"Du poison dans le poisson". C’est le titre de l’enquête publiée le 29 octobre dernier par les ONG Bloom et Foodwatch. Pendant 18 mois, elles ont analysé près de 150 boîtes de thon provenant de différents pays européens, et le constat est sans appel : toutes sont contaminées au mercure. Et plus de la moitié ont une teneur dépassant la norme établie pour la plupart des poissons. Parfois très largement. "Sur les 148 boîtes, une boîte de la marque Petit Navire achetée dans un Carrefour City parisien affiche une teneur record de 3,9 mg/kg, c’est-à-dire 13 fois plus élevée que celle des espèces soumises à la norme la plus restrictive de 0,3 mg/kg", alerte le rapport.
Une substance toxique et potentiellement cancérigène
Le mercure est un métal présent naturellement dans l’environnement, considéré comme l’une des dix substances les plus préoccupantes au monde selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Il est généralement diffusé dans l’air par la croûte terrestre, mais il est aussi rejeté par les activités humaines comme l’exploitation minière ou la métallurgie. Dans l’eau, il se transforme en méthylmercure — classé comme potentiel cancérogène par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) — et s’accumule dans les organismes marins, à des quantités de plus en plus importantes à chaque étape de la chaîne alimentaire. Jusqu’à atterrir dans les assiettes des consommateurs.
Selon l’Anses, l’Agence nationale de sécurité sanitaire, "le méthylmercure est toxique pour le système nerveux central de l’être humain, en particulier durant le développement in utero et au cours de la petite enfance. Cette substance peut ainsi provoquer des troubles comportementaux légers ou des retards de développement chez les enfants exposés in utero ou après la naissance, même en l'absence de signes de toxicité chez la mère". L’agence recommande donc aux femmes enceintes de limiter la consommation de poissons prédateurs sauvages, comme le thon.
Chez l’adulte, l’ingestion de méthylmercure peut aussi entraîner des effets sur la santé, comme l’augmentation du risque de maladie cardiovasculaire, ou des troubles immunitaires et reproductifs. Selon l’OMS, il peut également provoquer "des lésions rénales et du système nerveux et des problèmes de peau".
"Protéger les ventes de thon au détriment de notre santé"
Contrairement à la plupart des poissons dont la teneur maximum autorisée est de 0,3 mg/kg, le thon, lui, peut en contenir jusqu’à 1 mg/kg. "Le mercure du thon n'est pourtant pas moins toxique que le mercure d’une sardine ou d’un cabillaud", déplore Bloom. "C’est incompréhensible, surtout lorsque l'on sait que le thon est le poisson le plus consommé d’Europe". D’autant que cette teneur maximale concerne uniquement le poisson frais, alors que "le thon en boîte perd beaucoup d’eau, donc le mercure est deux à trois fois plus concentré que dans le thon frais". D’après les calculs de l’ONG, la quantité théorique de méthylmercure dans boîte de conserve pourrait atteindre 2,7 mg/kg. Soit une teneur "jusqu’à neuf fois plus élevée que celle d’une sardine fraîche".
« On a prélevé 148 conserves dans 5 pays, et toutes sont contaminées au mercure. La norme de mercure autorisée pour le thon est trois fois plus élevée que pour d’autres poissons. Les pouvoirs publics ont voulu protéger les ventes de thon. » - Julie Guterman, de l’ONG @Bloom_FR pic.twitter.com/f8gmMVAT9B
— C à vous (@cavousf5) October 29, 2024
Selon Bloom, cette situation est due à des jeux de lobbys et des conflits d’intérêts pour permettre de commercialiser 95 % des prises de thon. "Cela fait plus de quarante ans que l’industrie de la pêche infiltre tous les niveaux de décision réglementaire pour obtenir des normes sur-mesure concernant le mercure dans le thon" résume dans Le Monde Julie Guterman, l’autrice principale de l’enquête. "Elle a réussi : les pouvoirs publics ont décidé de protéger les ventes de thon, au détriment de notre santé".
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Bloom et Foodwatch appellent la Commission européenne et les Etats membres de l’Union à adapter la législation, et ont lancé une pétition pour inciter les principaux distributeurs, comme Carrefour, Intermarché ou Leclerc, à "prendre leurs responsabilités et protéger immédiatement la santé des consommateurs".
Tous les poissons ne sont pas à éviter. Certains, comme le bar, la sardine ou l’anchois contiennent moins de mercure que le thon et peuvent être consommés jusqu’à une fois par semaine, selon l’Association santé environnement France. D’autres comme le hareng, la morue ou le maquereau peuvent être consommés deux fois par semaine. Enfin, les poissons les moins contaminés qui peuvent être consommés sans restriction sont l’aiglefin, la truite et le saumon.