Camille Bisconte de Saint Julien, Human Rights & Social analyst chez LBP AM.
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INFO PARTENAIRE

Droits Humains : des enjeux complexes mais essentiels, pour les entreprises et les investisseurs

Dans cet échange, Camille Bisconte de Saint Julien, Human Rights & Social analyst chez LBP AM, revient sur les définitions et les problématiques liées à la notion de "Droits humains", et sur la façon dont les entreprises et les investisseurs peuvent prendre en compte ces enjeux. 

Qu’entend-on par droits humains ?

Très large, la notion de droits humains englobe l’ensemble des droits inaliénables universellement reconnus à toutes personnes, quelles que soient leurs caractéristiques personnelles, de genre, de sexe, d’ethnie, d’âge, de classe sociale, ou encore d’opinion politique.

Quels textes font référence ?

Globalement, trois sources de textes permettent de définir un périmètre permettant de mieux comprendre les droits internationalement reconnus. D’une part, la Déclaration universelle des droits de l'Homme adoptée en 1948 recense un ensemble de droits allant du droit à la vie au droit à la santé, en passant par le droit à des conditions de travail justes et favorables. Sa portée est extrêmement large.

D’autre part, les Nations Unies ont adopté un corpus de textes, la Charte internationale des droits de l'Homme, comprenant la Déclaration et deux pactes : le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, davantage axé sur le droit à l'éducation, à la santé ou à un niveau de vie suffisant.

Dernier ensemble majeur, les conventions fondamentales de l'Organisation internationale du Travail traitent de tous les droits liés au travail, intégrant donc par exemple l'interdiction du travail forcé et du travail des enfants, ou encore la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs.

L’ONU joue un rôle important ?

Son rôle est essentiel. Au-delà de ce socle, l'ONU reconnaît que certaines populations sont plus vulnérables à certaines discriminations ou atteintes et que leurs droits doivent ainsi faire l’objet d’une attention particulière. C’est notamment le cas des droits des femmes, avec la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, des personnes handicapées ou encore des populations autochtones, avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. L'ONU travaille également à l’intégration de problématiques actuelles dans son corpus et peut reconnaître de nouveaux droits fondamentaux, à l’image du droit à un environnement sain.

Quelle dynamique observez-vous autour de la prise en compte de ces enjeux par les entreprises ?

Pour retracer brièvement l’évolution historique de la réflexion sur la responsabilité des entreprises en matière de droits humains, il y a eu deux moments clés. Le premier, date de 1984, lorsqu'une importante usine chimique a explosé à Bhopal, en Inde, entraînant des conséquences désastreuses pour les travailleurs et les communautés avoisinantes. À ce moment-là, on a pris conscience des difficultés pour les individus d'accéder à la justice dans de telles situations et d’engager la responsabilité des entreprises qui avaient failli à leur devoir de vigilance, en matière de santé et de sécurité.

Cet évènement a entraîné des réflexions sur ce que signifie concrètement « être responsable » pour une entreprise, qui ont débouché en 2011 sur l'adoption d'un standard international de référence en la matière : les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et les droits de l'homme.

En 2013, l'effondrement tragique du Rana Plaza au Bangladesh a de nouveau révélé un manque d’application des standards par les entreprises et mis en lumière des risques majeurs insuffisamment gérés, au sein des chaînes d'approvisionnement des grandes entreprises de l'industrie textile. Depuis, certains États ont adopté des normes contraignantes pour que les entreprises mettent en œuvre une « diligence raisonnable », sur le modèle prôné par les Nations Unies. En France, la loi sur le devoir de vigilance a été adoptée en 2017, tandis que l'Angleterre a mis en place le Modern Slavery Act en 2015. Actuellement, au niveau européen, un effort similaire est en cours avec la Corporate Sustainability Due Diligence Directive (CSDDD).

Qu’attend-on exactement des entreprises ?

En résumé, le processus de diligence raisonnable selon les Principes directeurs des Nations Unies implique six grands piliers. Avant toute chose, toute entreprise doit formaliser son engagement pour les droits humains de manière claire et transparente : mettre en œuvre une gouvernance et des mécanismes adaptés, pour s’assurer que chaque collaborateur comprenne la portée de cet engagement et soit en mesure de l’appliquer.

Le deuxième pilier consiste à identifier puis évaluer, les risques liés aux droits humains auxquels l'entreprise pourrait être confrontée. Cette étape est fondamentale : les entreprises peuvent être confrontées à un ensemble large de risques en matière de droits humains. Pour mieux les gérer, il est primordial qu’elles les comprennent et qu’elles soient en mesure de les prioriser en fonction de la sévérité de l’impact potentiel sur les personnes.

Le troisième pilier concerne les mesures de prévention, d'atténuation et de remédiation. L'objectif est de tout mettre en œuvre pour éviter que ces impacts se matérialisent. Par exemple, instaurer une plus grande traçabilité dans la chaîne d'approvisionnement. Ensuite, il est nécessaire de suivre l'évolution du risque et l’effectivité des mesures adoptées via des indicateurs adaptés et des procédures d’évaluation.

Les deux derniers piliers sont liés à la transparence ̶ donc le reporting sur l'ensemble du processus ̶ et aux parties prenantes. Les entreprises doivent s’efforcer des consulter les parties prenantes et leurs représentants tout au long du processus de diligence raisonnable, ainsi qu’offrir des moyens adaptés pour leur permettre de saisir l’entreprise ou d’émettre des alertes en cas d’impact.

En tant que société de gestion d’actifs, comment abordez-vous cette question des droits humains ?

Nous venons de finaliser notre politique sur les droits humains, qui matérialise notre volonté de mettre en œuvre une diligence raisonnable sur ce sujet. En tant qu'investisseurs, notre impact est principalement lié aux activités des entreprises dans lesquelles nous investissons.

Nous avons élaboré une cartographie des risques par secteur qui nous permet d'évaluer deux aspects : les secteurs à risque nécessitant une attention particulière, et les thématiques saillantes en matière de droits humains au sein de chaque secteur. Nous sommes aussi très attentifs aux risques liés aux pays où opèrent ces entreprises, certaines zones nécessitant une vigilance accrue.

Sur le volet « atténuation et prévention », nous disposons de plusieurs leviers. Notre modèle propriétaire d’analyse extra-financière « GREaT ̶ pour Gouvernance, Ressources, Environnement et Territoires ̶ traite particulièrement de l'enjeu des droits humains à travers les piliers « Territoires » et « Ressources ». Par exemple, le premier aborde les pratiques responsables avec les fournisseurs et dans les chaînes d’approvisionnement, tandis que le second contient des critères liés aux droits fondamentaux des employés.

Un autre pilier clef de notre démarche repose sur l’engagement actionnarial avec les entreprises, afin de les inciter à renforcer leurs pratiques en matière de droits humains ou à remédier aux potentiels impacts négatifs qu’elles auraient pu causer ou auxquels elles auraient pu contribuer. Cela passe nécessairement par un dialogue sain, qui peut avoir lieu en cas de risques graves d’impact sur les droits humains ou de controverse majeure, ou bien parce que l’entreprise appartient à un secteur identifié comme particulièrement à risque. Ou encore en cas d’écart constaté entre les pratiques et la transparence de l’entreprise, et les risques auxquels elle peut être confrontée.

L’exclusion est-elle aussi un levier ?

Absolument. Dans le cadre de notre politique d'exclusion normative, nous pouvons exclure tout émetteur pour lequel il existe un risque inacceptable qu’il cause ou contribue à des violations particulièrement graves des droits humains. Il y a deux possibilités pour identifier ce risque : quantitativement, avec des données relatives aux controverses, ou qualitativement, avec des analystes qui mènent une veille continue sur les enjeux liés aux droits humains. La décision finale doit viser, dans la mesure du possible, à réduire et atténuer les risques de violations futures des normes. Aussi, lorsque nous décidons de l'exclusion, cela signifie que nous considérons avoir épuisé toutes les options pour réduire cet impact.

Je crois qu’il faut sortir d’une forme de croyance commune : non, ces problèmes n'affectent pas uniquement d'autres régions du monde, lointaines."

Pouvez-vous nous présenter la SICAV LBPAM SRI Human Rights, construite en partenariat avec la Fédération internationale des droits humains (FIDH) ?

Il s’agit d’un fonds diversifié investi en obligations d'entreprises et d'États, ainsi qu’en actions. L’approche d’investissement a pour objectif de promouvoir le respect des normes internationalement reconnues en matière de droits humains et la mise en œuvre d’une diligence raisonnable robuste par les entreprises. Cette stratégie repose sur une analyse réalisée conjointement avec la FIDH, qui vise à sélectionner les entreprises et Etats présentant les meilleures pratiques en matière de droits humains.

Pour le périmètre des obligations souveraines, il s’agit d’identifier les Etats les plus « vertueux », c’est-à-dire respectant les droits humains sur leur territoire, les promouvant à l’international et mettant en œuvre une démarche robuste de protection de l’environnement. Pour ce faire, la FIDH effectue, tous les deux ans, un classement des 27 pays de l’UE et le Royaume-Uni, fondé sur 71 indicateurs relatifs aux droits humains et à l’environnement. Sur la base de ce classement, nos investissements se concentrent uniquement sur les 15 premiers États, répartis en trois tiers : l’allocation en obligations d'États du premier tiers est surpondérée, et sous-pondérée pour les deux autres tiers.

Pour le périmètre des actions et obligations d’entreprises, nous procédons en deux temps. Tout d’abord, nous excluons un grand nombre d’entreprises, sur la base de nos règles d’exclusion, comme notre politique d’exclusion normative, mais également de règles complémentaires déterminées avec la FIDH : par exemple, une liste de secteurs inéligibles à l’investissement a été définie avec la FIDH, car présentant des risques trop élevés pour les droits humains, ou encore l’exclusion des émetteurs faisant l’objet de controverses graves. Similairement, les entreprises dont le siège n’est pas situé dans un pays membre de l’OCDE sont exclues : cela s’explique notamment par la présence, dans les pays membres, d’un mécanisme de recours pour les parties prenantes dont les droits auraient été affectés par les activités d’une entreprise.

Ensuite, la FIDH analyse des entreprises éligibles sur la base de deux piliers principaux : la mise en œuvre d’une diligence raisonnable robuste et conforme aux attentes des Principes directeurs des Nations Unies sur les entreprises et les droits humains, ainsi que la capacité de l’entreprise à gérer les risques auxquels elle pourrait être confrontée du fait de son secteur d’activité. Une fois toutes ces étapes terminées, nous disposons d’un univers couvrant environ 120 émetteurs internationaux.

Précisons enfin que la moitié des revenus générés chaque année par la SICAV affectés à la « part R » du fonds est reversée sous forme de dons à la FIDH. Sur la « part L », LBP AM reverse à la FIDH 50% des frais de gestion financière perçus.

A quelles problématiques accordez-vous une attention particulière en ce moment ?

L'augmentation de la fréquence, du nombre et de la violence des conflits, qu'ils soient interétatiques ou intraétatiques, dans des zones à haut risque est préoccupante. Les impacts sur les droits humains et sur les entreprises sont graves et matériels. Le travail forcé et le travail des enfants sont également des enjeux saillants, qui touchent l’ensemble des secteurs et des géographies.

En ce qui concerne les efforts à déployer, l'approche adoptée au niveau européen avec la CSDDD est excellente. Il est crucial de continuer à promouvoir davantage de transparence, ainsi qu'une meilleure compréhension de l'étendue des risques en matière de droits humains et des leviers dont tout acteur dispose pour mieux les respecter et les protéger.

Qu’attendez-vous pour la suite ?

Je crois qu’il faut sortir d’une forme de croyance commune : non, ces problèmes n'affectent pas uniquement d'autres régions du monde, lointaines. Et continuer à soutenir les éventuelles améliorations qui pourraient intervenir sur ce sujet, en particulier les travaux de l'ONU qui mène depuis plusieurs années une réflexion sur un traité relatif aux entreprises et aux droits de l'homme. Ces efforts sont extrêmement précieux : ils pourraient conduire à l'établissement d'un socle ratifiable par les Etats.

En partenariat avec LBP AM.