Des militants de Scientifiques en Rébellion, lors d'une action contre la banque BNP Paribas à Grenoble, le 10 mai 2023.
© Alexis Bienvenüe/Scientifiques en Rébellion
Climat

Urgence climatique : portait d'un scientifique entré en rébellion

Article réservé aux abonnés

Lassé de l'inaction des politiques face au dérèglement climatique, Alexis Bienvenüe, enseignant-chercheur en mathématiques, a décidé de s'engager dans la désobéissance civile. Comme d'autres têtes pensantes, il a rejoint cette année le mouvement Scientifiques en Rébellion. Portrait.

"Ça fait du bien de mener des actions qui me sortent du pessimisme", témoigne, la voix timide, Alexis Bienvenüe, enseignant et chercheur lyonnais. Sa blouse blanche de scientifique sur le dos, il est entré en résistance cette année auprès de Scientifiques en Rébellion, un collectif de chercheurs né en 2020 à la suite d'un appel à la désobéissance civile publié dans une tribune du Monde. A 52 ans, le scientifique, qui mène des actions partout dans l'Hexagone, fait ses premiers pas dans le militantisme.

Les projections scientifiques ne suffisent pas, "il faut essayer autre chose"

"Ma prise de conscience des enjeux et de l'urgence a été progressive, et est finalement relativement récente. Aujourd'hui, la crise écologique est souvent abordée avec mon épouse et mes enfants, ainsi que mes amis proches, implicitement ou explicitement", explique-t-il.

À la genèse de son engagement : les propositions de la Convention citoyenne pour le climat "complètements dévoyées" par le gouvernement. En 2019, 150 citoyens, accompagnés d'experts, avaient travaillé neuf mois pour produire un catalogue de solutions visant à réduire les émissions de CO2 de 40 % d'ici 2030. Mais une fois le rapport remis à l'exécutif, plusieurs mesures avaient été revues à la baisse. Un rendez-vous manqué, alors qu'elle était l'occasion d'une collaboration et de partage de connaissances entre experts, citoyens et politiques : "On a dit 'd'accord on demande aux citoyens ce qu’ils en pensent', ils ont été formés par des scientifiques pour trouver des solutions. Et ensuite on leur a dit 'finalement non'. La fin a été lamentable alors que le processus en lui-même était une bonne idée. "

La communauté scientifique n'a pas réussi à diffuser cette connaissance."

Alexis Bienvenüe espère que les démonstrations publiques non-violentes parviendront à percer la surdité des politiques. "On voit que la communauté scientifique n'a pas réussi à diffuser cette connaissance. Les résultats scientifiques qui projettent notre action dans le futur ne suffisent pas. Il faut essayer autre chose, et la désobéissance civile permet de se faire entendre." Il insiste toutefois sur le fait que la résistance civile doit être accompagnée "de tous les modes d'action à notre disposition". 

En mai dernier, il a participé à un happening devant une agence bancaire BNP Paribas à Grenoble (Isère) et au blocage du port du Havre (Seine-Maritime) afin de dénoncer le projet de terminal méthanier de TotalEnergies. Quelques jours plus tard, nouvelle action rejointe par d'autres mouvements militants. : l'interruption de l'Assemblée générale de TotalEnergies le 26 mai.

Lutte contre les énergies fossiles 

Si le cinquantenaire s'investit sur tous les fronts, son cheval de bataille reste la lutte contre les compagnies pétrolières. Dans son viseur, les entreprises d'énergies fossiles "qui ont dépensé une énergie considérable pour fabriquer le doute, pour contrer les arguments scientifiques, en orientant les gens dans une direction." En 2022, la production énergétique de TotalEnergies, qui a généré des bénéfices de 19,1 milliards d'euros cette même année, n'était issue qu'à moins de 1 % d'énergies renouvelables, selon un rapport Greenpeace

On pourrait dire que ce n'est pas notre rôle. Mais on n'aura jamais mieux à faire, l'urgence est en face de nous"

L'entrée en résistance au sein de Scientifiques en Rébellion, a entraîné chez le chercheur des débats et contradictions. Attentif aux critiques auxquelles les militants écologistes sont en proie, Alexis Bienvenüe constate qu'elles ont "permis au collectif d'accéder à des relais médiatiques" que n'a pas connu la publication du dernier rapport du GIEC. Et à ceux qui pensent que les scientifiques ne devraient pas se politiser ni s'adonner aux actions de désobéissance civile, il répond : "On pourrait dire que ce n'est pas notre rôle de faire ça, qu'on a mieux à faire. Mais non, on n'aura jamais mieux à faire, l'urgence est en face de nous."

Dans le même temps, il se félicite de la présence nouvelle de scientifiques dans les luttes écologistes et paysannes, une façon de donner plus de crédibilité aux mouvements écologistes déjà existants. "S'associer à eux, en tant que chercheur, est une façon de dire qu'ils ont compris mieux que personne l'urgence climatique", espère-t-il. 

Les laboratoires de recherche, une transition au pas 

L'engagement d'Alexis Bienvenüe a amené des réflexions jusque dans son corps de métier et domaine de recherche. Les conférences scientifiques à l'autre bout du monde sont l'occasion de "se faire bien voir" pour les chercheurs. Elles sont la promotion interne de la recherche scientifique mais n'en sont pas moins une pratique polluante, explique-t-il. "Prendre l'avion pour échanger entre chercheurs, est-ce que ça en vaut vraiment le coup ? Dans beaucoup de cas non." Au téléphone, il rit de l'absurdité de la chose. "Elles sont aussi demandées par nos instances. Nous sommes évalués positivement sur les invitations aux conférences, c'est ça qui fait que notre carrière avance", confie Alexis Bienvenüe. 

Une incohérence frustrante entre son engagement personnel, les missions de la recherche scientifique, et un entre-soi qui vit de l'autre côté du globe. "On se retrouve pour discuter de nos travaux en prenant l'avion, alors qu'on aurait pu le faire autrement, peut-être moins efficacement. Ce sont des aspects qu'on prend en compte individuellement, mais qu'on n'arrive pas à diffuser auprès des collègues", s'agace-t-il. 

Action "Statue Sunday" à Lyon, le 30 avril 2023 par des membres de Scientifiques en Rébellion.
© Alexis Bienvenüe / Scientifiques en Rébellion

Que le microcosme universitaire et les laboratoires de recherche scientifique affichent un "positionnement plus tranché" sur les questions climatiques et s'engagent pleinement dans la transition et la décroissance, c'est ce qu'espère ardemment Alexis Bienvenüe. "C'est difficile de sortir de cette dissonance cognitive, on comprend très bien qu'on tend vers quelque chose de catastrophique, mais on continue de vivre comme avant", s'alarme-t-il devant la complaisance de certains de ses pairs. Une réorganisation des métiers de la recherche serait simplifiée si les institutions s'y enrôlaient elles-mêmes. Un message qu’il tente de faire passer au sein de l’Université Lyon 1, mais encore peu compris.

Sensibilisation de ses étudiants, futurs assureurs

Double frustration pour l'enseignant-chercheur puisque ses cours de mathématiques appliqués forment des étudiants qui "exerceront des responsabilités importantes dans les compagnies d'assurance. Or, elles ont leur responsabilité dans la pérennité des projets d'énergies fossiles", au même titre que les banques. Un comble pour un écologiste, s'amuse-t-il. 

Pour les assurances, le climat est un enjeu de communication, plus que d'actions"

Le 28 juillet dernier, AXA s'est engagé à ne plus couvrir les champs gaziers d'ici 2025, à condition que ces projets soient développés par des entreprises "en transition". L'ONG Reclaim Finance note la lecture ambivalente que porte AXA, deuxième plus gros assureur mondial, puisqu'il a voté le plan climat de TotalEnergies présenté plus tôt dans l'année par le pétrolier. 

Dans les compagnies d'assurance que rejoindront ses étudiants, "le climat est un enjeu de communication plus que d'actions. C'est très compliqué de débusquer le greenwashing. Elles craignent plus l'image qu'elles donnent et préfèrent sacrifier la stabilité de nos sociétés pour des gains personnels". Alors, Alexis Bienvenüe tente d'enseigner par le prisme du climat, qu'il intègre jusque dans ses cours de probabilités à l'Université Lyon 1.

Vous avez apprécié cette information ? Abonnez-vous à notre newsletter en cliquant ici !  

Pour aller plus loin et agir à votre échelle, découvrez en prévente notre guide Idées Pratiques #12 : "Ecologie : gagner plus, dépenser moins”. 

Au sommaire : enjeux, analyses, entretien décryptages... 68 pages pour associer économies avec écologie ! 


 

#TousActeurs

* Offre sans engagement valable pour toute nouvelle souscription d’un abonnement à l’Infodurable. Au-delà du 1er mois, à défaut de résiliation, reconduction tacite de l'abonnement à 6,90€ par mois. Le client peut à tout moment demander la résiliation de son abonnement. Cette résiliation prendra effet le dernier jour de la période d'abonnement en cours.
Pour toute question, vous pouvez contacter notre service client par mail contact@linfodurable.fr.