les femelles primipares. Les métaux lourds qu’elles ingèrent sont stockés dans leur graisse remobilisée par les mères pour faire du lait et alimenter leurs petits. Dans certains endroits très pollués, les bébés meurent après avoir consommé ce lait particulièrement toxique. Chaque jour, avec les autres scientifiques de l’association Longitude 181, nous vivons dans notre chair leurs blessures. 

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