Elouan Heurard, Analyste biodiversité chez Candriam.
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2030, Investir Demain

Dette biodiversité : Candriam élabore un modèle quantitatif d’évaluation de l’impact écologique et du risque biodiversité

Alors que la pression sur les entreprises s’intensifie pour mesurer leur impact environnemental, la société de gestion Candriam s’attaque à un concept encore flou : la “dette biodiversité”. Son objectif ? Chiffrer le coût de la restauration des écosystèmes dégradés par les activités économiques, afin d’intégrer les risques liés à la destruction de la biodiversité. Rencontre avec Elouan Heurard, Analyste biodiversité.

Qu’est-ce que la dette biodiversité ? La question, à peine posée, mérite déjà un détour. "La notion de dette biodiversité est très particulière, et en fonction de certains regards, elle peut ne pas s’appeler dette", prévient Elouan Heurard, Analyste biodiversité chez Candriam.

Car il ne s’agit pas d’une dette financière au sens macroéconomique, mais d’une tentative de traduction comptable de ce qui a été prélevé — ou détruit — à la nature. Qu’on l’appelle dette ou pas, cela représente la charge qu’une entreprise devrait payer si elle voulait réparer ce qu’elle a détruit. Cette traduction en valeur économique d’impacts biodiversité ne doit pas seulement servir à d’éventuels actions de restauration, cela peut être un outil de pilotage très intéressant pour les entreprises afin de donner une valeur à d’éventuels impacts négatifs et les éviter. Et donc, côté investisseur, un puissant outil d’analyse et d’engagement.

Pour passer de l’intuition écologique à une méthode d’analyse exploitable en gestion d’actifs, Candriam a conçu un système d’évaluation reposant sur les flux réels des entreprises : quantité produite, matière première utilisée, pays d’exploitation, etc. "Pour chaque entreprise, nous analysons la production physique : les kilogrammes de papier, le nombre de paires de chaussures. Ces productions ont un impact sur la biodiversité en fonction du pays et de la méthode de production."

Tenter de quantifier des impacts et un risque de transition biodiversité

Ces données sont ensuite injectées dans des modèles qui traduisent les impacts en surfaces dégradées — en m² équivalents, en MSA/km² (Mean Species Abundance) ou en PDF·m² (Potentially Disappeared Fraction). Reste ensuite à convertir cette surface affectée en coût économique. "On va regarder aujourd’hui la politique de restauration du pays. Si l’entreprise a contribué à la dégradation de X msa/km2   dû à sa production de cuir au Brésil, et que la restauration de 10 km² au Brésil coûte Y, nous pouvons calculer le coût de la restauration associé à l’impact que l’entreprise a eu à cet endroit précis."

Mais les limites sont nombreuses : coûts très variables selon les pays, manque d’investissements publics, absence de données précises dans certains secteurs... Cela peut créer d’importants biais dans l’analyse, qu’il convient d’identifier et de tenter de retraiter lorsque cela est pertinent.

Malgré ces incertitudes, la démarche permet de poser un cadre méthodologique robuste et surtout évolutif à la quantification économique d’impacts biodiversité. "Si demain de nouvelles études sortent, donnant plus de précisions, plus d’informations sur le coût de la restauration, nous pouvons les intégrer très facilement dans notre système."

Ce système nourrit aussi les décisions d’investissement responsables. Il permet à Candriam de comparer les entreprises entre elles, et d’intégrer un risque biodiversité en tenant compte de leur exposition potentielle à des régulations futures sur la biodiversité. "Nous associons cela à un risque de transition : si la régulation venait à changer en imposant par exemple une taxe liée à la biodiversité, dans quelle mesure cela pourrait-il impacter leurs activités et leurs bénéfices futurs ?"

Cette approche ouvre également de nouveaux leviers d’engagement actionnarial. "La diminution de la consommation de cuir aura beaucoup plus d’impact que le caoutchouc durable. Nous pouvons prioriser nos efforts d’engagement, et par exemple guider les entreprises en leur disant : 'Voici les actions qui diminueront le plus les dommages sur la biodiversité.'"

L’objectif est de construire un système assez ouvert pour que si demain Adidas publie une analyse de cycle de vie de son t-shirt, on puisse l’intégrer facilement pour affiner l’empreinte biodiversité de la société."

Un modèle innovant, mais déjà au défi d’évolutions méthodologiques

La réelle avancée de ce modèle est son ancrage sur des flux physiques, qui permet de dessiner des trajectoires d’amélioration, à l’image des trajectoires carbone. "Voilà où on peut arriver en T+1 en activant ces leviers. Ce n’était pas possible avec les indicateurs globaux qui existaient jusque-là et qui reposent sur des moyennes de revenus selon les activités économiques."

Mais l’ambition reste freinée par la qualité des données disponibles. Peu d’entreprises publient leurs analyses de cycle de vie. "Pour certaines entreprises, on a très bien l’information de la quantité de coton consommée en kilogramme par pays. Pour d’autres, on n’a que des estimations un peu globales."

Candriam développe donc ses propres modèles — par exemple, pour estimer l’impact d’un T-shirt moyen — tout en gardant une architecture souple. "L’objectif est de construire un système assez ouvert pour que si demain Adidas publie une analyse de cycle de vie de son t-shirt, on puisse l’intégrer facilement pour affiner l’empreinte biodiversité de la société."

Enfin à défaut d’une méthode d’évaluation plus pertinente et communément établie, la quantification des impacts et risques liés à la biodiversité est ici basée sur les coûts de restauration, qui restent une donnée imparfaite d’un point de vue philosophique et pratique.

L’objectif principal pour les investisseurs et les entreprises est en effet d’éviter et réduire les impacts négatifs sur la biodiversité, la restauration ne servant qu’à remédier au résiduel. Les coûts de restauration sont ici utilisés comme des outils de quantification, par nature incomplets, qui devront idéalement être utilisés afin d’intégrer la réduction des impacts biodiversité en amont des décisions économiques, et non à des buts de compensation. Et cette méthode de quantification des coûts liés aux impacts biodiversité pourra le cas échéant évoluer vers d’autres approches plus complètes.

En partenariat avec Candriam