La troisième édition du Zevent a fait des émules dans le milieu des streamers "gaming". Après avoir récolté 10 millions d'euros de dons reversés à plusieurs associations de protection de l'environnement, ces streamers ont multiplié les actes de sensibilisation à la crise écologique. Un mois après l'évènement de Zerator, les 70 streameuses du collectif Stream'her allument à leur tour leurs lives pendant une semaine, à l’occasion de leur évènement Stream for trees. Elles ont collecté 15 000 € pour planter 300 arbres, avec le soutien de Greenpeace Belgique. "J'ai toujours voulu faire un évènement caritatif, raconte Chloé live, l’organisatrice de l’évènement. Quand Greenpeace Belgique nous a contactées, ça a totalement collé avec nos valeurs. L’environnement c’est un sujet important pour moi, et je voulais avoir un impact tangible. Planter des arbres, c’est très concret, on peut le quantifier".
Le 20 avril, Aurélien Gilles, alias Ponce, relève le défi qu'il s'était posé au Zevent, et réunit à l’occasion d’un podcast plusieurs experts du climat, dont la membre du Giec Valérie Masson-Delmotte, pour parler d’écologie. "On peut se servir de notre influence pour faire passer des messages. Mais sur des sujets comme l’écologie, très politisés, j’ai voulu faire parler des experts qui peuvent énoncer des faits bruts, incontestables", nous explique-t-il.
Impuissance
Évènements caritatifs, prises de position, podcasts, sensibilisation de leur communauté, les streamers de jeux vidéo, véritables influenceurs du secteur, semblent vouloir agir pour protéger l’environnement. Mais leurs outils de travail, PC "gamer", consoles, capture en direct de leurs parties, participent à la vaste pollution numérique. "C’est le cœur de la question", relève Ponce. Pour lui comme pour Chloé live, leur conscience de la crise se heurte à l’exercice de leur métier numérique. "C’est quelque chose dont on parle entre nous, streamers, mais on se sent impuissants. On sait que la bande passante c’est catastrophique, mais en même temps si on s’arrête, on ne fait plus rien, on ne peut plus travailler", commence Ponce. "Dès qu’on travaille dans le numérique, on pollue, c’est sûr", renchérit la seconde. Un paradoxe qui traverse l’ensemble du secteur du jeu vidéo. À l’instar des streamers, c’est toute une partie de l’industrie vidéo-ludique qui cherche de nouvelles voies pour jouer de façon responsable.
Le matériel, premier responsable de la pollution vidéo-ludique
Selon Frédéric Bordage, fondateur de Green IT et auteur indépendant de rapports sur l’empreinte écologique du numérique, les jeux vidéo sont responsables de 5 % de l’épuisement des ressources liées au numérique, et de 2 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur. Une empreinte qui semble faible, mais chaque minute jouée représente en réalité une pollution assez conséquente. "Rapporté à l’échelle du quotidien, une heure de jeux vidéo, c’est l’équivalent de 171 kg de terres excavées, pour fabriquer le terminal, le faire fonctionner, et gérer la fin de vie. Cela revient à 260 grammes CO2e, soit 2 km en voiture", détaille l'expert.
"Le plus gros de l’empreinte est lié au matériel, côté utilisateur", complète Pierre Forest. Fondateur et directeur de la plateforme de distribution de jeux vidéo Metaboli. En tant que patron, il essaie depuis quelques années de gérer son entreprise de façon plus écologique, en prêtant particulièrement attention aux achats de matériel. Mais il se rend vite compte du problème. "Quand je vais chez Darty et que j’achète un frigo, je sais quel sera son impact énergétique. Dans les PC, on ne sait pas vraiment combien consomme son ordinateur".
Avec l'aide de Green It, il développe alors un "éco-gaming score", qui sera accessible aux joueurs lors de l’achat de leur jeu vidéo. "En partant des spécifications minimums du jeu, et de la configuration du PC de celui qui l’achète, on peut calculer son empreinte réelle et sa consommation d’électricité". L’idée est alors d’éveiller la conscience des joueurs sur l’empreinte carbone de leur ordinateur, et de leur faire des recommandations pour augmenter la durée de vie du PC, de la luminosité de l’écran au remplacement d’un élément plutôt que de l’intégralité du PC.
"Les PC gamer sont souvent conçus de façon modulaire, il est possible de remplacer pièce par pièce. C’est quand même mieux pour l’environnement de changer seulement un GPU [processeur graphique] que toute une console", selon Fréderic Bordage. Pour l’instant, la méthode Metaboli est déposée à l’Ademe. Pierre Forest espère que son outil sera bientôt validé et adopté par ses pairs pour généraliser le calcul de l’empreinte des jeux.
Certains constructeurs ont par le passé déjà imaginé des consoles de jeu plus sobres. Le meilleur exemple reste la Wii de Nintendo. "D’un point de vue environnemental, c’est une petite console, qui a une durée de vie extrêmement longue, et marche très bien sur des TV qui ont vingt ans. Nintendo à ce moment-là est sorti du paradigme dominant de jeux de tirs en vue subjective, ultra fluide, en très haute définition. La promesse vendue c’était plutôt de rassembler la famille au milieu du salon, devant l’écran, sur des jeux presque low-tech", explique l'expert de Green IT. Tout cela amortit les coûts environnementaux de la création du jeu et de la console, à l’inverse des logiques d’obsolescence.
capture d'écran Wii Sport, ©Nintendo
Sensibiliser aux enjeux environnementaux
Certains studios de production tentent quant à eux d'intégrer les problématiques environnementales à l'intérieur même de leurs jeux. Le français Quantic Dream s’est par exemple associé avec l’ONG de protection des océans Surfrider Foundation Europe pour développer le jeu narratif Under The Wave, à paraitre en 2023. On y suit un marin perdu au fond de la mer du Nord. Lors du salon du jeu vidéo Gamescom en septembre 2022, Ronan Coiffec, directeur du jeu, explique sa démarche : "Nous voulions utiliser les jeux vidéo comme médium, pour transmettre des messages forts sur l’écologie et le respect de l’océan. L’interactivité du jeu permet de mettre le doigt sur ce que le joueur peut faire".
Vers des jeux vidéo décarbonés ?
Aujourd'hui, les constructeurs s'engagent pour réduire leur empreinte carbone. Depuis 2019, Sony (Playstation), Microsoft (Xbox), Sega, Gameloft ou le géant français Ubisoft (Assassin's Creed) entre autres, ont rejoint la Playing For the Planet Alliance, sous l’égide de l’ONU. Les signataires s’engagent à diminuer leurs émissions, et à promouvoir dans leurs jeux les actions en faveur du climat. Selon le rapport annuel d’impact 2022, 64 % des membres ont augmenté leurs objectifs de décarbonation, et 50 % ont adopté une méthodologie scientifique pour faire leur bilan carbone.
En France, le Centre national du cinéma (CNC), dans son "Plan Action ! Pour une politique publique de la transition écologique et énergétique" a créé un groupe de travail "jeux vidéo et éco-responsabilité", regroupant le Syndicat national du jeu vidéo (SNJV), Ubisoft, et le ministère de la Culture. D’ici 2024, le CNC présentera ses recommandations pour verdir le monde de l’audiovisuel.
Fataliste, Frédéric Bordage continue son analyse : "quand vous regardez le top 25 des catalogues de jeux vidéo, ça reste de l’ultra haute définition à la première personne, pas du tout écologique. Malgré tous les efforts de certaines boites, cela ne pourra pas payer individuellement. C’est toute une filière qui doit apprendre à faire des jeux vidéo autrement, de façon plus sobre".
En attendant, les streamers tentent au moins de limiter leurs émissions. Pour le Stream for trees,"on n’a pas voulu louer une salle avec de gros PC qui tournent 24 h sur 24, pour éviter de trop polluer, les streameuses collectaient les dons pendant leurs heures de live habituelles, elles ont gardé le même impact". Ponce, lui, compense ses émissions au quotidien. "J'essaie de ne prendre l’avion qu’une seule fois par an. C’est quelque chose sur lequel je ne communique pas, je n’ai pas envie de me faire accuser de greenwashing".
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