Selon les sources, l'abattis-brûlis serait aujourd'hui pratiqué par 300 à 500 millions de personnes dans le monde.
©Olivier Ducourtieux
Biodiversité

Agroforesterie : quand des techniques oubliées rejaillissent de terre

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L'agroforesterie ne se résume pas à planter des arbres - pratique chronophage et parfois coûteuse. D'autres techniques traditionnelles existent. Délaissées à partir du début du XXème siècle - car jugées moins productives, elles retrouvent depuis quelques années un nouveau souffle. Zoom sur trois d'entre elles.

Par gain de temps et d'argent, les premiers agroforestiers de l'Histoire - que l'on situe durant le néolithique ( 6 000 ans avant notre ère), plantaient leurs cultures aux pieds d'arbres déjà existants, à l'inverse des systèmes modernes. Jugées archaïques car moins productives pendant le début de l'ère industrielle, au XXème siècle, ces méthodes trouvent aujourd'hui une seconde jeunesse, grâce à leur sobriété économique et écologique. Mais le sont-elles vraiment ?

L'abattis-brûlis, une méthode ancestrale et régénératrice 

D'après Olivier Ducourtieux, enseignant-chercheur à AgroParisTech et auteur de Du riz et des arbres, l'abattis-brûlis demeure la technique "la plus ancienne et la plus aboutie d'agroécologie à ce jour". Aussi appelée "Slash and Burn" (couper et brûler, en français), l'abattis-brûlis consiste, comme son nom anglophone l’indique, à investir au maximum un hectare de forêt, couper les arbres qui la peuple et brûler la végétation qui y subsiste. Les paysans bénéficieront pendant deux à trois ans d’une terre fertile grâce aux nutriments contenus dans les cendres avant de quitter les lieux pour laisser la forêt se reconstituer.

Les parcelles d'abattis-brûlis ne dépassent rarement 1 hectare.
©Olivier Ducourtieux

Après dix à vingt ans de reforestation, la friche redevient forêt, "pas primaire mais secondaire (comme la plupart des forêts du monde) avec une biodiversité et un stockage du carbone similaire", précise Olivier Ducourtieux. Selon lui, il s’agit de la forme la plus aboutie "car elle ne nécessite aucun intrant et est presque entièrement renouvelable :  certaines forêts exploitées au néolithique sont encore debout aujourd'hui".

Surtout pratiqué dans les grandes forêts primaires d'Afrique équatoriale, d'Amazonie et d'Asie du Sud-Est, l'abattis-brûlis serait, selon les sources, encore adopté par 300 à 500 millions de personnes dans le monde. "Aujourd'hui très peu pratiquée en Europe, cette méthode a eu ses heures de gloire en France et plus précisément dans les Ardennes, avant de disparaitre dans les années 1920", complète l'enseignant.

"Certaines images d'abattis-brûlis choquent souvent mes élèves. Mais abattre n’est une opération de déforestation que si l’action est définitive", nuance l’enseignant, avant de poursuivre : "Les exploitants ont besoin des forêts pour conserver la fertilité des sols donc ils maintiennent un équilibre pour qu’elles ne disparaissent pas."

Pourtant, l’agriculture itinérante sur brûlis "est régulièrement pointée du doigt, comme l’une des principales causes de la déforestation", déplore Olivier Ducourtieux. "Jugés archaïques et confondus avec les fronts pionniers, qui sont des méthodes de déforestation définitives et non renouvelables", les abattis-brûlis sont illégaux dans "l’extrême" majorité des pays. En parallèle, plusieurs études, notamment soutenues par l’UE, ont démontré que l’abattis-brûlis traditionnel reste un système durable et écologique à condition que la population qui l'a pratique n'augmente pas trop rapidement.

Aujourd'hui pratiqué dans les régions tropicales, l'abattis-brûlis a existé en France jusque dans les années 20.
©Olivier Ducourtieux

La forte croissance démographique de "bon nombre de ces pays" constituent un argument supplémentaire  pour faire de l’abattis-brûlis un "bouc-émissaire" de la déforestation, "oubliant la responsabilité des fronts pionniers dans ce fléau", défend Olivier Ducourtieux. 

Cet article est extrait de notre dossier spécial : "Tout comprendre à l'agroforesterie, cette pratique agricole remise au goût du jour". A découvrir ici !

Le sylvopastoralisme, le pâturage en pleine forêt 

Signifiant "forêt pâturée" en latin, cette technique consiste à emmener des animaux d’élevage dans des bois pour les laisser pâturer les sols forestiers. Gérard Guérin, ingénieur agronome et chercheur en sylvopastoralisme, décrit un système " innovant et récent, datant d'une quinzaine d'années". Les forêts exploitées sont d'anciennes terres agricoles qui ont été délaissées durant l'industrialisation de l'agriculture, au XXème siècle.

Les "intérêts de cette pratique sont doubles, à la fois utile pour une production sylvo (de bois) et pastorale (de pâturage)." Les animaux nettoient les sols et ouvrent l’accès à des forêts inaccessibles comme des maquis, limitent également les risques d'incendies en pâturant la biomasse combustible. Cette biomasse peut être consommée en hiver, comme en été, grâce au microclimat des sous-bois. "Globalement les années difficiles le sont moins en sylvopastoralisme", résume Gérard Guérin. Enfin, une fois valorisés, les arbres peuvent constituer une source de revenus supplémentaire pour l’exploitant.

Angus et Aubrac en garrigue boisée (Hérault)
©Gérard Guérin

Malgré ces avantages, la concurrence entre les arbres et l’herbe, pour l'eau et la lumière, provoque une baisse des rendements de l’ordre de 25 à 50 %, d’après l’ingénieur. Selon lui, même si les charges diminuent encore davantage, "le sylvopastoralisme limite le coût des bâtiments puisque les animaux sont à l'extérieur toute l'année, les intrants artificiels et la mécanisation deviennent également inutiles". Ces arguments convainquent de plus en plus de nouveaux agriculteurs en "reconquête pastorale". En plus de ces économies, la valorisation du bois permettrait d'arrondir leurs fins de mois. En ce sens, Marc Fesneau a lancé le plan France 2030, annonçant des financements à hauteur de 500 millions d’euros dans ces filières.

Les ripisylves, barrières naturelles et réservoirs de biodiversité 

Les ripisylves, "forêts en bord de cours d'eau", désignent l'ensemble des arbres, arbustes et broussailles qui composent les berges, des rivières et des fleuves. Primordiales pour la biodiversité et la qualité de l’eau, elles peuvent aussi rendre de bons services à l'homme en formant un barrage naturel contre les crues et le déversement de pesticides dans les rivières. La survie de certaines espèces dépend de ces arbres : les ripisylves sont à la fois un refuge pour les oiseaux et les mammifères mais aussi une source de nourriture pour les poissons et insectes. Ces arbres peuvent eux aussi être valorisés en bois de chauffage ou de paillage et constituer un revenu complémentaire pour l'exploitant.

750 tonnes de pesticides sont déversées dans les rivières du globe chaque année
©Rodrigo Menezez/Pexels

Malgré tous ces bienfaits, les ripisylves sont souvent "source de tension, et synonyme de perte d'argent pour un agriculteur", déplore Ludovic Germa, technicien rivière au SMAA (Syndicat Mixte Adour Amont). Plus difficile à entretenir qu’une haie classique, certains exploitants peuvent dépenser jusqu’à 10 000 euros par an dans leurs ripisylves.

Pour Ludovic Germa, cet entretien est "plus que facultatif, il est contre-productif ". Les ripisylves poussent naturellement, sans intervention de l'homme. Un entretien "plus léger" permet de récupérer du bois valorisable, de diviser ces coûts par cinq et de "voir se construire une grande source de biodiversité, tout en produisant moins d'efforts."

 

 

 

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