Marie Marchais, responsable de la plateforme d’engagement du Forum pour l'Investissement Responsable.
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Finance durable

Les Say on Climate "renforcent la démocratie actionnariale en permettant aux actionnaires de se prononcer sur la stratégie climatique des entreprises"

Le Forum pour l’Investissement Responsable (FIR) a dévoilé en septembre son bilan 2024 des "Say on Climate". L’occasion pour Marie Marchais, responsable de la plateforme d’engagement du FIR, de revenir sur les principales tendances de cette année ainsi que sur les enjeux et limites de cet exercice. 

Pouvez-vous rappeler ce qu'est un "Say on Climate" ? 

Un Say on Climate est une résolution soumise par la direction d'une entreprise au vote des actionnaires lors de son assemblée générale et portant sur son plan d'action climatique. Elle peut porter sur la stratégie climatique en elle-même, sa mise en œuvre, ou ces deux aspects à la fois. Ce vote n’est pour le moment que consultatif, mais il permet aux actionnaires de donner leur avis sur la stratégie climatique de l'entreprise.

Aujourd’hui, le vote sur les résolutions climatiques "Say on Climate" demeure purement consultatif. Quel est l’intérêt de cet exercice?

Les "Say on Climate" sont importants pour plusieurs raisons. D’un côté, ils renforcent la démocratie actionnariale en permettant aux actionnaires de se prononcer sur la stratégie climatique des entreprises. Cela a pour effet de responsabiliser les actionnaires qui doivent a priori examiner ces plans climat en détails avant de voter. En parallèle, cet exercice pousse les entreprises à rendre des comptes de manière assez formalisée à leurs actionnaires. C’est plus engageant qu’une présentation d’un point à l’ordre du jour de l’assemblée générale par exemple.

Comment évaluez-vous les "Say on Climate" dans le cadre de votre bilan ?

Le Forum pour l’Investissement responsable travaille depuis 2023 en collaboration avec l’ADEME, et depuis cette année avec la Fondation Ethos et la World Benchmarking Alliance. La méthodologie d’analyse repose sur deux approches. D’abord, l’évaluation de la transparence des entreprises selon 11 critères définis par le FIR : par exemple, l’entreprise divulgue-t-elle des objectifs chiffrés de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre ? Publie-t-elle des explications claires sur la manière d’atteindre ces objectifs ? Détaille-t-elle la part des investissements contribuant au respect des objectifs fixés à court et moyen termes? Le second axe d’évaluation repose sur l’outil ACT développé par l’ADEME, qui permet d’apprécier la crédibilité des plans climat des entreprises en analysant leur performance passée, présente et future. L’idée est de juger leur capacité à atteindre leurs objectifs et à s’aligner avec les objectifs de l’accord de Paris.

Le 'Say on Climate' peut être un outil puissant pour désavouer le plan climatique d’une entreprise et la pousser à revoir ses stratégies."

Concrètement, que peut mettre en place une entreprise pour être une bonne élève en matière de plan climat ?

Une entreprise exemplaire doit avoir une ambition claire de contribuer à l’objectif net zero d’ici 2050. Pour ce faire, elle doit fixer des objectifs de décarbonation à court, moyen et long termes, évaluer ses émissions actuelles et futures, et mettre en place des actions concrètes pour les réduire. Cela nécessite une transformation profonde des modèles économiques, sur toute la chaine de valeur, en particulier dans les secteurs à fortes émissions de carbone. C’est aujourd’hui la principale difficulté pour les entreprises, même si cela dépend beaucoup des secteurs.

Quel bilan tirez-vous de la saison 2024 des "Say on Climate" ?

Jusqu’à 2023, nous limitions le périmètre de notre étude à la France, mais cette année nous l’avons élargi et avons évalué 19 des 21 "Say on Climate" soumis en Europe en 2024. Les résultats montrent que ces résolutions sont en général votées avec un très fort taux d’approbation, même si l’on observe un taux d’approbation moyen qui baisse légèrement au niveau mondial (87,4 % vs 89,6 % en 2023). On peut également noter qu’en Australie, le "Say on Climate" de la compagnie pétrolière Woodside Energy Group n’a obtenu que 40 % de votes favorables, ce qui montre qu’il est possible d’avoir un rejet des actionnaires sur ces sujets.

Le "Say on Climate" peut être un outil puissant pour désavouer le plan climatique d’une entreprise et la pousser à revoir ses stratégies. Enfin, on note un taux d’abstention moyen plus élevé que pour les autres types de résolution, avec une moyenne de 3,6 % allant jusqu’à 9,7 % chez Repsol, montrant une difficulté à se prononcer sur ces résolutions complexes et un besoin de montée en compétences des investisseurs sur les sujets climat. En Europe, les taux d’approbation restent globalement stables, mais nous constatons que des entreprises appartenant au secteur de l’énergie comme Repsol, Shell, ou TotalEnergies ont vu leur taux d’approbation baisser ces dernières années, ce qui traduit une volonté des actionnaires de voir ce secteur aller plus loin dans sa transformation.

Source : ISS-FIR

 

Quelles sont les tendances notables par rapport à l’an dernier ?

En 2024, la note moyenne d’alignement des entreprises avec les recommandations du FIR est en légère baisse, à 47 % contre 50 % l’an dernier, mais il faut rappeler que les périmètres ne sont pas les mêmes. Les notes attribuées par l’ADEME ont elles aussi régressé, en raison notamment de "nouveaux entrants" ayant soumis pour la première fois cette année un "Say on Climate", à l’image de l’entreprise française Eramet ou encore de secteurs dont la transition est moins avancée (Energie ou finance).

Y a-t-il des exemples marquants cette année en termes de "bons" et de "mauvais" élèves ?

Certains acteurs se sont démarqués cette année. C’est le cas par exemple du promoteur immobilier Icade et du fournisseur d’électricité portugais EDP, qui se distinguent par leurs efforts en matière de transition tout au long de leur chaine de valeur. À l’inverse, certains acteurs ont davantage de difficultés, et c’est en partie lié au secteur d’activités: dans le secteur pétrolier et gazier, Shell et Repsol par exemple ont obtenu des notes assez faibles. Dans le secteur des transports, des entreprises comme Ferrovial ou AENA affichaient aussi, au moment de leurs assemblées générales, des retards dans leur transformation.

Source : ISS-FIR

26 "Say on Climate" ont été soumis en 2023 et 2024, contre 49 en 2022, comment l’expliquer ?

Cette baisse s’explique en partie par le fait qu’un certain nombre d’entreprises ne soumettent pas de "Say on Climate" tous les ans. On peut aussi rappeler qu’il n’existe à ce jour aucune régulation imposant cet exercice, ce qui en fait une démarche volontaire et encore marginale. Depuis plusieurs années, le FIR plaide pour une systématisation des "Say on Climate", notamment auprès d’acteurs comme l’AFEP et le MEDEF. Depuis 2022, le code AFEP-MEDEF recommande que les entreprises présentent tous les trois ans leur stratégie climatique à leur assemblée générale. En revanche, il ne recommande pas de faire voter les actionnaires sur ces stratégies.

Justement, le FIR a porté l’an dernier une tribune signée par 48 acteurs de la finance, appelant à "améliorer le dialogue actionnarial". Que proposez-vous concrètement?

Nous proposons que le vote sur les stratégies climat devienne un exercice régulier, avec une présentation annuelle sur la mise en œuvre de ces stratégies et un vote sur la stratégie elle-même tous les trois ans. Nous plaidons également pour l’élaboration d’un cadre permettant d’harmoniser le contenu des "Say on Climate" afin de permettre aux investisseurs de mieux juger de la crédibilité des engagements climatiques des entreprises et de pouvoir respecter leurs propres engagements de décarbonation.

Malgré tout, cet exercice reste utile, car il permet aux actionnaires de dialoguer avec l’entreprise sur la base d’une stratégie climat sur laquelle il a dû se prononcer et donc qu’il est censé maitriser."

Malgré des plans climatiques jugés insuffisants, les "Say on Climate" sont en général très largement approuvés par les actionnaires. Comment l’interprétez-vous?

Cela peut paraitre un peu surprenant. Certains actionnaires avancent qu’ils ne veulent pas freiner les progrès des entreprises engagées dans cette démarche. C’est la raison invoquée par un certain nombre de grands "proxy advisors", qui recommandent de soutenir ces résolutions. En outre, l’actionnariat des entreprises qui présentent leur stratégie climat au vote n’est pas nécessairement composé majoritairement d’investisseurs responsables ce qui peut expliquer un soutien à des plans climat en demi-teinte. Enfin, il n’existe pas réellement de cadre unique reconnu aujourd’hui pour évaluer les plans climat et c’est d’ailleurs pour cela que le FIR, avec ses partenaires, s’efforce d’accompagner au mieux les investisseurs dans leur compréhension de ces plans en leur donnant une synthèse tenant sur deux pages. En parallèle, on peut quand même constater que les taux d’approbation baissent pour certaines entreprises, ce qui montre que les actionnaires commencent à sanctionner les stratégies qu’ils jugent insuffisantes. Un taux d’approbation à 80 % démontre déjà une opposition significative de la part des actionnaires.

Jugez-vous cohérent pour un investisseur responsable de voter en faveur de stratégies jugées insuffisantes ?

Non ce n’est pas forcément cohérent. Mais il est également important de remettre en perspective les performances des entreprises par rapport à leur secteur, notamment pour les notes de l’ADEME. Par exemple, la note moyenne sur la base de la méthodologie ACT des entreprises du secteur financier évaluées est relativement faible, non pas à cause de plans médiocres, mais parce que le secteur a encore beaucoup de chemin à parcourir. Malgré tout, cet exercice reste utile, car il permet aux actionnaires de dialoguer avec l’entreprise sur la base d’une stratégie climat sur laquelle il a dû se prononcer et donc qu’il est censé maitriser.

Source : ISS-FIR

 

A contrario, les résolutions climatiques proposées par des actionnaires sont généralement rejetées... Comment l’expliquer ?

Il est encore peu intégré dans la culture des actionnaires de s’opposer au management. Les résolutions d’actionnaires sont effectivement rejetées pour la grande majorité mais ces dernières années, nous avons quand même vu des taux de soutien assez forts sur certaines résolutions climatiques d’actionnaires, par exemple chez Engie ou TotalEnergies (autour de 30 %).

Début 2024, un rapport de l’ONG ShareAction estimait que "les investisseurs ont simplement utilisé le vote 'Say on Climate' pour approuver les recommandations de la direction, au lieu d’utiliser l’initiative pour changer le comportement des entreprises et exiger des plans de transition et des informations ambitieux et crédibles." Partagez-vous ce point de vue?

C’est vrai qu’on peut être déçu quand on voit que cette année Blackrock a approuvé l’ensemble des "Say on Climate" présentés par les entreprises pour lesquelles il votait. Toutefois, comme on l’a dit, certains taux d’approbation baissent et on a même vu des plans rejetés, comme celui de Woodside Energy cette année (taux d’approbation juste au-dessus des 50 % l’année dernière chez Crédit Suisse). La contestation doit rester constructive, les entreprises pouvant compter sur leurs parties prenantes pour construire une stratégie climat robuste.

 

 

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