Au-delà des qualités nutritionnelles propres à chaque produit que nous achetons en magasin, qu'en est-il de leur impact sur le climat ? Quand il s'agit de préparer un repas entre amis, comment faire des choix alimentaires qui, en plus d'être sains, n'ont pas une empreinte carbone trop importante ?
Un entrepreneur a compris qu'afficher l'empreinte carbone sur les tickets de caisse était une bonne manière d'y voir plus clair sur nos achats les plus récurrents : les courses alimentaires. Une vingtaine de Biocoop a adopté l'initiative de Tickarbone. L'entreprise fait payer un abonnement annuel aux distributeurs faisant appel à ses services.
ID s'est entretenu avec Guillaume Desrocques, fondateur de Tickarbone, qui compte trois personnes.
Pouvez-vous me présenter Tickarbone et la genèse de ce projet ?
L'objectif de Tickarbone est de sensibiliser à l'empreinte carbone. Notre constat de base est que beaucoup de gens veulent faire des choses pour l'environnement mais ne savent pas par où commencer. J'ai moi-même été assez frappé de voir que beaucoup d'amis écolos très informés ne savaient pas quelle était l'empreinte carbone d'un paquet de pâtes ou d'un litre d'essence.
Pour faire une analogie, si on essaie de réduire sa consommation énergétique sans avoir de compteur électrique, sans savoir ce que consomme son radiateur, son ampoule et son grille-pain, on n'a aucune chance d'y arriver. Idem, si on met des limitations de vitesse sur la route mais que personne n'a de compteur de vitesse, il y a ceux qui iront très vite en se disant qu'ils s'en fichent et ceux qui se limiteront à 30 km à l'heure sur l'autoroute en se disant que c'est ce qu'il faut faire. Il y a une forme de culpabilité très importante chez les uns et au contraire une absence totale de conscience chez les autres. Cela peut créer beaucoup de tensions et d'animosité dans la société de manière générale.
L'idée, c'est de se détendre et de se dire que l'empreinte carbone de son panier de courses se mesure. Ce n'est pas un sujet abstrait, on peut se calculer soi-même un budget carbone.
Tout cela a commencé en 2021. Au départ, je travaillais dans l'industrie, dans les ballons dirigeables. J'ai souhaité par la suite en sortir et me tourner vers l'entrepreneuriat. Je me suis engagé dans l'écologie, mais j'ai été un peu déçu du milieu politique et de l'efficacité du milieu associatif. J'ai l'impression qu'on essaie de lutter contre des pelleteuses avec des pelles, ce n'est pas à l'échelle. Je me suis dit qu'il fallait lutter avec des moyens industriels contre un problème industriel. En 2021, Ticket For Change m'a permis d'accéder au parcours entrepreneur. J'ai développé mon idée et Biocoop a accepté un premier test sur une de ses caisses en décembre 2023. Nous avons depuis un peu plus d'un an d'expérience sur les premières Biocoop testées. Une vingtaine de Biocoop sont équipées (un peu partout en France), nous espérons atteindre la centaine d'ici l'été.
Nous espérons aussi entrer dans la grande distribution conventionnelle. Je recherche "l'éducation populaire", disons, mais à l'échelle industrielle. Je souhaite maximiser le nombre de fois où les gens vont entendre la notion de kilos carbone. Un de mes rêves serait qu'un acteur comme Leclerc ou Carrefour fasse de la publicité en disant "Profitez, en ce moment les poireaux sont à seulement 400 g de carbone chez nous !" Ce jour-là, nous pourrons considérer que nous avons fait un grand pas pour l'humanité.
Il y a vraiment la possibilité pour le consommateur d'activer cette connaissance. L'idéal, ce serait un monde où il y aurait des prix en carbone affichés à côté des prix en euros.
Comment, sur tous les produits alimentaires, parvenez-vous à calculer un score carbone ? Est-il possible de différencier celui-ci selon les marques ?
Nous ne différencions que très peu les produits exactement identiques en dehors du fabricant. Deux paquets d'un kilo de spaghetti du même magasin ont pour nous la même empreinte carbone. À ce stade, l'empreinte carbone est très difficilement calculable à l'échelle du fournisseur, tout simplement parce que les données n'existent pas. Par contre, nous sommes capables de différencier des modes de consommation.
Typiquement, c'est : "Est-ce que j'achète des spaghetti et de la sauce tomate et dans quelle quantité ? Est-ce que je prends plutôt du saucisson pour mon apéro, ou des tortillas chips avec du guacamole ?" Ce qui est intéressant, ce n'est pas de regarder la différence entre deux produits du même type : Yuka par exemple, le fait très bien, et d'autres applications également. Nous regardons plutôt au niveau du panier. Car ce n'est pas parce que j'ai acheté un saucisson mieux noté qu'un autre, que l'empreinte carbone est meilleure. Je peux peut-être faire mieux. De la même manière, si j'achète du beurre noté B ou C, il y a peut-être moyen de prendre un petit-déjeuner moins carboné que cela.
Comment déterminez-vous ces chiffres ?
Nous utilisons des bases de données qui sont celles de l'ADEME. Il s'agit de statistiques en termes notamment de recettes, de contenance et d'emballage.
L'idée est de conscientiser le consommateur sur ses choix alimentaires ?
Oui, c'est pour cela que je parle d'éducation populaire. Il y a vraiment cette notion de formation. Il y a vraiment la possibilité pour le consommateur d'activer cette connaissance. L'idéal, ce serait un monde où il y aurait des prix en carbone affichés à côté des prix en euros. Le problème, c'est qu'actuellement, nous ne sommes pas assez formés pour être capables distinguer les deux. La majorité des gens confondraient les deux et ne comprendraient pas.
L'idée, c'est donc de mettre un premier vernis de connaissances. Les informations que nous souhaitons faire passer sont : 1- Votre consommation a un impact ; 2- Cet impact se mesure en kilos ; 3- L'ordre de grandeur d'un panier de supermarché sera entre 30 et 70 kilos de carbone, ce qui est à la fois réduit par rapport à un vol en avion et en même temps important parce qu'on le fait toutes les semaines. Cela constitue à la fin de l'année entre 20 et 30 % de son impact.
A-t-on une idée du poids carbone moyen d'un plein de courses moyen en France ?
Oui, c'est en moyenne 0.65kgCO2e/€. Un panier de 100 € émettra en moyenne 65 kgCO2e. Ce taux est environ 2,3 fois plus faible chez Biocoop, notamment parce qu'ils vendent en proportion moins de viande et de produits transformés.
Quel objectif vous êtes-vous fixé pour la suite ?
Atteindre 5 % des clients de la grande distribution d'ici cinq ans.