Face à l’essor grandissant de l’intelligence artificielle ces dernières années, des voix s’élèvent pour pointer du doigt l’impact environnemental de l'IA, dont le fonctionnement, gourmand en ressources, est parfois méconnu.
Expert IA à l’ADEME, Thomas Brilland revient pour ID sur ces différents impacts, et brosse les contours de ce que pourrait être une IA plus durable. Interview.
Afin de mieux comprendre l’impact environnemental de l’intelligence artificielle, pouvez-vous expliquer ce qu’est une IA ?
Cette question est déjà complexe car le terme d’IA est employé pour désigner des choses assez différentes. On peut dire que l’émergence de l’IA est due au Machine Learning ou "Apprentissage Automatique" : un ensemble de méthodes qui permet à un algorithme d’apprendre à résoudre une tâche directement à partir des données, sans programmation explicite.
Plus récemment, c’est l’IA dite "générative" qui a retenu l’attention, par sa capacité à générer des nouveaux contenus, très proches de ce que pourrait faire un humain, et par ses usages grand public que cela entraîne.
Concrètement, comment l’intelligence artificielle fonctionne-t-elle ?
Pour fonctionner, l’IA est d’abord entraînée sur un ensemble très conséquent de données : par exemple, pour les grands modèles de langage, sur la quasi-intégralité des textes produits par des êtres humains. Cela permet au modèle d’avoir une certaine connaissance du type de données qu’elle doit traiter (texte, images, son ...). Dans un second temps, le modèle va être affiné sur une tâche précise. Pour les assistants conversationnels, on va injecter un ensemble de questions/requêtes types d’un utilisateur, ainsi que les réponses qu’on souhaite obtenir en sortie. Lorsqu’on fait une requête auprès d’une IA, c’est à ce modèle entraîné pour la tâche précise auquel on fait appel.
Tout cela n’a rien d’immatériel, et fait appel à de la puissance de calcul très importante."
Les IA reposent sur des puces de calcul spécialisées (GPU), qu’il faut donc fabriquer (ce qui a déjà un impact), mais qui sont également très gourmandes en énergie à l’usage : par exemple, les GPUs les plus récents ont une puissance équivalente à celle d’un four à micro-ondes. Ces GPUs sont stockés par dizaines de milliers dans des data centers, avec des processeurs, des disques durs, dans des grands entrepôts qu’il faut alimenter en énergie, mais aussi refroidir, avec de la climatisation ou de l’eau.
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Il existe aujourd’hui peu de données chiffrées sur l'empreinte environnementale de l’IA. Pourquoi ?
Lorsque l’IA était un domaine de recherche, le manque de chiffres pouvait s’expliquer par le manque de conscience sur ce sujet : les quelques études (très peu nombreuses) se concentraient essentiellement sur l’empreinte carbone liée à l’entraînement, et étaient donc largement incomplètes.
Or, avec l’émergence des usages grand public, ce domaine est devenu un domaine économique particulièrement compétitif, avec un enjeu important de confidentialité. Nous avons aujourd’hui suffisamment de méthodes et d’outils pour mesurer l’impact des IA, mais nous manquons de données des acteurs principaux, par manque de transparence.
Les impacts de l’IA sont-ils uniquement négatifs sur l’environnement ? Dans quels cas l’intelligence artificielle peut-elle être bénéfique ?
Pour ce qui est des usages grand public (IA générative), il n’y a pas de bénéfice connu sur l’environnement. Etant donné que ce sont les usages majoritaires, ce sont donc des impacts négatifs importants.
Il est évident que l’IA peut être bénéfique dans certains domaines qui dépassent celui de l’environnement, par exemple dans le domaine de la santé ou de la recherche. Il peut également exister des cas d’usage pour aider à s’adapter au changement climatique, par exemple des modèles qui aident à la prévision météorologique et donc anticiper des catastrophes.
En revanche, il y a un discours sur l’IA qui permettrait de décarboner d’autres secteurs, avec des cas d’usage par exemple d’optimisation ou de gains d’efficacité. Dans ces cas, l’IA ne sera pas suffisante puisqu’on sait que cela entraîne systématiquement des effets rebonds (c’est à dire une augmentation de la consommation) qui compensent ces gains. On peut enfin noter que lorsque l’IA permet d’optimiser l’extraction/la production d’énergies fossiles, il n’y a que des impacts négatifs sur l’environnement.
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Dans le cadre du Sommet mondial pour une action sur l’IA, la France, la Chine et l’Inde ont signé une déclaration pour une intelligence artificielle "ouverte, inclusive" mais aussi "éthique". Quelle serait votre définition d’une "IA éthique" ?
L’IA éthique doit être ouverte, c’est-à-dire que le processus d’entraînement (et donc les données d’entraînement) devrait être public et reproductible. Il faudrait prendre en compte l’ensemble des biais possibles pour les minimiser.
L’IA éthique doit également inclure la notion de frugalité, c’est-à-dire une remise en question du besoin, avec une prise en compte importante de l’impact environnemental."
Enfin, elle doit prendre en compte les enjeux sociaux, par exemple celui du travail du clic pour l’annotation des données, qui est aujourd’hui effectué par une main d’œuvre nombreuse et très peu rémunérée.
Quels comportements aujourd’hui adoptés pour un usage plus durable et écoresponsable de l’IA ?
L’enjeu principal est celui de la sobriété : la remise en question du besoin. Il est important de considérer les alternatives à l’IA en fonction des tâches, alternatives qui seront moins énergivores. Par exemple, pour des questions factuelles, un moteur de recherche classique ou une encyclopédie en ligne sera bien plus pertinente qu’une IA générative, qui peut halluciner et répondre n’importe quoi, en plus d’être largement plus consommatrice.
En partenariat avec l’ADEME