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La Nef, coopérative financière engagée : "De plus en plus de gens se disent que leur argent est aussi un levier"

Se tourner vers des solutions d’épargne orientées uniquement vers des projets ayant une utilité sociale, écologique et/ou culturelle, est-ce possible ? C'est la promesse en France de la coopérative financière "La Nef". ID a questionné à ce sujet Amandine Platet, responsable service communication et vie coopérative.

Comment est née La Nef, quelle est son histoire ?

Elle est née sous forme associative en 1978 et elle s'est transformée en coopérative en 1988. Dès l'origine, l'idée était que l'argent soit un moyen - et pas une fin - de construire un monde meilleur. C'est parti du financement de projets d'agriculture durable, biodynamique plus particulièrement, et de pédagogie alternative. Au moment de sa transformation en société financière, La Nef représentait quelques centaines de sociétaires, aujourd'hui nous sommes à 40 000 sociétaires, pour un total de plus de 60 000 clients. Dans les années 1980, ce qui a marqué le tournant de La Nef, c'est le courant écologiste, plus humaniste, social. Nous avons commencé à nous tourner vers des entreprises françaises comme "Ardelaine", qui produit de la laine localement... Depuis l'origine quoiqu'il en soit, l'objectif est d'avoir une gestion plus éthique de l'argent, et l'une des principales valeurs auxquelles nous nous attachons est la transparence : nous publions tous les ans la liste des projets financés. Nous sommes le seul établissement financier à le faire. 

Comment fonctionnez-vous, quels produits proposez-vous et à qui sont-ils destinés ?

Nous sommes une coopérative, notre statut légal est "établissement de crédit spécialisé habilité à recevoir des fonds du public". Cela signifie que notre activité est principalement de l'épargne et du crédit. Nous proposons à des gens qui ont de l'argent à disposition des produits d'épargne : à La Nef c'est à 80/90 % des particuliers. Et nous prêtons à des projets écologiques, sociaux et culturels et à 95 % ce sont des prêts faits à des professionnels, donc des entreprises, des associations, des entreprises individuelles. Nous sommes vraiment sur le financement de projets entrepreneuriaux. Le premier critère de sélection des projets à La Nef est extra-financier : nous regardons si le projet a vraiment un impact positif, que ce soit d'un point de vue environnemental, social ou culturel, et ensuite nous allons rentrer dans le vif du sujet, dans le modèle économique et le business plan. Le critère éthique est nécessaire mais pas suffisant, en tout cas c'est la première chose que nous regardons.

Avez-vous quelques exemples ?

En 2018, 51 % du montant de prêts qui ont été débloqués par La Nef, c'était les filières bio. Que ce soit la production, la transformation ou la distribution : nous finançons par exemple énormément de "Biocoop". Viennent en second les énergies renouvelables : de l'éolien, du solaire... Ce qui est aussi intéressant, c'est de voir que ce sont des projets que nous finançons depuis plus de vingt ans. Aujourd'hui cela paraît évident pour une banque de financer une "Biocoop", parce que c'est rentable et qu'il y en a partout, mais il y a quinze ans, ce n'était pas le cas. La Nef attire ainsi les porteurs de projets par son éthique mais aussi par son expertise. En termes de structures, nous finançons aussi pas mal tout ce qui est coopératives. Nous avons aussi de véritables connaissances dans les besoins de ces structures juridiques.

Nous avons par ailleurs financé le commerce équitable dès le début, notamment l'entreprise "Éthiquable", qui vend aujourd'hui ses produits chez "Monoprix". Nous nous permettons de prendre peut-être un peu plus de risques si nous considérons qu'il y a un intérêt qui vaut le coup d'être soutenu, même si nous n'irons pas financer un projet dont on sait qu'il va aller dans le mur. Nous avons cette volonté d'être pionniers sur les projets qui construiront le monde de demain, même s'il y a eu aussi bien sûr dans les années 2000 des projets qui se sont plantés. 

La promesse pour les épargnants au sein de La Nef est l'assurance de savoir que leur argent finance forcément des projets engagés ?

Exactement, non seulement nous l'utilisons pour financer uniquement des projets écologiques, sociaux et/ou culturels, mais en plus nous le prouvons en publiant la liste. Vous pouvez savoir ce qui a été financé près de chez vous. Cette transparence est assez unique en France, même si nous sommes une petite structure : on parle de nous comme une banque mais nous sommes plutôt une banque d'épargne puisque nous n'avons pas de compte-courant pour les particuliers.

Les profils qui viennent vers nous depuis deux à trois sans sont des profils plus jeunes, pas forcément militants extrémistes mais plus des gens qui se posent des questions et se disent que leur argent est aussi un levier.

Une petite structure, qui est la seule à promettre cet engagement en France ?

Le deuxième établissement qui vient en général dans certains classements est le Crédit Coopératif, qui est par ailleurs notre partenaire puisque légalement nous sommes adossés à cet établissement, ce qui signifie que la Banque de France nous contrôle via le Crédit Coopératif. C'est l'établissement le plus proche de nous en termes de valeurs, il est vraiment sur le financement de l'économie sociale et solidaire et déclare tourner davantage son financement vers ce type de projets, mais pas uniquement.

Quelle dynamique ressentez-vous ? De plus en plus de Français se tournent vers vous, s'intéressent à votre proposition ?

Complètement : nous ne sommes pas nés hier mais jusqu'à il y a cinq ou six ans, nous étions plutôt réservés à un public militant. Il faut savoir que jusqu'en 2016, nous ne propositions que des comptes à terme : vous décidez à l'instant T de placer une somme donnée pour une durée fixée en amont. Par exemple, vous dites : je bloque 5000 euros pendant cinq ans. C'était assez contraignant et c'était du bouche-à-oreille. Il y a eu quand même une offre co-brandée avec le Crédit Coopératif dans les années 2000, nous proposions via le Crédit Coopératif un compte-courant et un livret d'épargne, ce qui nous a permis d'élargir notre clientèle. Et puis en 2016, nous avons lancé notre propre livret bancaire que nous gérons, cela fonctionne comme un livret A : c'est 10 euros minimum et vous faites ce que vous voulez, vous mettez de l'argent, vous en retirez. Cela a attiré plus de monde également.

L'éveil écologique ces dernières années fait aussi en sorte que de plus en plus de personnes font davantage attention à leur alimentation, leurs déplacements : ils se rendent compte que leur épargne ne dort pas dans un coffre et qu'elle fait des choses qui ont peut être un impact écologique plus important que leur consommation de viande ou autre ! Aussi, les profils qui viennent vers nous depuis deux à trois sans sont des profils plus jeunes, pas forcément militants extrémistes mais plus des gens qui se posent des questions et se disent que leur argent est aussi un levier.

De plus en plus de banques ont des communications "vertes", qu'en pensez-vous ?

Une grande banque française va vous dire effectivement : "On est le premier financeur des énergies renouvelables en France" : c'est vrai, mais parce qu'elle finance dix fois plus de charbon ou autre ! Il y a toujours des choses à relativiser. On sent quand même qu'il y a une prise de conscience, et si toutes les banques pouvaient devenir comme La Nef, nous serions très contents ! 

Retrouvez l'intégralité du dossier "Donner du sens à son épargne, mode d'emploi". 

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