Face à l'urgence climatique, des médecins s'engagent aussi dans la désobéissance civile.
© Pexels
Climat

Le climat, l'autre patient de ce médecin hospitalier

Article réservé aux abonnés

Médecin-hospitalier et enseignant, Pascal Houillier milite également pour le climat au sein du collectif Scientifiques en Rébellion qu'il a rejoint cette année. Partout en France, il mène des actions de désobéissance civile pour la protection des communs et s'engage dans la lutte contre les énergies fossiles. Portrait.

Pascal Houillier, médecin-hospitalier et activiste écologiste.
© DR

On peut le croiser entre l'hôpital européen Georges Pompidou et l'Université Paris Descartes à Paris, à naviguer sur son vélo entre les SUV de ses collègues. Malgré son emploi du temps réglé comme du papier à musique, Pascal Houillier, médecin-hospitalier et enseignant, se consacre à la désobéissance civile. Que très récemment, en 2023, il entre en résistance auprès du collectif Scientifiques en Rébellion. Trois casquettes qu'il enfile chaque jour. 

Une prise de conscience tardive 

"Durant la plus grande partie de mon parcours scolaire et ma carrière professionnelle, j'ai été le prototype du bon élève. Je travaillais beaucoup, je ne faisais quasiment que ça", se souvient le très investi Pascal Houillier. Plus tard, des invitations à des conférences en France et ailleurs lui sont délivrées, il participe en tant qu'expert à des comités scientifiques. Comme si le vaste monde de la médecine lui avait rendu opaque la crise climatique. "Je n'avais pas le temps de faire autre chose et je ne regardais pas ce qui se passait autour de moi. La prise de contact avec le sujet climat et biodiversité s'est faite complètement par hasard."

Alors qu'un de ses collègues universitaires lui demande de produire un cours sur la très "barbante" thermodynamique des choses, il se penche sur la notion d'énergie puis dérive sur le climat. Sa curiosité ayant entraîné des recherches en cascade, il fouille et décortique les pages Internet pour se renseigner.  

La facilité d'accès à l'information a aussi été un coup de pouce à sa prise de conscience écologique. "Ça ne me serait pas arrivé il y a trente ans. Aujourd'hui, on va sur Internet, on passe de sujet en sujet, on se retrouve à explorer des domaines qui sont évidemment connexes mais qu'on n'avait pas prévu de visiter au départ. Il y a une part d'aléatoire." Comme tombé par hasard dans la marmite climat, il est abasourdi par la richesse des études scientifiques sur le réchauffement climatique existantes depuis les années 1970, "quand j'arrive là-dedans, je me rends compte qu'il y a énormément d'informations qui ont été collectées au cours des cinquante dernières années".

Un réveil écologique qui ne s'est pas fait sans son lot d'angoisses et d'inquiétudes : "Quand on prend conscience de l'ampleur du bazar et du caractère dérisoire de ce qui est mis en place, ce n'est pas étonnant que ça génère de l'anxiété, je suis passé par là".

Inaction climatique

Mais sa prise de conscience écologique ne s'arrête pas là. Alors qu'il réfléchit à s'engager au sein du collectif Scientifiques en Rébellion, Pascal Houillier n'ôte pas sa blouse de médecin. "Comme pour la médecine, il y a un diagnostic qui est fait. À part quelques-uns qui disent 'ce n'est pas vrai, c'est dû à autre chose', le diagnostic existe. Le consensus c'est, 'on est dans une situation de dérive climatique, dans une accumulation des polluants, d'effondrement de la biodiversité'."

Pendant longtemps ces incohérences ont été soulignées, notifiées, mais ça n'a rien changé."

En médecine comme en climat, une fois le diagnostic posé, la prise en charge est complétée par la prescription d'un traitement. L'activiste poursuit sa métaphore médicale, accusant l'incohérence des décisions prises globalement. "Le problème est que le soin administré n'a aucune relation avec ce qui est justifié, nécessaire et requis", avant de s'agacer, déconcerté, sur le manque d'ambition des politiques publiques : "C'est dit gentiment, posément, à partir de données accumulées au cours des dernières décennies, et puis ce n'est pas pris en compte."

Le traitement que Pascal Houillier évoque : mettre fin aux énergies fossiles, comme prescrit par les rapports du Giec. Or, il est mal compris par les acteurs publics et autres entités économiques. Selon un rapport du 22 août 2023 de l'Institut international du développement durable (IISD), les pays membres du G20 n'ont jamais autant subventionné l'industrie fossile en 2022, des financements à hauteur de 1 407 milliards de dollars contre 604 milliards en 2021. "Dans les recommandations, il est dit d'arrêter dès maintenant d'extraire les combustibles fossiles, mais on continue de plus belle", s'exclame-t-il. 

Ce jour-là, on en vient à considérer devenir désobéissant". 

Outre le réchauffement climatique, il n'est pas moins préoccupé par l'érosion de la biodiversité et l'épuisement des ressources naturelles : "Quand on dit qu'il y a une raréfaction de l'eau, bien commun, et qu'en même temps, on assiste à une organisation de sa privation, au profit de certains et au détriment d'une majorité, on se dit, ça ne va pas."

Tous ces constats de discours contradictoires généralisés, de mesures en décalage avec l'urgence l'ont conduit vers le collectif Scientifiques en Rébellion qu'il a rejoint cette année, "pendant longtemps ces incohérences ont été soulignées, notifiées, mais ça n'a rien changé". Alors, partout en France, Pascal Houillier mène des actions de désobéissance civile pour la protection des communs et s'engage dans la lutte contre les superprofits, pétroliers et banques. Le 26 mai 2023, le médecin participait, aux côtés de dizaines d'autres militants, au blocage de l'assemblée générale de TotalEnergies. 

"Ce n'est pas par plaisir, c'est par nécessité. Qu'est-ce qu'il va falloir faire pour que quelqu'un prenne en compte l'arriérisme des choses", appele-t-il, "que le traitement administré n'a rien à voir avec ce qui serait impactant. Ce jour là, on en vient à considérer devenir désobéissant".

"Mon entourage sait très bien ce que je fais"

L'engagement de Pascal Houillier au sein de Scientifiques en Rébellion n'a pas été secret, "mon entourage sait très bien ce que je fais". Ses actions non-violentes ont été justement l'occasion de créer des débats et des discussions "relativement calmes" au sein de sa famille, à l'intérieur de son cercle proche. "On en parle de manière constructive, heureusement que je n'ai pas de climato-sceptiques autour de moi", auquel cas cela monterait vite dans les tours.

En marge du Salon de l'agriculture fin février, à l'occasion du Printemps silencieux, "j'avais fait un petit truc contre le glyphosate", comme si les actions lui étaient devenues habituelles, presque bégnines, complètement intégrées à son quotidien. 

Mais si son choix d'entrer en rébellion a finalement été bien accueilli, il est aussi accompagné d'inquiétudes dès la nouvelle action de désobéissance programmée. "Quand j'étais à Sainte-Soline, ma femme n'était pas tranquille. Elle attendait le coup de téléphone lui disant 'ça va, je suis intègre'."

Le 25 mars dernier, Pascal Houillier participait à la manifestation contre un projet de méga-bassines dans les Deux-Sèvres. Après une grande inspiration, il confie "ne pas avoir été bien pendant plusieurs jours". Plutôt que de détailler le déroulement et le souvenir pesant de la journée, il préfère résumer : "Mon analyse globale est que les forces de l'ordre étaient là pour punir les gens qui étaient présents. Ils n'étaient certainement pas là pour maintenir l'ordre." Une violence qui l'arrêtera pas dans sa lutte effrénée mais justifiée pour la justice sociale et écologique. 

Le faux-procès en neutralité 

"Ça a amené des réflexions, c'est sûr, mais ça ne m'a jamais paru antagoniste avec les règles déontologiques à partir du moment où ce qui est dit et fait, est articulé avec le savoir existant." Si le statut de scientifique et de médecin lui impose une déontologie, il ne saurait s'en défaire même en résistance. Dans le respect de la vérité et de la transparence des faits, "les actions et manifestations ne sont pas basées sur une distorsion de la connaissance, elles sont au contraire justifiées par son respect", explique-t-il posément. 

À l'inverse, sa formation et sa didactique offre à Pascal Houillier, comme aux autres scientifiques, une capacité dans le maniement de l'information, "qui fait qu'on sait trier le vrai du faux". Dans son domaine de la médecine, "tout ramifie avec tout. Vous pourriez dire, oui le climat c'est une chose, mais vous êtes médecin. Justement, le réchauffement climatique impacte la santé humaine, je ne peux pas dire 'je vais continuer à faire de la médecine sans considérer que toutes les dérives en cours ont des impacts".

À l'hôpital, dans ses classes ou lors d'actions non-violentes, son mot d'ordre : ne pas mentir ni travestir les faits pour "les faire coller au discours". Que de dire que les scientifiques ne devraient pas répondre à l'appel à la désobéissance n'est selon lui qu'un faux procès. "Quand on fait une hypothèse scientifique, on prend parti en permanence en se basant sur des données qui obéissent à une méthode, on dit à quel titre on prend telles positions, ça, ce n'est pas de la neutralité", défend-il avec ferveur. "On est transparent, je ne vais jamais cacher le fait que je suis médecin, c'est quoi la neutralité ? Dire je sais mais je m'en fous ?"

Dans chacune de ses réflexions, la médecine lui colle à la peau, le militant et médecin-hospitalier s'amuse de ses aller-retours argumentaires et comparaisons avec son domaine d'activité. Le doute n'est pas permis : chez Scientifiques en Rébellion, il est comme un poisson dans l'eau. 

Vous avez apprécié cette information ? Abonnez-vous à notre newsletter en cliquant ici !  

Pour aller plus loin et agir à votre échelle, découvrez notre guide Idées Pratiques #12 : "Ecologie : gagner plus, dépenser moins”. 

Au sommaire : enjeux, analyses, entretien décryptages... 68 pages pour associer économies avec écologie ! 

Cliquez ici pour découvrir et commander votre guide Idées Pratiques. 

#TousActeurs 

* Offre sans engagement valable pour toute nouvelle souscription d’un abonnement à l’Infodurable. Au-delà du 1er mois, à défaut de résiliation, reconduction tacite de l'abonnement à 6,90€ par mois. Le client peut à tout moment demander la résiliation de son abonnement. Cette résiliation prendra effet le dernier jour de la période d'abonnement en cours.
Pour toute question, vous pouvez contacter notre service client par mail contact@linfodurable.fr.