66 % des espèces de papillons de jour vivant en France ont disparu d’au moins un des départements qu’elles occupaient au siècle dernier.
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Biodiversité

Menacés d’extinction, "les papillons sont des éléments clés de l’écosystème"

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Quelles sont les conséquences du changement climatique sur les populations de papillons ? Sont-ils amenés à disparaître à l’avenir ? Afin de répondre à toutes ces questions, ID a rencontré Camille Parmesan, directrice de la Station d’Écologie Théorique et Expérimentale (SETE) du CNRS et lauréate du prix "Make our Planet Great Again".

Agriculture intensive, réchauffement climatique… les facteurs liés au déclin de la population de papillons sont nombreux. Selon une étude de l’Office national de la biodiversité (ONB), 66 % des espèces de papillons de jour vivant en France ont disparu d’au moins un des départements qu’elles occupaient au siècle dernier. Un phénomène sur lequel revient Camille Parmesan. Entretien.

Depuis plusieurs années, on assiste à la disparition d'espèces de papillons en France. Quelle est la raison de ce déclin ?

Depuis les années 1950, on observe un déclin de nombreux insectes, pas seulement des papillons, mais aussi de nombreux autres grands groupes d'insectes, comme les abeilles indigènes. Ce déclin s’explique principalement par la perte de leur habitat, l'expansion urbaine et agricole ainsi que l'utilisation croissante de pesticides qui tuent directement un grand nombre d'insectes sauvages non ciblés. Ces pertes ont également été causées par l'utilisation croissante d'engrais (en particulier d'engrais artificiels puissants), ce qui a modifié les communautés végétales à travers la France, favorisant ainsi le développement des plantes à croissance rapide et très compétitive. En plus de ces problèmes, le changement climatique a commencé à avoir ses propres impacts. 

Avec le réchauffement de 1,1°C que la France (et le monde) a déjà connu, nous assistons à l'extinction des populations de papillons qui vivent dans les montagnes les plus basses. C'est le cas du papillon d'Apollon (Parnasius apollo), qui s'est largement éteint dans le Massif central où il était facile à trouver, voire commun dans certains endroits. L'apollon est encore présent dans les hautes montagnes des Alpes et des Pyrénées, mais il est de plus en plus confiné à ces endroits, car le réchauffement climatique rend les altitudes plus basses inadaptées.  

Nous observons également des déplacements des papillons européens vers le nord des aires de répartition (zones délimitant la répartition géographique d'une espèce vivante, NDLR). Mais ce n'est pas parce que ces derniers ont "trop chaud" et s'envolent vers le nord, mais plutôt parce que les populations situées le long des limites méridionales de l'aire de répartition, en France et en Espagne, sont en train de disparaître. Certains papillons s'en sortent malgré tout, car ils sont également capables de coloniser vers le nord. C'est le cas de l'Apatura ilia.

Si nous continuons à ce rythme, pourrions-nous assister à une disparition totale des papillons ?

Je ne saurais trop insister sur le fait que nous pouvons imaginer un monde à 2°C, voire à 2,5°C.  Nous pouvons actuellement envisager des options d’adaptation, telles que des mesures de conservation pour aider les plantes et les animaux sauvages à faire face à un paysage climatique changeant.

Aux niveaux actuels de réchauffement (1,1 °C) et même jusqu'à 2 °C, l'homme peut prendre de nombreuses mesures pour aider les papillons à faire face au changement climatique.

Mais les émissions de gaz à effet de serre continuent d'augmenter et nous sommes loin d'avoir un climat qui se stabilisera à 2°C (le seuil convenu au niveau international pour un changement climatique "dangereux"). Il sera donc de plus en plus difficile pour les plantes et les animaux sauvages, ainsi que pour les humains, de s'adapter à cet environnement en constante évolution.  Nous ne pouvons vraiment pas imaginer un monde à 4°C, vers lequel la France et le reste du monde se dirigent pourtant rapidement. Bien sûr, nous pouvons modéliser les changements de biodiversité, les rendements agricoles, l'élévation du niveau de la mer, l'augmentation des inondations, des sécheresses, des ouragans violents, etc. Mais cela va au-delà de tout climat déjà enregistré dans l'histoire de l’humanité. Tout exercice scientifique visant à "prédire" à quoi ressemblera cet avenir devient de plus en plus vague, avec de nombreuses prédictions proposées qui varient considérablement les unes des autres. Nous ne savons pas lequel de ces futurs sera celui qui verra le jour.

Est-il encore possible d'inverser la tendance et de voir la population de papillons augmenter ?

Oui. Aux niveaux actuels de réchauffement (1,1 °C) et même jusqu'à 2 °C, l'homme peut prendre de nombreuses mesures pour aider les papillons à faire face au changement climatique. Nous pouvons restaurer des parcelles d'habitat et créer des "tremplins" entre les habitats naturels afin qu'ils puissent coloniser vers le nord pour suivre l'évolution du climat. Nous pouvons adopter des systèmes agricoles plus durables et à moindre impact qui intègrent des plantes indigènes dans le schéma de plantation ; cultivent des parcelles plus petites et prévoient des "zones tampons" naturelles entre les parcelles cultivées ; réduisent considérablement l'utilisation de pesticides et d'engrais qui tuent directement les insectes ; et endommagent leurs plantes-hôtes. 

Les papillons sont des éléments clés de l'écosystème à bien des égards. Ils servent de nourriture à de nombreux prédateurs plus importants, y compris de nombreuses espèces d'oiseaux et de lézards.

Toutes ces mesures permettent aux populations de papillons d'augmenter localement, ce qui les rend plus résistantes aux événements climatiques extrêmes qui causent de nombreux décès, et leur permettent de coloniser le paysage - en restaurant certains sites qui ont disparu et en colonisant plus au nord pour suivre l'évolution du climat.

Pourquoi les papillons sont-ils importants pour l'écosystème ?

Les papillons sont des éléments clés de l'écosystème à bien des égards. Ils servent de nourriture à de nombreux prédateurs plus importants, y compris de nombreuses espèces d'oiseaux et de lézards. Ils sont également d'importants pollinisateurs pour certaines plantes sauvages et même pour certaines plantes cultivées.

Certains territoires ont-ils pris des mesures pour lutter contre la disparition des papillons ?

Oui, de nombreux parcs urbains ont planté des "plantes hôtes" et des fleurs visant à fournir du nectar aux papillons. En outre, le fait de laisser la végétation le long des voies ferrées et des routes permet de fournir des endroits où les papillons peuvent se nourrir et même élever leurs petits. Ces zones sauvages peuvent également servir de "routes à papillons", leur permettant de se déplacer entre de plus grandes parcelles d'habitat naturel. Les grands parcs peuvent même abriter leurs propres populations de papillons, de sorte que les enfants grandissent et vivent dans le même parc que leurs parents et leurs grands-parents. 

Enfin, il est extrêmement important de réduire les toxines qui s'écoulent des routes et des pelouses vers ces parcelles d'habitat naturel. Un papillon ne peut pas se développer là où des pesticides se sont répandus. Même si une parcelle de terrain semble "sauvage" à un être humain, elle peut être toxique pour un papillon si les toxines s'écoulent à chaque pluie des routes et des pelouses voisines.

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