Des manifestants brandissent des drapeaux de la FNSEA près du Parlement européen à Bruxelles, lors d’une mobilisation d’agriculteurs contre les accords commerciaux comme le Mercosur, le 18 décembre 2025.
©NICOLAS TUCAT / AFP
Politique

Mercosur : pourquoi l’accord divise l’Europe sur les normes environnementales

L’accord UE Mercosur ravive les inquiétudes sur la concurrence agricole, la protection de la biodiversité et le respect des objectifs climatiques européens. Alors que les agriculteurs se mobilisent dans plusieurs pays et que les divisions s’accentuent au sein des Vingt Sept, la question d’un commerce compatible avec la transition écologique s’impose au cœur du débat.

L’accord UE-Mercosur est dans les petits papiers de la Commission européenne depuis longtemps : en négociation depuis 2000, un accord de principe a été trouvé en 2019, mais rien n’est signé ou ratifié. Les négociations reprennent en 2022 et plusieurs pays européens poussent à la signature avant la fin de l’année 2025. Le Mercosur, ou Marché commun du Sud, est une union économique entre différents pays d’Amérique du Sud. 

L’Argentine, le Brésil ou encore l’Uruguay pourraient dès lors importer et exporter de nombreuses denrées dans ce qui serait la plus grande zone de libre-échange du monde. En clair, l’Europe obtiendrait une baisse des droits de douane sur les produits chimiques, l’automobile et les machines-outils. Les pays du Mercosur bénéficieraient d’une grande ouverture au marché européen pour leurs produits issus de l’agriculture comme le bœuf, le poulet ou le sucre. 

Les accords commerciaux ne sont pas le seul enjeu de ce texte puisqu'il favorise aussi la collaboration de ces deux régions du monde. Cybercriminalité, droits humains, éducation… L’objectif est de promouvoir le dialogue sur de nombreuses thématiques. Parmi elles, la protection de l’environnement suscite un débat puisque les normes environnementales européennes ne s’appliquent pas à l’Amérique du Sud.

Un accord qui divise

Ce couac environnemental justifie l’opposition de certains pays à la signature de cet accord. Parmi eux, la Pologne, l’Autriche, l’Irlande et les Pays-Bas craignent des répercussions sur leurs filières agricoles et alimentaires. Pour cause, la différence de normes en matière d’environnement et de santé avec ces pays du Mercosur. Dans un rapport remis au Premier ministre français en 2020, une Commission d’experts affirme que cette entente aggraverait la déforestation et la dégradation de la biodiversité en Amérique du Sud. 

La France mène la résistance avec une position ferme : "Sur le Mercosur, nous considérons que le compte n’y est pas et que cet accord ne peut pas être signé", affirme Emmanuel Macron à Bruxelles. "On doit être respectés", continue-t-il.

Comme pour le demi-tour de l’Europe sur le tout électrique en 2035, l’État français est opposé à son voisin Allemand. Le chancelier Friedrich Merz annonce faire pression "intensément" sur les pays européens pour signer l’accord. L’ami historique de la France a besoin de cet accord pour renforcer son industrie automobile. C’est cette position qui donne à ce texte le surnom de "viandes contre voitures". Si Bruxelles bénéficie aussi du soutien de l'Espagne et du Portugal, les agriculteurs européens sont en colère face à une concurrence jugée déloyale.

Paris, Rome et Bruxelles bloqués

Depuis le 12 décembre, ils sont sur les autoroutes françaises afin de manifester leur mécontentement concernant ce sujet et celui de la dermatose nodulaire. Les agriculteurs bloquent des axes routiers vitaux pour la libre circulation des Français. L’A10, l’A64, l’A89… Il s’agit d’une opération massive qui met en lumière la détresse des exploitants agricoles. "Un producteur de viande bovine au Brésil ou en Argentine utilise des hormones ou des accélérateurs de croissance qui sont interdits en Europe depuis plus de 20 ans", dénonce Arnaud Rousseau, président de la FNSEA.

La grogne s’étend au-delà des frontières françaises avec l’organisation d’un rassemblement à Bruxelles. 10 000 agriculteurs, dont 4 000 français, sont attendus dans la capitale belge. Cette mobilisation prend place alors que les chefs d’Etats et de gouvernements des 27 pays de l’UE se réunissent en sommet. Les agriculteurs italiens sont aussi au rendez-vous, ce qui pousse leur gouvernement à s’opposer à l’accord. "Nous sommes particulièrement heureux que le gouvernement italien ait entrepris cette démarche de concertation", affirme Ettore Prandini, président du puissant syndicat agricole italien Coldiretti.

Le Brésil lance un ultimatum aux Européens

Initialement en faveur du texte, l’Italie rejoint la France et s’oppose donc à la ratification de l’accord. Une signature "dans les prochains jours" serait "prématurée", explique Giorgia Meloni. Les deux pays, qui ont habituellement des relations difficiles, menacent de bloquer ensemble le processus. Si l’Europe "souhaite passer en force en cette fin de semaine" pour signer le traité commercial "et aller au vote, la France votera contre", avertit Sébastien Lecornu. Que ce soit la Commission, Berlin ou Madrid, tous espèrent convaincre Giorgia Meloni. Si l’Italie maintient sa position au côté de la France, la Pologne et la Hongrie, alors une minorité de blocage empêcherait le vote.

Côté Mercosur, la pression monte avec un ultimatum. Au Brésil, le président Luiz Inacio Lula da Silva menace : Si la signature ne se fait pas "maintenant, le Brésil ne signera plus l’accord tant que je serai président." Si les Européens "disent non, nous serons désormais fermes avec eux, parce que nous avons cédé sur tout ce qu’il était possible de céder diplomatiquement", insiste-t-il. Le Conseil européen de ce jeudi est donc déterminant quant à la trajectoire que prend l'union concernant ses filières et la lutte contre le réchauffement climatique.