Pour Laetitia, institutrice dans une maternelle classée REP (réseau d'éducation prioritaire) du XVIIIe arrondissement de Paris, assurer les cours à distance comme doivent le faire les 850 000 enseignants de France depuis lundi n'a rien d'évident. Plusieurs familles "n'ont pas d'ordinateur, ni d'imprimante", raconte-t-elle. A cela s'ajoute la barrière de langue, avec "pas mal de parents qui ne sont pas francophones". "Les grandes soeurs et frères aident, mais ce ne sont pas des enseignants, et beaucoup n'ont pas fait d'études", poursuit l'institutrice. "J'espère que le confinement va se terminer rapidement, mais c'est sûr, des enfants auront du retard par rapport à d'autres".
A Provins (Seine-et-Marne), Johana, professeure en CE1 dans une école REP, se prépare déjà elle aussi à devoir "rattraper le retard" et s'alarme de n'avoir pu joindre certaines familles. "Vendredi, j'ai demandé aux parents de m'envoyer leur adresse mail pour leur transmettre les devoirs. Je n'ai eu que 2 réponses sur 12 élèves". Elle a donc décidé de les appeler un par un.
Pour Soumia, qui vit à Pavillons-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) avec ses trois enfants, les cours à la maison c'est "la galère". "L'école et moi ça fait deux", confie la jeune femme, qui "n'a pas fait beaucoup d'études". Pour faire les leçons, elle se renseigne sur internet, demande des "outils" à la maîtresse, téléphone à sa soeur, mais parfois, ça coince. "Hier, il y avait un exercice sur les adjectifs, je n'ai rien compris. La maîtresse a envoyé la correction, mon fils avait presque tout faux. Je n'arrivais pas à lui expliquer pourquoi".
A Pantin, la direction d'une école REP a même enjoint les parents à "ne pas faire trop travailler les enfants", expliquant que, "sinon, au retour, les écarts entre les élèves seront encore creusés", rapporte une mère d'élève.
"On va faire un effort supplémentaire pour les élèves dont on craint le décrochage", dans "certains territoires défavorisés ou niveaux de classe comme le CP ou CE1", a assuré mercredi sur France Info, le ministre de l'Education, Jean-Michel Blanquer. "On est en train de déployer un dispositif pour que des recommandations soient faites aux parents", a ajouté le ministre.
La maîtresse sur WhatsApp
De son côté, Radouane M'Hamdi, principal du collège Evariste Galois à Sevran (Seine-Saint-Denis) et secrétaire régional du SNPDEN, s'est attelé ces derniers jours à recenser les élèves de son établissement sans ordinateur ou connexion internet. Bilan : 27 élèves sur 720. Plusieurs ont depuis trouvé une solution. Pour d'autres, le principal a décidé "de prêter des tablettes" qui servaient jusqu'ici aux enseignants.
De nombreuses collectivités territoriales ont "également équipé" des élèves en matériels numériques, poursuit le rectorat de Créteil. "Dans cette situation inédite, tout ne sera évidemment pas parfait, on essaie d'améliorer tous les jours le dispositif", ajoute l'institution. "On constate un engagement très fort des enseignants".
La Fédération des parents d'élèves (FCPE) de Seine-Saint-Denis note elle aussi un grand "élan solidaire", avec notamment "une coopération entre parents". "Par exemple, nous sommes en train de récupérer des modes d'emploi en plusieurs langues pour l'utilisation des espaces numériques de travail", explique Alixe Rivière, co-présidente de la FCPE 93. Des groupes WhatsApp de parents s'activent un peu partout.
Zahra en a intégré un, créé par une amie. "Il y a une maîtresse qui fait des vidéos pour expliquer ce qu'on ne comprend pas", témoigne cette mère de trois enfants qui vit à Bobigny. "Hier, c'était la différence entre les sons +e, eu et eau+".
"On ne va pas faire comme si les choses étaient normales, il va y avoir une rupture d'apprentissage", complète Francette Popineau, secrétaire générale du Snuipp-FSU, premier syndicat du primaire. "Mais il faut se rassurer", ajoute-t-elle. "Ce n'est pas la peine de faire travailler les élèves d'arrache-pied, aborder des notions nouvelles seuls, leur apprendre les multiplications alors que ça n'a pas été encore vu en classe... Car nous reprendrons les cours là on nous nous sommes arrêtés le 13 mars, pour ne léser personne".
Avec AFP.
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