Edouard Philippe en visite à l'usine SEB à Mayenne.
©CHARLY TRIBALLEAU / AFP
Conso

Cinquante mesures pour l'économie circulaire : ce qu'en pensent les acteurs de terrain

Après plus de six mois de concertation, cinquante mesures ont été présentées par le gouvernement le 23 avril dernier à travers sa feuille de route dédiée à l'économie circulaire. Sont-elles à la hauteur des espérances des praticiens ? Premières réactions "à chaud" de ces derniers. 

C’était une promesse annoncée par Brune Poirson, secrétaire d’Etat auprès du Ministre d’Etat de la Transition écologique et solidaire, le 28 septembre 2017 : établir une feuille de route dédiée à l’économie circulaire (FREC) comprenant des mesures concrètes pour atteindre les objectifs du Plan climat, en application de la loi LTECV (Loi de Transition Energétique pour la Croissance Verte). Après plus de six mois d’élaboration, 50 mesures sont tombées. Sont-elles à la hauteur des espérances ? Retour des acteurs de terrain sur les retombées concrètes.    

Les bons points : levier fiscal, plus de filières REP et le textile

C’était l’une des attentes phares et le gouvernement l’a fait : des mesures favorisant la tarification incitative (afin que chaque Français paye en fonction de sa quantité de déchets produits) et l’annonce de l’augmentation de la taxe sur les décharges et les incinérateurs. "Ces mesures témoignent d’une volonté de faire de l’outil fiscal un levier au service de la transition vers l’économie circulaire" félicite Laura Chatel, responsable du plaidoyer de l’ONG Zéro Waste France avant de poursuivre : "Fini les situations absurdes où l’on achetait une moquette pour un évènement pour la jeter juste après ! Avec la taxe, on rend le traitement des déchets plus coûteux. A l’inverse, on baisse la TVA sur les actions de recyclage ! C’est un signal lancé aux collectivités locales".

Autre réjouissance pour l’ONG : l’extension des filières à responsabilité élargie des producteurs (REP) dans le secteur des jouets, des articles de sport et de loisirs et des articles de bricolage et de jardin. "On va améliorer l’organisation du recyclage grâce à ces nouvelles filières et mieux soutenir ces activités", souligne Laura Chatel.

Les metteurs sur marché du textile vont être obligés de donner leurs invendus à des associations.

Enfin, une petite phrase pour de grands effets dans l’objectif n°15 de la FREC : faire valoir d’ici 2019 pour la filière textile les grands principes de la lutte contre le gaspillage alimentaire. A l’initiative de cette mesure, Emmaüs, rappelle Martin Bobel, coordinateur du réseau francilien des acteurs du réemploi (REFER), pour qui cela signifie concrètement que "les metteurs sur marché du textile vont eux-aussi être obligés de donner leurs invendus à des associations au lieu de les jeter".

Le grand flou : recyclage des métaux et réparation

L’ambition de vouloir augmenter l’utilisation des matériaux recyclés dans la production des ressources est naturellement saluée par les acteurs du recyclage. Mais dans certains secteurs, cette vision ne semble pas être appliquée à la hauteur des espérances. C’est le cas du recyclage des métaux. Selon Alma Dufour, chargée de campagne des modes de production et de consommation responsables pour l’ONG Amis de la Terre, malgré l’annonce d’un plan ambitieux concernant le recyclage de ces ressources stratégiques, il n’y a aucune indication sur les métaux concernés.

"Cela ne s’appliquerait qu’à 4 ou 5 métaux maximum. Et encore, seul l’antimoine a été cité. Cela signifie qu’il n’y a pas de volonté de recycler les 60 métaux utilisés dans les téléphones mobiles", rapporte-t-elle, mettant en cause un système qui serait jugé non rentable.

Réparation : pas d’incitation vers les producteurs à être plus vertueusement concurrents

Du côté de la réparation, il y avait beaucoup d’espoir pour inverser une tendance fâcheuse : aujourd’hui cela coûte plus cher d’acheter un produit neuf que de le réparer. Point positif de la FREC, l’annonce d’une éco-participation avec  l'augmentation d'un "malus" : moins le produit serait recyclable et/ou réparable, plus cette éco-participation serait importante... Et cette fois-ci jusqu’à 10 % de la facture! "Non seulement ce serait un instrument très intéressant pour jouer sur la concurrence – et la France serait alors pionnière – mais surtout, cela pourrait constituer un fonds pour aider ce secteur (de la réparation)", s’enthousiasme Alma Dufour. 

Quant aux autres attentes des acteurs de "la réparation", le bilan est également mitigé. Selon Joël Couret, délégué à la communication sur la maintenance de l’électrodomestique chez FEDELEC (Fédération des électriciens et électroniciens), deux enjeux étaient importants : primo, une meilleure information des consommateurs sur les possibilités de réparer et sur l’existence des réparateurs de proximité. Segundo, améliorer l’accès des réparateurs aux pièces détachées, et cela à des prix justes.

Selon lui, "si des mesures inscrites dans la FREC peuvent y aider, les décisions gouvernementales qui en découleront auront à le confirmer. Les artisans réparateurs les considèrent cependant insuffisantes au regard de ce qui serait indispensable pour pérenniser leurs activités, mises à mal depuis trop longtemps". Pourquoi ? Certes, un meilleur étiquetage est prévu à l’attention des consommateurs, mais rien n’impose aux producteurs de garantir la disponibilité de leurs pièces détachées au-delà de deux ans sur le marché. "Résultat ? Les fabricants peuvent verrouiller le marché à leur guise", illustre Alma Dufour. 

Les grands oubliés : les ressourceries et le plastique  

S’il y a bien une activité qui souffre à côté de celle de la réparation, c’est celui du réemploi. Situation qui a empiré depuis la suppression par le gouvernement des "contrats aidés", selon Martin Bobel, coordinateur REFER. "On attendait que la France se saisisse de la priorité donnée par l’Union Européenne en 2008 dans la "prévention" et la "réutilisation", en dotant ce secteur de moyens financiers et objectifs chiffrés".

En proposant de fixer des objectifs de réemploi dans les filières REP, la FREC donne une avancée… assez minime selon ce porte-parole. "L’aspect positif, c’est que la FREC a ajouté de nouvelles filières REP, ce qui représente un pas potentiel pour financer le réemploi (...) (mais) ces filières représentent une infime partie des acteurs des déchets : 1, 2 milliard de fonds sur 16, 7 milliards au global. Les collectivités territoriales – les gros acteurs – n’ont de leur côté aucun objectif d’assigné en matière de réemploi."

Mais où est le plastique ?  C’est surtout là que le bât blesse selon Laura Chatel : "on ne voit rien de concret dessus dans la FREC. Pas même une mesure de lutte pour les produits qui posent problème, comme les couverts plastiques et les pailles". Un silence à contre-courant du mouvement initié par l’Union européenne, qui publiera bientôt une directive dans ce domaine. Et même de l’ambition affichée par le Gouvernement de recycler à 100 % les plastiques en 2025.  "C’est une erreur de ne pas avoir avancé sur le sujet, analyse Laura Chatel, qui s’explique sûrement par le lobbying important des grosses entreprises agro-alimentaires".