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INFO PARTENAIRE

Les taux longs japonais, témoins d’une réussite historique ?

Après plus d’une décennie d’efforts pour sortir durablement de la déflation, le Japon voit ses taux longs remonter nettement. Un mouvement qui témoigne d’une normalisation économique enfin en marche, mais qui comporte aussi des implications contrastées pour les investisseurs à l’échelle mondiale. 

Initiée par feu le premier ministre Shinzo Abe et le gouverneur de la Banque du Japon Haruhiko Kuroda en 2012-2013, la politique économique japonaise de reflation est-elle en passe de réussir ?  C’est peut-être d’abord ainsi qu’il faut comprendre le message de la hausse des taux longs japonais (graphique 1), hausse qui provoque une certaine émotion sur les marchés mondiaux.  

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Cette expérimentation fascinante, après 15 ans de déflation de 1998 à 2013, vise à créer les conditions d’un retour à une inflation « normale » d’environ 2%. Un pays en fort déclin démographique, donc avec un potentiel de croissance très bas, a besoin d’une inflation positive pour faire baisser plus facilement les taux d’intérêt réels (c’est-à-dire après inflation) et pour diminuer la valeur réelle des dettes accumulées. Pour une telle économie, une inflation à 2% et des taux d’intérêt entre 1% et 2% est une situation nettement préférable à celle d’une inflation à 0% et des taux d’intérêt négatifs ou nuls.  

C’est précisément ce que vise la politique de reflation. Depuis 2013, les prix à la consommation, les salaires et les prix de l’immobilier sont d’abord remontés modérément. Mais à la fin de la période du Covid, le mouvement s’est nettement accéléré (graphique 2). Au lieu de contrer cette inflation, comme l’ont fait les autres banques centrales en 2022-2023, la BoJ y a vu une occasion historique de désancrer les anticipations d’inflation trop basses des agents économiques japonais. Elle a donc maintenu ses taux négatifs jusqu’en février 2024, ce qui a provoqué une forte chute du yen et alimenté l’inflation.  

 

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Cela semble fonctionner. L’inflation sous-jacente japonaise se situe aujourd’hui à +3%, soit un peu au-dessus de l’objectif de 2% de la banque centrale, et les habitudes des entreprises japonaises se modifient en faveur d’augmentations annuelles de salaires systématiques. La Banque du Japon prend cependant son temps pour normaliser ses taux afin de ne pas enrayer la dynamique de remontée des anticipations d’inflation à moyen et long terme, en route vers son objectif de 2%.  

Après seulement trois hausses de taux depuis début 2024, la Banque du Japon s’apprête à monter à nouveau son taux d’intérêt de 25 points de base, à +0,75%, probablement le 19 décembre prochain. La BoJ sera particulièrement attentive à l’évolution des politiques salariales des entreprises pour décider du timing des prochaines hausses. Elle surveillera aussi l’inflation sous-jacente, qui est attendue en baisse de +3% en 2025 à un peu moins de +2% en 2026. Les taux monétaires resteront quoiqu’il en soit nettement inférieurs à l’inflation mesurée et anticipée (graphique 3).  

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Ces hausses de taux se sont accompagnées d’un arrêt et même d’un début de renversement des achats d’actifs par la BoJ (resserrement quantitatif). Lors de ces dernières interventions, le gouverneur Ueda a réitéré son objectif d’une politique monétaire « neutre », ce qui signifie selon lui des taux d’intérêt de 1% minimum, et une tendance baissière du bilan de la banque centrale. A ce stade, le marché monétaire japonais anticipe que ce niveau de 1% de taux d’intérêt sera atteint l’été prochain. Le but ultime de la politique de reflation est d’obtenir une inflation durablement proche de 2% avec une politique monétaire entièrement neutralisée.  

Le chemin parcouru est déjà substantiel, mais il reste un défi de taille : sortir le yen de sa sous-évaluation considérable, sans casser l’économie et la Bourse japonaise, ni réduire significativement l’inflation. Par rapport à ses partenaires commerciaux, corrigé des différentiels d’inflation, le yen a perdu plus de 40% depuis l’élection de Shinzo Abe en décembre 2012 (graphique 4).  Les experts de Goldman Sachs estiment que le yen est la devise la plus sous-évaluée du monde, d’environ 30% par rapport aux autres devises concurrentes. Avec un écart de taux d’intérêt de moins en moins important entre le Japon et le reste des pays développés, le yen devrait pouvoir s’apprécier progressivement.   

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La politique budgétaire annoncée par la nouvelle Première ministre Sanae Takaichi pourrait y contribuer. Celle-ci prévoit une augmentation « temporaire », d’environ 1% du PIB, du déficit budgétaire pour les années fiscales 2025 et 2026. Dans un pays connu pour sa dette publique record, cette annonce peut sembler irresponsable. Pourtant, le déficit budgétaire japonais se situe aujourd’hui à son plus bas niveau depuis 33 ans, à 1,5% du PIB.  

De plus, sa dette publique brute gigantesque de 225% du PIB se réduit fortement quand on passe en « net », c’est-à-dire après prise en compte des liquidités considérables gérées par l’Etat, dont celles des fonds de réserves de retraites. Pour faire court, le Japon a préféré s’endetter à bas taux d’intérêt plutôt que de rembourser la dette avec ses réserves, car ces dernières sont investies dans des actifs (actions japonaises et mondiales, etc.) dont la rentabilité est supérieure aux taux souverains. Ces fonds de réserves représentent aujourd’hui 100% du PIB. En net, la dette japonaise est donc de 125% du PIB, soit le niveau italien, et plus très loin du niveau américain (graphique 5). Rappelons enfin que près de la moitié de la dette obligataire japonaise est aujourd’hui détenue par la Banque du Japon. 

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A ce stade, la hausse des taux longs japonais n’est donc probablement pas due à une inquiétude liée à la dette publique, mais plutôt à une prise en compte de la réussite du plan de reflation orchestré par les autorités japonaises.  

Pour les investisseurs, cette reflation a ses bons et ses moins bons côtés. Du côté positif, elle rend le Japon plus attractif, avec une devise fortement sous-évaluée, une croissance économique décente et un redressement spectaculaire de la rentabilité du secteur financier (graphique 6). Les banques et les sociétés d’assurance sont en effet les premières bénéficiaires de la hausse des taux d’intérêt. 

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Du côté négatif, la remontée des taux japonais questionne un des piliers de la hausse des marchés boursiers depuis 2024, à savoir la tendance baissière des taux à court terme dans les pays développés. Elle s’ajoute au statu quo de la BCE et aux hésitations de la Fed. La hausse des taux longs japonais, en particulier à 30 ans, participe aussi de la méfiance grandissante des investisseurs à l’égard des durations longues, et peut générer des chocs de court terme. Elle fait enfin craindre un rapatriement des actifs des fonds de pensions japonais, même si les flux ne l’indiquent pas à ce stade.      

La dérivée seconde des taux monétaires des grandes banques centrales sera en effet un des facteurs de risques pour 2026. Il est cependant important de répéter qu’au Japon, ces hausses de taux témoignent d’un succès économique et monétaire dont il faut aussi profiter. Le Japon représente 15% de la poche actions de nos fonds globaux, avec une surpondération des banques. Enfin, avec des taux réels à court terme toujours très négatifs au Japon et, plus légèrement, en Europe, et une prochaine baisse des taux de la Fed, le risque d’un net resserrement des liquidités mondiales reste, à ce stade, modéré.     

Nos taux d’exposition sont les suivants : 

 

Contenu rédigé par Dorval AM.