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Entretiens

"Une nouvelle génération d’entreprises considère normal de partager la valeur économique et de créer de l’impact"

Président d'Axylia, cabinet de conseil en investissement financier spécialisé dans l'investissement responsable, Vincent Auriac revient sur le concept de finance altruiste, qui connait un boom dans l'Hexagone depuis plusieurs années.

Que recouvre le concept de finance altruiste ?

La finance altruiste désigne l’ensemble des outils et services financiers qui permettent de reverser des dons à des fondations et à des associations. Historiquement, le concept n’est pas nouveau : il y a 36 ans, tout est parti du partage des taux d’intérêt. A cette époque, ces derniers étaient à 17 % et il était facile de partager, le client en gardant une partie et l’association ciblée en recevant une autre. Cette finance solidaire a pris un coup dans l’aile il y a quelques années avec la chute des taux d’intérêt et aujourd’hui, la finance altruiste traduit un éventail plus large de produits permettant de partager une partie des profits.

Quelles sont ces solutions ?

Nous avons identifié six mécanismes possibles. Le premier est la carte bancaire, porté principalement par les caisses régionales du Crédit agricole et le Crédit coopératif. Chez les premiers, à chaque fois que vous utilisez la carte Sociétaire pour payer chez un commerçant ou retirer de l’argent à un distributeur, selon les régions, un ou deux centimes vont dans une cagnotte dont le montant est reversé en fin d’année à des associations et fondations de la région. Aujourd’hui il y a une dizaine de millions de cartes de partage en circulation en France, pour l’essentiel au Crédit agricole. C’est le produit le plus populaire et le "plus altruiste" disponible, représentant 12,7 millions d’euros en 2017.

Ensuite, il y a ce que l’on appelle les transactions digitales, qui recouvrent en particulier la pratique des points de fidélité dans les banques. Quand vous souscrivez à un nouveau produit, vous gagnez des points. Dans certaines banques, ces points sont transformables en dons à la fin de l’année. Encore une fois le Crédit Agricole, avec le système des Tookets, des points de fidélité digitaux qui peuvent être donnés en fin d’année à des associations choisies par le client, est le plus avancé sur la question, avec une portée très locale. Au total, 9000 associations en bénéficient en France et cela représente 5,5 millions d’euros.

La troisième famille est celle des intermédiaires financiers, banques et sociétés de gestion, qui donnent un pourcentage de leurs profits à des associations. C’est un phénomène relativement récent qui va de pair avec le renouveau de la philanthropie. Les financiers eux-mêmes se réapproprient cette philanthropie -même s’ils ne sont pas forcément très nombreux-, car ils estiment qu’il est de leur responsabilité sociale de partager une partie de l’argent qu’ils gagnent. Dans ce cas de figure, ce sont donc directement les financiers qui signent le chèque aux associations. Cette famille représente 3,4 millions d’euros.

Les trois autres familles sont des familles historiques : les fonds communs et les SICAV pèsent 2,9 millions et sont articulés autour de deux mécanismes : le partage d’intérêts ou le partage des frais de gestion. Les livrets bancaires représentent 2,5 millions d’euros, en recul, du fait de la faiblesse des taux d’intérêt, et enfin les SCPI,160 000 euros.

Quelle dynamique observez-vous sur ces dernières années ? 

Aujourd'hui, l’ensemble des mécanismes représente 27,2 millions d’euros principalement orientés vers les secteurs de l’enfance, de l’éducation, le financement de projets dans les pays du sud et le logement des plus démunis, pour un total de 6,2 millions de clients porteurs, détenteurs ou souscripteurs de ces produits. Il s’agit du chiffre le plus élevé qu’on ait jamais observé sur le cumul de ces mécanismes. 

Toutefois c’est une finance qui est encore à faire reconnaitre, avec plusieurs leviers à activer notamment chez les intermédiaires, chez qui il y a un potentiel considérable : sur 600 sociétés de gestion en France seules six reversent pour l’instant un pourcentage de leurs profits. Mais avec la réappropriation de la philanthropie et le développement des politiques RSE, nous pourrions arriver à terme à des sommes conséquentes. Une excellente chose serait par exemple que cela devienne un critère de choix de l’intermédiaire financier, que l’on sélectionnerait non seulement pour sa capacité à performer mais également pour sa réflexion sur le partage…

Le cabinet Axylia, dont vous êtes le président, a présenté en novembre la dernière édition du "compteur altruiste". Pourquoi avoir créé cet outil ? 

Axylia est une société de conseil en investissement financier (CIF) qui ne travaille qu’avec des fondations et des associations. C’est pour cette raison que nous avons été confrontés très tôt à des questionnements de directeurs financiers se demandant comment augmenter leurs ressources et trouver des produits financiers permettant de compléter les dons. Cela nous a amenés à analyser il y a une dizaine d’années tout cet univers de la finance altruiste et à tenir à jour des bases de données. Nous avons nous-mêmes une conviction forte autour du partage de valeur, puisque nous reversons chaque année 1 % de notre chiffre d’affaires à des associations et à des fondations, une pratique qui s’inscrit donc dans la famille des intermédiaires financiers. Désormais, il y a une nouvelle génération d’entreprises qui considèrent normal de partager la valeur économique et de créer de l’impact.

Le compteur altruiste est justement un outil destiné à mesurer les dons réalisés chaque année via les produits disponibles, à la fois en montants en euros et en nombre de clients. Ces chiffres donnent de l’épaisseur à ce que l’on essaie d’expliquer. Nous organisons également, depuis maintenant dix ans, les profit for Non Profit Awards, qui mettent en valeur des produits, des établissements ou des personnalités qui développent des pratiques ou des réflexions exemplaires autour de la finance altruiste.