Ethique sur l'Etiquette, qui regroupe une vingtaine d'associations de solidarité, agit en faveur du respect des droits humains au travail dans le monde. Lundi 11 juin, trois jours avant le coup d'envoi du Mondial de football, le collectif a publié un rapport intitulé "Anti-jeu. Les sponsors laissent les travailleurs sur la touche", dans lequel il épingle le modèle économique de Nike et Adidas, mettant selon lui de côté leurs salariés du textile. Celui-ci fait suite à un premier document publié à la veille de l'Euro 2016, dans lequel le collectif interpelait déjà les deux marques. Entretien avec Nayla Ajaltouni, coordinatrice du collectif.
A la veille du Mondial de football, vous vous intéressez au modèle économique des géants du sport Nike et Adidas, qui équiperont 22 des 32 équipes. Pourquoi avoir décidé de sortir ce nouveau rapport deux ans après la publication du premier ?
Le secteur sportif est très important pour notre collectif parce que c'est un marché considérable qui investit de plus en plus le quotidien. Les réponses des marques au premier rapport il y a deux ans étaient totalement insuffisantes voire inexistantes, on voit qu'elles se dédouanent totalement de leurs responsabilités et que la question des salaires de misère des travailleurs qui fabriquent leurs produits et qui participent de près à leur expansion économique ne les intéresse pas. Donc on les interpelle à nouveau pour qu'il y ait une évolution de leurs politiques. Et ce rapport est très éloquent sur l'explosion du sponsoring et des choix qui sont faits pour la rentabilité.
Qu'est-ce qui a changé, deux ans après vos premiers constats sur leurs choix économiques ?
Ce qui est nouveau, c'est l'explosion des contrats de sponsoring : par exemple le contrat record de 65 millions d'euros par an négocié par Adidas avec l’équipe nationale d’Allemagne. Ensuite il y a une surenchère, on voit bien que Nike et Adidas se mènent une guerre acharnée avec des montants qui atteignent des sommes démesurées : c'est autant d'argent qui n'est pas investi dans le développement durable et les droits sociaux. Si les montants de sponsoring avaient été les mêmes entre 2012 et 2017, on aurait économisé 1 milliard et demi d'euros qui aurait permis de payer un salaire vital à un million de travailleurs pendant un an.
Nike et Adidas ont-ils déjà été de meilleurs élèves en termes de responsabilité sociale ?
Nike, c'est le premier scandale dans l'industrie du textile (ndlr : en 1996, le magazine américain Life publiait la photo d'un enfant pakistanais qui cousait des ballons pour Nike). Cela a a mis en lumière les conditions d'exploitation dans l'industrie de l'habillement et dans les chaînes de sous-traitance de cette marque, qui avait déjà très bien compris qu'elle avait tout intérêt à investir dans son image et à minimiser ses coûts de production. Elle a rapidement fait fabriquer ses produits dans les pays du Sud-est asiatique en faisant reposer la responsabilité sur ses sous-traitants. Quand le magazine Life a publié ces photos, cela a conduit aux premières campagnes de boycott qui ont joué sur l'action de Nike à l'époque.
En réaction, la marque a commencé à mener des audits sociaux dans les usines de ses fournisseurs, à publier une charte éthique, c'est aussi la première marque qui a publié la liste de ses fournisseurs... Mais cela fait des années ! Globalement, Nike et Adidas communiquent énormément sur les valeurs humaines, la performance, la solidarité... mais n'ont jamais fait évoluer leur modèle économique pour respecter la dignité humaine et les droits de ceux qui fabriquent leurs produits.
Vous déplorez le "désengagement" de ces marques de la Chine où les salaires "tutoient des niveaux proches du salaire vital" en faveur de pays comme l’Indonésie, le Cambodge ou le Vietnam. Que répondent-elles ?
Les marques réfutent le fait que ce déplacement soit dû aux salaires plus bas, elles disent qu'elles ne sont pas responsables des niveaux de salaires dans ces pays. En 2016, Adidas nous disait faire face à une pénurie de main d'œuvre qualifiée en Chine. Il se trouve qu'elle n'a pas réinvesti en Europe ou dans des pays où les conditions de travail sont correctes mais dans des pays à très bas coût de main d'œuvre. Les marques nous disent également que dans leurs usines, les travailleurs sont mieux payés, notamment pour Adidas, mais sans étayer leurs propos : on doit uniquement se satisfaire de leurs déclarations. C'est très incantatoire.
Que faut-il faire alors ? Quelles sont vos demandes ?
Ce que l'on dit c'est que laisser depuis 20 ans aux multinationales du sport ou de l'habillement le soin de s'auto-gérer dans leurs choix d'approvisionnement, cela ne fonctionne pas. En tant qu'ONG de défense des droits humains, on demande qu'il y ait une régulation contraignante et que toutes ces marques qui vont se fournir dans des pays où les salaires sont extrêmement bas doivent être tenues juridiquement responsables de l'impact de leurs activités sur les conditions de travail. Il y a eu une avancée. Avec un collectif d'ONG et de syndicats, on a travaillé cinq ans pour une loi sur le devoir de vigilance qui a été adoptée l'an dernier. Mais elle concerne uniquement les très grands groupes français ou présents en France, qui emploient plus de 5000 salariés en France ou 10 000 au sein de leurs filiales. Ce n'est pas le cas de Nike France ou d'Adidas France, qui ne sont pas tenus de publier leur plan de vigilance. Donc on demande déjà l'abaissement des seuils pour inclure toutes les entreprises présentes en France.
On demande aussi une régulation au niveau international et on appelle la France et l'Europe à soutenir le traité sur l’obligation de respect des droits humains par les multinationales en discussion aux Nations Unies. L'objectif étant de mettre un terme à l'impunité dont jouissent ces grands groupes, qui les rend plus forts que des Etats. Nike et Adidas ont beau dire mais les augmentations de salaires les conduisent à délocaliser leur production. Certes, c'est aux Etats de garantir le respect des droits fondamentaux de leurs travailleurs, mais lorsqu'il y a des évolutions, on sait très bien qu'il y a des désinvestissements de la part des multinationales, et Nike et Adidas suivent ce pas.
Ce qu'en pensent les principaux concernés :
Contacté par ID, le service communication d'Adidas a répondu que "le respect de conditions de travail équitables et sûres mais également des salaires équitables sur les sites de production tout au long de la chaîne d'approvisionnement font partie intégrante de la politique commerciale d'Adidas et des accords contractuels avec (ses) fournisseurs" et a précisé :
"Bien que nous ne déterminions pas les salaires que les fournisseurs versent à leurs employés, Adidas exige que les employeurs versent au moins la rémunération exigée par la loi ou négociée dans le cadre d'un processus de négociation collective. Outre les conditions économiques générales et le coût de la vie d'un pays, les lois nationales, le nombre et la disponibilité de la main-d'œuvre dans le pays, les aptitudes et compétences d'un employé, la nature du secteur ou de l'industrie et la compétitivité de l'employeur influencent également la détermination de ces salaires.
Le salaire mensuel moyen des travailleurs sur les sites de production avec lesquels Adidas travaille en Indonésie est actuellement bien supérieur au salaire minimum actuel. Le salaire net comprend le salaire mensuel plus les avantages sociaux (p. ex. prime de rendement, allocation de repas, allocation de subsistance, prime d'ancienneté)."
ID n'a pas obtenu la réaction de Nike à date de publication.