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Tribune

Le secteur financier a une empreinte écologique trop importante

Alors que la France atteint le 5 mai son "jour du dépassement", Hans Stegeman, Chef économiste à la banque Triodos, propose dans cette tribune différentes pistes pour réduire l'empreinte écologique du secteur financier. 

Le 5 mai marque le "Jour du dépassement" en France. Si tous les habitants de la planète vivaient à ce rythme, les matières premières que la Terre produit en une année seraient alors totalement consommées à cette date. Nous aurions besoin de 3,5 planètes, chaque année, pour assurer notre mode de vie.

Une situation intenable, renforcée par un secteur financier qui ne tient pas compte des limites de la Terre dans ses décisions de financement. Il est temps que cela change. L'empreinte écologique du secteur financier doit être réduite.

Chaque décision de financement ou d'investissement a un impact, négatif ou positif. Après tout, chaque projet, initiative ou entreprise a une empreinte sociale et écologique et contribue, ou non, à un monde meilleur. La décision d'une institution financière d'accorder un prêt ou de réaliser un investissement a donc, par définition, des conséquences pour les personnes et l'environnement.

En réalité, le secteur financier a une empreinte écologique importante. Prenons par exemple ses investissements dans l'industrie fossile : dans l'ensemble, les institutions financières investissent beaucoup plus d'argent dans l'énergie fossile que dans l'énergie renouvelable. De plus, les plans d'action climatique actuels de nombreuses institutions financières ne comportent que des promesses à long terme. Pour empêcher la Planète de se réchauffer de plus de 1,5 degré, des choix différents s'imposent dès maintenant, comme l'a récemment indiqué très clairement le GIEC.

Le secteur financier nuit massivement à l'écologie sur de multiples aspects. Il joue un rôle majeur dans le financement des flux mondiaux de matières premières. En outre, les activités agricoles traditionnelles, financées par les banques, sont associées à une perte de biodiversité et à des émissions excessives d'azote. À elles seules, les institutions financières fournissent des milliards d'euros à des entreprises impliquées dans des controverses environnementales.

Bien sûr, on peut affirmer que la responsabilité finale incombe aux clients du secteur financier. Les financiers ne font que financer. Et tant que les limites légales sont respectées, quelle est leur responsabilité ? C’est une vision très étroite de la responsabilité du secteur financier. Outre sa responsabilité sociale, il est également dans l'intérêt du secteur financier lui-même de ne pas laisser le déclin de la biodiversité et le réchauffement climatique hors de contrôle. Une politique des risques judicieuse exige de gérer les risques les plus essentiels.

Le secteur financier peut faire la différence et réduire son empreinte écologique dans trois domaines principaux :

1) financer la transition énergétique et fixer des objectifs de réduction d’émissions plus ambitieux 

2) stimuler l'économie circulaire et fixer des objectifs de circularité 

3) rendre le secteur agricole plus durable et fixer des objectifs en matière d'azote.

Premièrement, il y a beaucoup à gagner en finançant la transition énergétique et en réduisant les émissions de CO2 des portefeuilles existants. Il est essentiel de fixer des objectifs ambitieux de réduction des émissions. 2050 est bien trop tard.

En outre, il est possible de réduire le nombre de jours de dépassement de la Planète en étant plus vigilant au regard de l'utilisation des matières premières. Plus de 100 milliards de tonnes de matières premières sont utilisées chaque année, dont seulement 7 % sont réutilisées. Le secteur financier doit s'intéresser plus activement aux entreprises qui placent la circularité et l'utilisation des matières naturelles au cœur de leur business model. Cette décision ne doit pas être optionnelle. La mesure de l'utilisation et de la consommation des matières premières peut être améliorée et détaillée. Il est grand temps que le secteur financier adopte cette pratique.

Enfin, le financement du secteur agricole et alimentaire doit changer. Les pratiques agricoles actuelles ont un impact dévastateur sur l'environnement et ont atteint leurs limites. Nous devons trouver un équilibre entre l'utilisation des écosystèmes, nos habitudes alimentaires et l'augmentation de la demande alimentaire mondiale. Cela signifie produire des aliments sains pour tous, tout en respectant les limites de la Terre et en rémunérant équitablement les agriculteurs. Cela nécessite une agriculture respectueuse de la nature et un secteur financier facilitateur.

Pour accélérer le processus, notre économie doit devenir plus durable. C'est avant tout le secteur financier lui-même qui peut faciliter ce processus, en commençant à faire des choix réfléchis. Les gouvernements peuvent et doivent soutenir ce processus par l’évaluation, la normalisation et l'interdiction. L’évaluation ne concerne pas seulement le CO2, mais aussi les denrées alimentaires et les matières premières.

Ces dernières décennies, le secteur financier semble vivre sa propre vie et ne plus servir l'économie réelle. Nous devons inverser cette tendance. Les institutions financières peuvent contribuer à retarder le "Earth Overshoot Day" dès l'année prochaine, en se concentrant sur la réduction des émissions de CO2 et en s'efforçant activement de minimiser leur propre empreinte écologique.

Par Hans STEGEMAN, Chief economist, Triodos Bank.