©Svitlana Medvedieva/Shutterstock
Professionnels

Le risque de bulle verte est-il réel ?

Effet de mode, règlementation, diversification de portefeuilles… De nombreux paramètres poussent aujourd’hui les investisseurs vers les actifs verts avec le risque de créer des survalorisations. Tant et si bien, qu’un risque de bulle a été évoqué à plusieurs reprises ces dernières années. Réalité ou intox ?

Deux ans déjà que le risque d’une bulle verte est évoqué et partage les analystes. Il est modéré selon Joël Prohin, directeur du pôle de gestion des portefeuilles à la Caisse des dépôts, pour qui « un risque de bulle est toujours possible mais peu probable dans l’univers de la finance verte ». Par contre, Léa Dunand-Chatellet, directrice du pôle IR chez DNCA, est moins optimiste et pense que « ce risque de bulle verte est envisageable ». « La principale cause d’une bulle verte est liée à un surinvestissement dans ces sociétés vertes soit en raison d’un phénomène de mode qui va pousser la demande et les prix de ces actifs verts vers le haut, soit en raison de la règlementation qui en obligeant à investir sur certains actifs, mène aussi à une augmentation des prix », observe-t-elle.

C’est le cas aujourd’hui en France, du label Greenfin qui flèche les investissements pour mener à la cohésion énergétique, de la Loi Pacte orientant les investissements verts dans l’assurance vie et l’épargne salariale ou encore de l’art 173 qui contraint les assets managers à flécher leur empreinte carbone. « Or, les entreprises qui les offrent ne sont pas assez nombreuses pour contenir la demande, analyse Léa Dunand-Chatellet. En conséquence, les prix de ces actifs verts augmentent et le risque est de se retrouver face à une survalorisation ».

Les entreprises des énergies renouvelables cotées en bourse comme Albioma ou Voltalia ne sont aujourd’hui qu’une dizaine auxquels s’ajoutent les acteurs traditionnels qui ont basculé dans l’énergie renouvelable. En tout, une cinquantaine d’entreprises qui offrent des actifs verts. Bref, une offre assez restreinte par rapport à la demande. Le risque est donc que les prix augmentent mécaniquement. Un paramètre qui n’effraie pas Ladislas Smia, co-responsable de la recherche ISR chez Mirova, car pour lui, « La finance verte ne doit pas être neutre mais doit influencer directement l’économie ». « Plus de projets doivent être financés et l’objectif de la finance durable doit être de participer à l’émergence d’une finance plus verte », ajoute-t-il.

Vers une bulle verte… durable !

Joël Prohin observe toutefois que « même si la demande est très importante sur les green bonds, leur rendement relatif à des obligations non vertes ne baisse pas de manière très importante » mais ajoute que « les infrastructures labellisées vertes se traitent malgré tout à un taux de rendement inférieur par rapport à une infrastructure non verte ». Ainsi, l’investisseur paye plus cher pour avoir accès à ces obligations car si le rendement d’un actif classique est de 7%, il ne sera que de 5,5% pour un green bond. « Je ne dirai pas que c’est une bulle car c’est le prix à payer pour obtenir ces infrastructures », précise encore Joël Prohin.

C’est sans compter la Taxonomie Européenne qui devrait entrer en application en 2020. Selon Léa Dunand-Chatellet, « l’éco-label auquel conduira ce référentiel va avoir un effet de bulle très fort vers les investissements verts ». Le risque que ces actifs soient surévalués prendra vraiment son ampleur en raison d’une demande démultipliée et bien plus forte que l’offre. « En matière d’investissement vert, les investisseurs cherchent surtout des pure players pas encore matures et cette stratégie conduit à refouler de manière massive, les grandes entreprises qui sont dans un tournant vert, précise Léa Dunand-Chatellet. Ainsi, un géant comme Total même avec 2% de chiffre d’affaires sur l’énergie verte possède une force de frappe bien plus puissante qu’un petit acteur. Pour Léa Dunand-Chatellet, « le risque est latent et la manière de l’éviter est d’élargir les investissements verts vers les actifs ISR et pas seulement climatiques et de ne pas exclure les grandes entreprises qui font de réels efforts dans leur reconversion ».

Un avis que ne partage pas Ladislas Smia. « Si les investisseurs orientent massivement leurs actifs dans ces projets verts, un phénomène d’emballement et d’engouement peut se créer avec un risque de survalorisation en raison d’investissements sur des projets pas encore mâtures, conclut-il. Finalement c’est ce que l’on souhaite même si ce risque nous parait assez limité : une surcote de l’énergie verte et une décote de l’énergie fossile ». Bref… Une bulle verte… durable en quelque sorte.

 

Retrouvez l'intégralité d'Investir Durable #4, le magazine de la finance durable. 

Retrouvez la version en ligne d'Investir Durable #4.