Laurent Guimier, journaliste et manager de médias.
©Katia Raffarin
2030, Investir Demain

Climat: "L’utilité d’un média, c’est de mettre à disposition du grand public des solutions concrètes"

Dans le cadre du groupe de travail Climat du think tank 2030 – Investir Demain, co-fondé avec LBPAM, Laurent Guimier, journaliste et manager de médias, partage sa vision du rôle des médias face à l’urgence climatique. Il plaide notamment pour une information plus utile et plus concrète, en phase avec les attentes du public.

Le dernier rapport de synthèse du GIEC insiste sur la façon dont les médias peuvent façonner le discours public sur le climat et renforcer le soutien à l’action. Comment percevez-vous ce rôle ?

Le rôle des médias consiste d’abord à faciliter l’accès à des informations correctes et scientifiquement indiscutables. Il ne s’agit donc pas nécessairement de produire soi-même cette information, mais de permettre au public d’accéder à des sources fiables.

En parallèle, il s’agit aussi de montrer que des solutions au service de la transition écologique et de la lutte contre le dérèglement climatique sont à portée de main pour les citoyens. Ce levier est essentiel, car si relater l’ampleur du dérèglement climatique reste indispensable, cela ne suffit plus aujourd’hui lorsqu’on est dans un média.

Selon l’Observatoire des médias sur l’écologie, les enjeux environnementaux, dont le changement climatique, n’ont pourtant représenté que 3,7 % du temps d’antenne des médias audiovisuels en 2024. La place de ces sujets dans le paysage médiatique est-elle à la hauteur des enjeux ?

D’abord, il faut être prudent avec les chiffres. Il ne s’agit pas de les modérer, mais il est important de les challenger, comme on le ferait pour n’importe quelles données chiffrées. Le traitement des enjeux climatiques, en tant que tels, est sans doute insuffisant. En revanche, la contribution des médias à l’exposition des solutions, notamment via les réseaux sociaux, la presse régionale ou les médias locaux, me semble plus importante que ce que ces chiffres laissent entendre.

Les médias nationaux ne sont qu’une partie du problème… et de sa résolution. La marge de progression, à mon sens, repose sur la capacité à montrer des solutions concrètes portées par des citoyens, des entreprises ou des collectivités territoriales, dans leur quotidien.

Il faut aussi mettre ces chiffres en perspective avec les préoccupations réelles des Français. Même si l’intérêt pour les questions environnementales semble un peu en retrait par rapport à il y a quelques années, la lutte contre le dérèglement climatique reste parmi leurs priorités. Les médias doivent être au rendez-vous de cette attente et s’adapter.

Le traitement médiatique du climat est parfois jugé anxiogène ou moralisateur. Comment éviter ces écueils ?

Il y a encore trente ans, on parlait très peu de ces sujets dans les médias. Et quand on en parlait, c’était souvent sous l’angle du scandale, ou pour évoquer les mesures contraignantes à prendre pour lutter par exemple contre la pollution de l’eau ou de l’air. L’intérêt du grand public pour les enjeux écologiques est d’ailleurs d’abord né de catastrophes majeures : Tchernobyl, Bhopal, les marées noires… Les journalistes ont commencé à traiter ces questions par le biais des crises et des moyens de les éviter.

Aujourd’hui, le traitement de ces sujets a beaucoup progressé. Il est devenu plus mature, plus constructif. Pour éviter de tomber dans l’anxiogène ou le moralisateur, il faut être capable, quand on est journaliste, d’aller chercher des mesures constructives, souvent mises en œuvre à l’échelle locale, qui démontrent que la lutte contre le dérèglement climatique repose aussi sur les comportements des entreprises, des collectivités, mais aussi des citoyens.

C’est une forme d’utilité publique que de permettre à des personnes (...) de découvrir ces solutions, et de les reproduire ailleurs sur le territoire.

La vocation des médias, c’est de relayer ces exemples, de montrer à une échelle nationale des initiatives locales qui fonctionnent. C’est une forme d’utilité publique que de permettre à des personnes — qui, sans les médias, n’en auraient peut-être jamais entendu parler — de découvrir ces solutions, et de les reproduire ailleurs sur le territoire.

Concrètement, quels autres leviers actionner pour améliorer la couverture du climat dans les médias ? Généraliser le fact-checking ? Mieux former les directions et les rédactions ?

La formation et la sensibilisation des journalistes sont évidemment nécessaires, mais c’est une base qui n’est pas suffisante. Il faut, selon moi, une impulsion politique et marketing de la part des directions de médias, pour qu’elles se rapprochent davantage des préoccupations de leur public, qui sont parfois aussi leurs clients.

Ce public est en quête de solutions. Et de plus en plus, je pense qu’il accordera sa confiance, et une partie de son budget médias, à ceux qui lui paraîtront réellement utiles. Or l’utilité d’un média, c’est de mettre à disposition des solutions concrètes, permettant par exemple de faire des économies tout en adoptant un comportement plus vertueux en matière d’empreinte écologique individuelle. Je suis convaincu que la valeur d’un média dépendra, de plus en plus, de sa capacité à répondre à cette attente d’utilité.

Il y a aussi un enjeu de fiabilité de l’information. Un rapport récent recense 128 cas de désinformation climatique dans les médias français sur le seul premier trimestre 2025. Comment lutter contre ce phénomène sans porter atteinte au pluralisme des médias, à l’indépendance des rédactions ? Quel équilibre trouver entre liberté éditoriale et rigueur scientifique ?

Je pense qu’à la fin, c’est la rigueur scientifique et la vérité qui l’emportent. Cela peut sembler contre-intuitif à une époque où l’on parle beaucoup de “fake news” et de désinformation, mais je crois que le niveau général de connaissance et d’appréhension sur le sujet climatique progresse.

Mais cette évolution doit s’accompagner d’une éducation plus forte aux médias, au-delà du seul sujet environnemental, pour que les générations futures, notamment, soient capables de faire la distinction entre une vraie et une fausse information.

Vous avez récemment participé aux réflexions du groupe de travail “Climat” du think tank 2030 – Investir Demain, co-fondé avec LBPAM, qui prévoit de lancer une plateforme pour mieux informer le public sur les moyens de réduire son empreinte carbone grâce à son épargne. Quel regard portez-vous sur cette initiative, et quels conseils donneriez-vous pour rendre ces sujets accessibles et concrets pour les épargnants ?

En tant que créateur de médias —en radio, en presse ou en télévision — je trouve cette initiative très pertinente, car elle est au croisement de préoccupations majeures : d’un côté, la question du budget et de l’épargne et de l’autre, celle de l’empreinte écologique et de la contribution à la lutte contre les dérèglements climatiques.

Ces deux dimensions sont aujourd’hui intrinsèquement compatibles, qu’il s’agisse de solutions sobres sur le plan écologique permettant aussi de faire des économies, ou, dans le domaine de la finance durable, de placements qui, à rémunération équivalente, ont potentiellement un impact positif pour la planète.

Il suffit d’être à l’écoute du public, en l’occurrence des épargnants, pour comprendre que, à bénéfice égal, ils ont plutôt envie de privilégier des solutions vertueuses. Les écouter et leur proposer une offre pédagogique, claire et adaptée à leur réalité, me semble être un enjeu essentiel et très porteur. Il faut notamment être capable de produire du contenu sur tous les supports, et de tirer parti de l’intelligence artificielle pour améliorer la diffusion, la personnalisation et l’adaptation des contenus produits par les journalistes.

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