Le 31 mai 2023, une nouvelle limite planétaire a été franchie.
© Pat Whelen/Unsplash
Environnement

Tout comprendre aux neuf limites planétaires

Fin mai 2022, des scientifiques de la prestigieuse revue britannique "Nature" annonçaient le franchissement de la sixième limite planétaire. La sixième sur neuf. Le dépassement de ces limites rend dangereusement incertaine l'habitabilité de la Terre.

En 2009, un groupe de 26 chercheurs internationaux de l'université de Stockholm, dirigé par Johan Rockström, s'est penché sur les conditions de développement de la vie sur la planète et les modifications que les activités humaines font peser sur le système Terre. À partir de leurs observations, ils sont parvenus à modéliser neuf processus, qui, une fois dépassés, altèrent et menacent dangereusement les conditions de vie sur Terre. 

Conditions d'habitabilité de la planète

"Les neuf limites planétaires sont les paramètres nécessaires qui président au développement de la vie sur Terre", simplifie Gilles Escarguel, paléontologue, macro-écologue et enseignant-chercheur à l'Université Lyon 1. Grâce à des équilibres biologiques et physico-chimiques, l'humanité est en capacité de se développer dans un espace sûr. Or, les forçages anthropiques perturbent l'équilibre de la planète, "un niveau de perturbation du système Terre au-delà duquel le fonctionnement de la biosphère est compromis".

Les effets directs et indirects des activités humaines à la surface de la Terre, océans et continents compris, dessinent neuf limites planétaires causant l'altération des conditions d'habitabilité de la planète. Elles définissent un espace de sécurité, soutenable et durable au sein duquel la vie et les populations humaines peuvent se développer sur Terre. À ce jour, six des neuf limites sont dépassées au niveau global. 

Selon Gilles Escarguel, "toutes les sorties des limites planétaires sont des conséquences directes de la trajectoire socio-économique depuis la Grande Accélération". Pour chaque limite franchie, c'est un pas de plus vers un environnement qui ne sera pas vivable. 

Quelles sont les neuf limites planétaires ?

Le choix de ces limites reste "arbitraire", mais ces paramètres sont les "clés de l'avènement du système humain tel qu'il est organisé aujourd'hui". Les limites planétaires établies depuis 2009 sont les suivantes : 

- Changement climatique (dépassée) se mesure en concentration de CO2 dans l'atmosphère.

- L'acidification des océans (presque atteinte) menace le "premier poumon de la planète, le phytoplancton". En plus de produire de l'oxygène et de capturer le carbone, il est aussi à la base des régimes alimentaires de la faune marine. 

- Modification du cycle de l'azote et du phosphore (dépassée), des termes lointains pour le grand public, il s'agit en réalité de produits phytosanitaires. La quantité d'intrants azotés produite pour l'agriculture est "nettement supérieure à ce qui circule naturellement à la surface de la planète", alerte Gilles Escarguel. 

- Érosion de la biodiversité (dépassée). Le chercheur prévient, "nous dépendons de centaines de milliers d'espèces qui sont indispensables à notre survie, même si nous n'en avons pas conscience".

- Changement de l'usage des sols (dépassée), "directement lié à nos activités agricoles, et donc à notre alimentation". 

- Cycle de l'eau douce (dépassée) 

- Introduction d'entités nouvelles dans l'atmosphère (dépassée) ou plus simplement, la composition des sols, des eaux et dans l'air, ici, ce sont "nos activités industrielles qui génèrent de nouvelles molécules qui n'étaient pas initialement présentes".

- Appauvrissement de l'ozone stratosphérique (pas encore atteinte). Gilles Escarguel se montre rassurant, les accords de Montréal sont parvenus à faire se résorber légèrement le trou dans la couche d'ozone au-dessus de l'Atlantique, malgré "des inquiétudes au-dessus du Groenland". 

- Augmentation des aérosols dans l'atmosphère (non quantifiée)

Le média "Bon Pote" a traduit le schéma des limites planétaires du Stockholm Resilience Centre à l'occasion du dépassement d'une sixième limite.
© Bon Pote / Wang-Erlandsson et al. (2022)

Bien qu'ils ne soient pas quantifiables de la même façon, les critères permettant d'affirmer qu'une limite a été franchie sont validés par la communauté scientifique avant et après publication. Le constat d'un dépassement ce fait a posteriori. Si le dépassement du cycle de  l'eau verte n'a été validé que l'an dernier, "il a dû se produire il y a une dizaine d'années".

À chaque dépassement, l'étau se resserre

Les causes de dépassement sont purement liées aux activités humaines et aucunement naturelles. "Notre logique de croissance nous fait sortir des limites planétaires parce qu'on modifie la composition des sols, des océans, la diversité de la biodiversité et l'état climatique", explique Gilles Escarguel. Une limite planétaire est considérée dépassée lorsque "nous sommes sortis des marges de fluctuation normales de ces limites". 

Le 29 avril 2022, la revue Nature accordait que la sixième limite concernant le cycle de l'eau douce avait été dépassée. Quelques mois auparavant, en janvier, la limite de pollution chimique avait elle aussi été franchie. La marge de manoeuvre de l'humanité se retrouve alors restreinte. Puisque ces frontières planétaires déterminent les conditions de vie sur Terre, les franchir nous amènent vers un monde incertain puisqu'on "se place dans une insécurité systémique qu'on ne peut appréhender", développe Gilles Escarguel. 

Bien sûr, dépasser les limites planétaires ne nous entraîne pas vers une fin du monde immédiate, mais cela modifiera profondément et brutalement nos modes de vie sur Terre. Toutefois, ce qu'il adviendra une fois que nous serons sortis des limites est la grande inconnue, même pour les scientifiques.