Quel développement ?
L'agrivoltaïsme, inscrit en 2023 dans la loi d'accélération des énergies renouvelables afin que la France puisse atteindre ses objectifs de décarbonation, consiste à produire de l'électricité en surplomb d'une culture agricole "significative".
Seulement 200 projets agrivoltaïques sont actifs en France, sans représenter "de très grandes surfaces", relève Christian Dupraz, chercheur à l'Inrae de Montpellier, à l'origine du concept d'"agrivoltaïsme" en 2008. Mais plus de 2 000 projets sont en instruction, ajoute-t-il.
France Agrivoltaïsme, l'association représentative du secteur, évoque "plusieurs milliers" de projets potentiels pour cette "agriculture du futur".
Selon M. Dupraz, 300 000 hectares d'agrivoltaïsme, soit 1 % de la surface agricole utile française, suffiraient à produire "autant d'électricité que nos 57 réacteurs nucléaires".
Quels bénéfices ?
L'agriculteur peut espérer un revenu additionnel, ainsi qu'une protection du bétail et des plantes contre les aléas climatiques (grêle, chaleur, gel...)
"Le kiwi jaune se plaît bien sous la serre photovoltaïque, il est bien à l'ombre", témoigne Maxime Pallin, agriculteur au Temple (Gironde). Sa serre de 4 hectares a été intégralement financée (5 à 6 millions d'euros) par un énergéticien, qui se rembourse avec l'électricité produite.
D'autres montages prévoient une rente pour l'agriculteur, entre 2 000 et 3 000 euros annuels par hectare sur plusieurs décennies, selon France Agrivoltaïsme.
Les coûts de production électrique, à 70 euros environ le MW/h, sont très compétitifs, beaucoup plus par exemple que des panneaux installés sur des toits.
Quels risques ?
"Le rendement des cultures diminue avec l'ombre des panneaux", prévient Christian Dupraz, d'en moyenne 30 % en cas de couverture à 40 % d'une parcelle, plafond prévu par la loi de 2023.
Or, ce texte impose une baisse de rendement maximale de 10 % pour éviter les cultures "alibis". La Confédération paysanne, opposée à l'agrivoltaïsme, dénonce le risque d'une production alimentaire "mise de côté" comme "sous-produit de la production énergétique".
Pour y remédier, Christian Dupraz suggère de "diminuer le taux de couverture" ou d'avoir des panneaux mobiles laissant passer la lumière aux périodes nécessaires.
L'autre risque est spéculatif : les énergéticiens multiplient les démarchages pour préempter le foncier agricole.
Christian Dupraz décrit "un Far West", un "eldorado" avec plus d'un million d'hectares précontractualisés en France, soit dix fois plus que la surface probablement équipée dans les 25 prochaines années. "C'est une bulle qui va générer des déceptions", juge-t-il.
"Il y a un fort engouement" en Gironde sur fond de crise viticole, confirme Violette Chanudet, chargée de mission agrivoltaïsme à la chambre d'agriculture, qui alerte sur des "contrats pas très sécurisants" pour les exploitants et l'importance d'une juste répartition des revenus.
Dans la Vienne, près d'une centaine de dossiers portent sur 2 000 hectares. "Vous multipliez par cent départements, vous êtes à 200 000 hectares", pointe Pascal Lecamp, député (MoDem) et rapporteur d'une proposition de loi pour un agrivoltaïsme "raisonné" face à ses "effets pervers".
Selon l'association Les Prés Survoltés, qui regroupe 300 opposants locaux, 600 hectares de terrain ont été rachetés à 7 000 euros l'hectare à Adriers, le double des prix habituels, au risque d'exclure les jeunes agriculteurs de l'accès au foncier.
Quels obstacles ?
France Agrivoltaïsme déplore la lenteur d'instruction des dossiers, entre 3 et 5 ans, et les longues listes d'attente pour un poste-source raccordant l'installation.
Le Conseil national de la protection de la nature s'inquiète, lui, "du déploiement très rapide et non coordonné" de ces projets en raison de leurs "impacts (...) sur la biodiversité".
Benoît Moquet, vice-président des Prés Survoltés, dénonce aussi "nuisances visuelles" et "puits de chaleur".
"Les panneaux oui, mais pas dans les champs. On a besoin des champs pour nous nourrir", souligne ce médecin retraité, lui-même démarché par un énergéticien lorgnant sa parcelle.
"Il faut maîtriser la taille" des projets, répond France Agrivoltaïsme, qui souligne que "ça se voit beaucoup moins que des éoliennes."
Quel avenir ?
La proposition de loi Lecamp, pour l'heure adoptée en commission, veut limiter les projets à 10 mégawatts crête.
"Le premier partage de la valeur, c'est la répartition sur le territoire", estime ce parlementaire, proposant aussi des prélèvements sur cette manne pour redistribuer à tous les agriculteurs.
France Agrivoltaïsme suggère des circuits courts locaux pour alimenter exploitations ou services publics.
Sur les 85 % du territoire agricole éloigné des postes de raccordement,"on peut faire des petites centrales" en "autoconsommation collective", confirme Christian Dupraz.
"L'agrivoltaïsme ne va pas sauver l'agriculture", conclut-il, mais ça "peut aider certaines exploitations" et "consolider énormément le mix électrique français".
Avec AFP.