La transition vers une mobilité verte est bien engagée, mais son rythme reste inégal, freiné par des obstacles économiques, politiques et industriels. Dans le cadre du groupe de travail « Urbanisation : Un plan Marshall pour la ville du futur », au sein du Think Tank « 2030, Investir demain », cofondé par Edmond de Rothschild Asset Management en partenariat avec L’AGEFI et ID l’Info Durable, Alexis Bossard, gérant Actions Internationales, partage, à l’occasion de cette interview vidéo, son analyse sur les enjeux de la mobilité durable.
Une transition à deux vitesses
Certains segments de la mobilité durable ont connu des avancées spectaculaires. La mobilité douce, et en particulier le vélo, illustre parfaitement cette dynamique. En quelques années, les villes se sont dotées de pistes cyclables et les usages ont explosé, que ce soit pour les trajets professionnels, les déplacements scolaires ou les courses du quotidien. Les transports publics ne sont pas en reste : en France, un tiers des réseaux sont déjà décarbonés, grâce à l’électrification des trains et des bus.
Pourtant, tous les secteurs ne progressent pas à la même vitesse. L’automobile électrique, souvent présentée comme la pierre angulaire de la transition, peine à tenir ses promesses. Avec un taux de pénétration d’à peine 15 % en Europe, contre les 30 % initialement espérés, le secteur bute sur deux obstacles majeurs : le prix d’achat, encore 10 à 15 % plus élevé que celui d’un véhicule thermique, et l’insuffisance des infrastructures de recharge, notamment dans les zones rurales. « On a tous entendu ces anecdotes de conducteurs bloqués au milieu du Massif central à la recherche d’une borne », rappelle Alexis Bossard, illustrant les lacunes persistantes du réseau.
Les freins à une transition ambitieuse
Les défis sont multiples et interconnectés. D’abord, économiques : la hausse des taux d’intérêt a renchéri le coût des infrastructures, tandis que les ménages cherchent à préserver leur pouvoir d’achat, parfois au détriment des choix écologiques. « La défense du pouvoir d’achat a pris parfois le pas sur la transition énergétique », observe Alexis Bossart, citant l’exemple de la Suède, qui a revu à la baisse ses quotas de biocarburants.
Ces défis sont aussi géopolitiques : le conflit en Ukraine a non seulement fait flamber les prix de l’énergie, mais il a aussi relégué l’urgence climatique au second plan, face à la menace russe. « Il a fallu trouver des substituts au gaz russe ou au pétrole saoudien, ce qui a complexifié la donne », explique Alexis Bossard.
Enfin, du point de vue industriel, l’Europe doit accélérer sa montée en puissance, notamment sur les batteries et les réseaux de recharge, sous peine de voir l’échéance de 2035 pour l’arrêt des moteurs thermiques reportée. « Un ou deux ans de plus ne changeront pas la donne fondamentalement, mais il faut laisser le temps à l’industrie de s’adapter », nuance-t-il.
Une approche d’investissement holistique
Face à ces défis, Edmond de Rothschild Asset Management mise sur une stratégie globale, couvrant toute la chaîne de valeur de la mobilité durable. « Nous ne nous limitons pas aux fabricants de vélos, de voitures électriques ou de batteries, précise Alexis Bossard. Nous regardons aussi les acteurs des infrastructures, comme les installateurs de bornes de recharge, les producteurs de câbles, ou encore les spécialistes des biocarburants ». Il cite ainsi Neste, ancien raffineur finlandais reconverti en leader des carburants durables, dont les solutions alimentent déjà 2 % du kérosène utilisé en Europe, mais aussi AXA, qui s’impose comme un acteur clé de l’assurance des mobilités douces et est partenaire de plateformes comme Blablacar, ou encore Dassault Systèmes, dont les logiciels de simulation aident à concevoir les villes intelligentes de demain, en optimisant les réseaux de transport et les services publics. L’enjeu en tant qu’investisseur est de soutenir à la fois les géants en reconversion et les innovateurs, tout en identifiant les acteurs capables de tirer parti de cette transition.
Des perspectives favorables, malgré les incertitudes
Bien que certains obstacles demeurent, les perspectives restent résolument positives. « La direction est claire : l’urgence climatique est là et la transition énergétique est incontournable », affirme Alexis Bossard. Si les échéances peuvent varier — « à un ou deux ans près, ce n’est pas cela le plus important » —, la dynamique est lancée. En outre, « après le choc de l’invasion Russe en Ukraine, l’Europe doit trouver ses propres solutions pour assurer sa souveraineté énergétique. La transition verte en devient une priorité stratégique » relève-t-il. Cependant, « Les marchés sous-estiment encore la croissance potentielle des acteurs de cet univers ». L’inadéquation entre la réalité des perspectives des entreprises et leur valorisation boursière représente une bonne opportunité pour les investisseurs.