Alors que près d’un salarié du privé sur cinq télétravaillait au moins une fois par semaine en 2024, l’État a mandaté l’ADEME pour analyser l’impact réel de cette pratique sur le climat à travers une analyse de cycle de vie complète. L’institution a étudié trois trajectoires possibles du télétravail d’ici 2035, à savoir la stagnation, la massification et le recul, et les a appliquées à différents types de territoires.
Si l’enjeu est crucial, c’est parce que le télétravail ne se résume pas à l’usage d’un ordinateur : il modifie les déplacements, les consommations énergétiques, les besoins immobiliers et la demande en équipements numériques. Autant de paramètres qui influencent directement les émissions nationales.
Plus de télétravail, moins de gaz à effet de serre
Lorsqu’on projette une montée en puissance du télétravail dans les dix prochaines années, les résultats sont clairs : les émissions de gaz à effet de serre diminuent, tout comme la dépendance aux ressources fossiles. Le gain est particulièrement marqué dans les petites villes et territoires périurbains, où la voiture reste le moyen essentiel pour se rendre au travail.
Dans ces zones, la réduction des trajets domicile-travail peut conduire à plusieurs kilogrammes de CO₂ évités par habitant et par an, selon l’étude. À l’échelle nationale, la contribution du télétravail pourrait représenter 2 à 4 % de l’effort de décarbonation attendu du secteur automobile. Un impact loin d’être marginal lorsque l’on sait que la mobilité pèse pour près d’un tiers dans les émissions françaises.
Mais le rapport rappelle une réalité moins intuitive : le télétravail ne sera bénéfique que si les entreprises s’organisent pour adapter leur parc immobilier. C’est la fermeture complète de bureaux sur certaines journées qui permet les plus fortes économies d’énergie. Une expérimentation menée sur des bâtiments administratifs a ainsi montré une baisse de 25 à 40 % de la consommation énergétique quotidienne lorsqu’un site restait fermé au moins deux jours d’affilée, tandis que la hausse de consommation au domicile des agents restait faible.
Les effets indirects peuvent neutraliser une partie des bénéfices.
Un impact positif… fragilisé par des effets rebonds
L’étude souligne cependant que le télétravail n’est pas un outil climatique automatique. Plusieurs effets indirects viennent réduire son bénéfice environnemental :
- achats supplémentaires d’équipements (écrans, mobilier, ordinateurs), très consommateurs de ressources métalliques et d’eau lors de leur fabrication ;
- augmentation du chauffage des logements, notamment lors des journées froides ;
- déplacements annexes plus fréquents ;
- déménagements vers des zones plus éloignées, qui peuvent amplifier la dépendance à la voiture.
À cela s’ajoute une tendance lourde : à mesure que les voitures s’électrifieront et que les logements gagneront en performance thermique, les gains liés au télétravail diminueront mécaniquement. Autrement dit, le télétravail est un levier utile aujourd’hui, mais qui doit s’inscrire dans une stratégie d’ensemble. "Les effets indirects peuvent neutraliser une partie des bénéfices", souligne Erwann Fangeat, coordinateur technique au service sobriété numérique de l’ADEME.
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Vers un télétravail réellement durable
Pour préserver le potentiel climatique du télétravail, l’ADEME met en avant plusieurs pratiques sobres : privilégier le télétravail en été, utiliser des tiers-lieux économes plutôt que son domicile, et optimiser les usages numériques. Certaines habitudes simples peuvent réduire fortement l’empreinte carbone des communications : éteindre sa caméra en visioconférence divise par quatre la quantité de données échangées ; un appel vidéo sur ordinateur émet environ deux fois plus qu’un appel audio sur smartphone connecté en Wi-Fi.
Au final, le télétravail n’est ni un mirage écologique, ni un remède universel. C’est un outil de transition qui peut contribuer à la lutte contre le changement climatique, à condition d’être pensé à l’échelle collective : fermeture complète de bureaux, politiques immobilières adaptées, équipements durables, sobriété dans les usages numériques.