De plus en plus de dossiers pour défendre les droits des animaux arrivent devant les tribunaux.
© Levent Konuk/Shutterstock
Témoignages

Ces avocats et avocates défendent les droits des animaux devant les tribunaux

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Malgré des avancées législatives en faveur de la protection animale, plusieurs défis restent encore à relever pour faire avancer les droits des animaux. Témoignages d’avocats et d’avocates en première ligne dans la défense de ceux que l’on appelle les "sans-voix". 

Longtemps moquée, la question des droits des animaux gagne peu à peu du terrain dans les prétoires. Devant les tribunaux, des avocats et avocates revendiquent aujourd’hui de porter la robe au nom de la cause animale. "Je consacre une grande partie de mon activité au droit animalier mais aussi à la défense des lanceurs d’alertes, des activistes et des associations animalistes, comme 269 Life, ainsi que de nombreux refuges pour qui j’interviens partiellement pro bono”, commente Angélique Chartrain, avocate spécialisée dans le droit animalier et fondatrice du collectif Action Justice Animaux.

Celle qui se définit comme une avocate "animaliste" explique s’être très tôt interrogée sur la condition animale. "Depuis l’enfance, l’injustice liée à la condition faite aux animaux, en particulier ceux non catégorisés comme des animaux de compagnie, m’a paru criante et aberrante", précise-t-elle. 

Pour Isabelle Terrin, avocate au barreau de Marseille et présidente de l’association Défense et dignité animales, c’est l’adoption d’un chien mutilé qui a été l’élément déclencheur.

Après 28 ans de carrière comme pénaliste, j’ai voulu mettre mon expérience au service des animaux victimes de la main humaine”, lance-t-elle.

Parmi ses clients, le chaton Moustache, le chat Mickey ou encore le chien Fuji, brûlé vif par une femme. Condamnée à deux ans de prison, dont une année avec sursis, celle-ci avait été jugée en 2017 devant le tribunal de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire). "Le jour de ce procès, je me suis approchée de la barre et j’ai dit : 'je plaide pour Fuji'. J’ai décrypté la souffrance de l’animal comme je l’aurais fait pour une personne humaine”, détaille la professionnelle du droit.  

Plus de dossiers devant les tribunaux 

Une approche singulière adoptée également par Graziella Dode, avocate au barreau de Lille et membre de l’association Défense et dignité animales. "J’essaye de connaître l’histoire de l’animal, de parler pour lui. Chaque animal que j’ai défendu m’a marquée de par l’importance des sévices subies." 

Au-delà des maltraitances et des actes de cruauté, les avocats et avocates peuvent aussi être amenés à s’occuper de litiges. "Le droit animalier ne se limite pas au droit pénal, il relève aussi du droit civil (droit de la responsabilité, droit de la propriété, divorce), du droit de l’environnement (braconnage) ou encore du droit des contrats par exemple pour ce qui concerne les garanties lorsqu’on achète un animal. C'est une matière très transversale”, ajoute Olivia Symniacos, à la tête du cabinet Animalex.  

Quel que soit leur domaine de compétences, ces professionnels du droit témoignent d’une prise de conscience dans la reconnaissance des droits des animaux.

Depuis dix ans, de plus en plus de dossiers arrivent à la barre des tribunaux. C’est déjà une victoire.

Cela s’explique par le fait que les consciences évoluent. Les témoins de maltraitances ne se taisent plus, ils les signalent aux associations qui ont qualité pour déposer plainte. Les forces de l’ordre sont également plus concernées et les enquêtes sont menées sérieusement. Les parquets tiennent compte des attentes sociétales et engagent des poursuites", observe l’avocate. 

En avril dernier, l’influenceur Germain R, ou "Rop" sur les réseaux sociaux, a par exemple été condamné à deux ans d’emprisonnement, dont une année avec sursis probatoire ainsi qu’un an ferme avec bracelet électronique, après avoir été reconnu coupable de sévices graves et actes de cruauté sur sa chienne Texas, rebaptisée Hope. 

Une évolution certes mais encore trop timide, selon Isabelle Terrin. "Le contentieux des animaux reste mineur alors que la loi a été renforcée”, déplore-t-elle en faisant référence à la loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale. 

Des avancées à nuancer 

Avec ce texte, les peines pour les sévices graves, les actes de cruauté et l’abandon ont été aggravées. Elles sont désormais portées à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende, contre deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende dans le passé. Des sanctions sont également prévues en cas de mort de l’animal : cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. 

"En pratique, les peines sont très limitées. Très peu de personnes sont incarcérées, même en cas de récidive. La tendance n’évolue pas vraiment. Au contraire, les parquets semblent plutôt passer par des procédures alternatives aux poursuites, ce qui limite la place de l’animal-victime dans la procédure”, regrette Clément Petit, avocat au barreau de Metz et membre de l’association Défense et dignité animales. Même son de cloche du côté de Graziella Dode. 

Des écueils persistent même au niveau du droit civil. Aujourd’hui, quand on veut adopter ou acheter un animal, il faut signer un certificat d’engagement et de connaissances des besoins spécifiques de l’espèce. Quand cela n’est pas fait, il n’y a pas de sanctions.” 

Autre paradoxe pointé par les professionnels du droit : depuis le 28 janvier 2015, et l’article 515-14 du Code civil, les animaux sont considérés comme des êtres vivants douées de sensibilité. Toutefois, ils restent soumis au régime des biens.   

Un nouveau statut à définir 

Face à ce constat, des ONG, activistes et juristes animalistes militent depuis plusieurs années pour que les animaux soient dotés de la personnalité juridique. "En France, les animaux sous la garde de l'homme restent à ce jour soumis au régime juridique des biens corporels et les animaux sauvages vivant en liberté sont considérés comme 'res nullius' (choses n'appartenant à personne), qu'on peut s'approprier et détruire à loisir ; sauf protections spécifiques prévue par les textes”, relève Angélique Chartrain.

Elle développe : "Nous nous employons à obliger le législateur et les juges à tirer les conséquences des évolutions scientifiques démontrant la sensibilité des animaux (capacité à éprouver des sensations et percevoir des impressions), déjà reconnue par les codes, mais aussi leur sentience (capacité à évaluer des actions, en mémoriser certaines et leurs conséquences, ressentir des émotions, manifester un certain degré de conscience, voire accéder à une forme de culture). Ceci justifie qu'ils soient traités comme des sujets titulaires de droits fondamentaux (différents des humains, évidemment) et non comme de simples objets de droits passifs. Les choses évoluent, peu à peu. Le 8 novembre 2016, une juge de Mendoza, en Argentine, a accueilli une action d’habeas corpus et reconnu à la femelle chimpanzé Cécilia le statut de personne non humaine.” 

Plus récemment, le 29 juin 2023, la province des îles Loyauté, en Nouvelle-Calédonie, a adopté une délibération qui reconnait les tortues marines et les requins comme "entités naturelles juridiques".  

Autant d’exemples qui poussent les avocats et avocates à s’interroger sur l'évolution du statut de l'animal.

Je ne sais pas s'il faut leur octroyer la personnalité juridique, mais pour sûr il faut créer un nouveau statut pour les animaux.

D'abord, la notion de "personne" est bien plus adaptable aux animaux en tant qu'êtres vivants doués de sensibilité, qu'aux personnes morales telles qu'on les connait aujourd'hui (entreprises, collectivités, ect...). Surtout, devant les tribunaux, c'est bien l'animal en personne qui doit être défendu. Par exemple chez Défense et dignité animales, on plaide directement au nom de l'animal. C'est lui notre client principal, parce que c'est lui qui a souffert et continue parfois de supporter les séquelles. C'est comme si on lui donnait la personnalité juridique le temps du procès”, argumente Clément Petit. 

Pour d’autres, comme Olivia Symniacos, l’animal ne sera jamais une personne comme les autres. "Il lui faut un statut hybride, un statut rien qu’à lui", appuie-t-elle.  

En attendant que la justice s’empare de cette question, plusieurs spécialistes du droit animalier tente de faire bouger les lignes à leur manière. "Dans mes dossiers, je demande désormais à chaque fois un préjudice pour l’animal, c’est-à-dire une indemnisation pour lui-même, allouée à son propriétaire ou à une association de protection animale qui l’a défendu", fait savoir Graziella Dode.

Une initiative assez nouvelle qui s’inspire du préjudice écologique inscrit dans le Code civil et aujourd’hui reconnu par la jurisprudence française. En juin dernier, l’Etat a par exemple été condamné à réparer d’ici un an un préjudice écologique lié à l’utilisation massive de pesticides dans l’agriculture. De quoi donner de l’espoir aux défenseurs de l’environnement et des animaux.

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