Marouane Bouchriha, gérant Actions internationales chez Edmond de Rothschild Asset Management.
D.R
tribune

Sous le soleil outre-Atlantique

Un record absolu de chaleur sur terre a été enregistré cet été. 54,4°C à l’ombre au thermomètre dans la "crique de la fournaise" en Californie. Plus près de nous, en Ile-de-France, le record a également été battu avec 39,2°C enregistré au mois d’août. Ces chaleurs extrêmes impactent désormais notre quotidien.

En Californie, pour la première fois depuis 20 ans, l’Etat a imposé des coupures de courant en raison de pics de consommation liés à la demande de climatisation, et afin d’éviter l’endommagement des transformateurs qui pourrait conduire à des départs de feu.

Près des deux tiers des Américains estiment désormais que le gouvernement fédéral devrait faire plus pour lutter contre le changement climatique, et presque autant soulignent que le problème affecte déjà leur communauté d'une manière ou d'une autre, selon un sondage publié en juin par le Pew Research Center. La ligne de fracture entre pro-Démocrates et pro-Républicains demeure, mais en moins de 10 ans, la part des Américains définissant le changement climatique comme une "menace majeure" est passée de 44 % à 60 % : 88 % pour les Démocrates et 31 % pour les Républicains.

Joe Biden ne s’y est pas trompé en annonçant son nouveau plan climat baptisé "Clean Energy Plan". Il s’agit d’une version bien plus ambitieuse que ses propositions présentées lors des primaires démocrates, inspirée par le Green Deal européen afin de rallier l’aile gauche du parti et avec pour fil d’Ariane l’emploi et la supériorité technologique américaine.

A l’époque des plans de relance en milliards de dollars, il fallait un chiffre accrocheur : ce sera 2.000 milliards de dollars, à investir lors de son premier mandat. Un chiffre faramineux, même comparé au 1.000 milliards d’euros sur 10 ans du Green Deal européen.

Le plan concerne 5 segments :

  • La génération d’électricité, avec un objectif ambitieux de décarboner le secteur à horizon 2035.
  • Le transport, en durcissant les normes d’émissions, encourageant la pénétration du véhicule électrique et le retour d’une politique ambitieuse du ferroviaire.
  • Le bâtiment avec un objectif de réduire son empreinte carbone de 50% d’ici 2035.
  • L’hydrogène, avec un soutien à la recherche et au secteur afin d’atteindre la parité coût entre l’hydrogène vert produit par électrolyse et l’hydrogène gris produit par reformage de gaz naturel.
  • L’agriculture, afin de soutenir les investissements nécessaires pour décarboner le secteur.

Le plan prend soin de ne pas mentionner les énergies fossiles, mais la décarbonisation du secteur électrique implique la fin du charbon, déjà mis à mal par les prix bas du gaz. Pour le pétrole, pas de mention du « fracking », la fracturation de roche-mère à la base du pétrole de schiste. L’aile gauche du parti cherchait à bannir cette pratique, mais Joe Biden proposerait de limiter les zones autorisées, ce qui devrait restreindre la croissance du secteur. De plus, les Démocrates cherchent à réduire les émissions de méthane associées, ce qui pourrait augmenter les coûts de production.

L’ampleur et la mise en place de ce programme dépendra de la portée de la potentielle victoire démocrate. Même en cas de victoire à la Maison Blanche et au Congrès, si les Républicains gardent le contrôle du Sénat, ils pourront bloquer les changements législatifs.

A l’autre extrême, un scénario avec une victoire républicaine n’est pas nécessairement négatif. Malgré sa rhétorique, c’est sous le mandat de Trump que les nouvelles additions de renouvelables ont accéléré pour atteindre 55 % des nouvelles additions de capacité, tirées par la baisse des coûts.

DANS CE CONTEXTE, QUELLES OPPORTUNITÉS D’INVESTISSEMENT ?

Contrairement à l’a priori de ce côté-ci de l’Atlantique, les Etats-Unis disposent d’un vivier technologique et industriel important en matière de technologies vertes. Les opportunités d’investissement y sont d’ailleurs aussi nombreuses, voire plus importantes qu’en Europe.

Pour la génération d’électricité, de nombreuses utilities américaines ont pris le virage des renouvelables. Des noms comme Nextera et Avangrid se détachent et rivalisent avec les leaders européens.

Le plan implique une accélération massive concernant le déploiement du solaire et de l’éolien dont vont bénéficier les acteurs domestiques comme TPI Composites (fabricant de pales d’éoliennes), First Solar (fabricant de panneaux solaires) ou Solaredge (fabricant d’onduleurs solaires et batteries domestiques).

Sur le front du transport, Tesla est un nom qu’on ne présente plus, mais de nombreuses autres start-ups ont bénéficié du succès de cette société pour se financer et lancer des modèles électriques. Rivian et Lucid Motors ont lancé des modèles prometteurs et se démarquent particulièrement. Joe Biden s’est d’ailleurs exprimé sur le retard pris par les Etats-Unis face à la Chine dans le développement de l’industrie des véhicules électriques et des batteries, et veut utiliser "tous les moyens à disposition de l’Etat fédéral" pour repositionner les Etats-Unis comme leader.

L’autre nom qui aura selon nous marqué l’année 2020 dans le secteur des transports est Nikola. La société américaine cherche à transformer le marché des camions en lançant un modèle à hydrogène. Le groupe en est encore au stade du développement, mais son succès en Bourse a eu pour effet de dynamiser le secteur de l’hydrogène, entraînant dans son sillage de nombreux fabricants de piles à combustible comme Plug Power ou Bloom Energy. Toujours dans le transport, le plan Biden mentionne le retard important pris sur le ferroviaire avec une infrastructure dégradée et une couverture faible. Il a parlé de la nécessité d’une "2ème grande révolution ferroviaire". Alstom serait un premier bénéficiaire avec l’acquisition de Bombardier et la mise au ban de l’acteur chinois CRRC. Wabtec est le seul acteur local de taille.

Dans le bâtiment, les leviers d’actions sont nombreux, de même que les acteurs pour s’y exposer. Aujourd’hui, seulement 1 % du parc immobilier est renouvelé chaque année. Réduire les émissions de gaz à effet de serre des bâtiments implique également de passer du chauffage à gaz vers les pompes à chaleur, ce qui va également augmenter l’électrification des bâtiments. Au sein de ce secteur, des acteurs comme Trane, Carrier ou encore Eaton nous semblent bien positionnés.

L’autre levier pour les bâtiments est le développement des compteurs intelligents (smart-meters) afin d’améliorer le suivi de la consommation des clients et mieux lier la production d’électricité à la consommation. Itron, spécialiste américain des smart-meters avec une présence globale, fait partie des acteurs qui s’illustrent dans ce domaine.

En matière d’agriculture, le marché américain comprend de nombreux acteurs. A titre d’exemples, Deere pourrait bénéficier d’une reprise des investissements de modernisation dans le secteur. Trimble, dans l’agriculture de précision, propose des technologies de mesure afin de réduire l’usage des intrants.

Ce vivier d’entreprises montre que le monde a pris conscience de l’urgence climatique, quel que soit le positionnement idéologique des leaders. Sur la thématique verte, le marché est désormais un moteur aussi important que la régulation, et il n’attend pas les politiques, ayant compris les impacts désormais tangibles du dérèglement.

Une étude de l’Université d’Ohio vient d’avancer que les glaciers du Groenland ont franchi un point de non-retour. La fonte de cette calotte glaciaire est désormais irrémédiable, même si le réchauffement climatique s’arrêtait aujourd’hui, car les chutes de neige ne compensent plus les pertes de glace.

Biden parlait d’un effort d’une échelle "au-delà du programme Apollo", cela présage selon nous du maintien de la thématique verte sur le devant de la scène pour un long moment.

Par Marouane Bouchriha, gérant Actions internationales chez Edmond de Rothschild Asset Management.

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