Des associations militent pour introduire le concept de personnalité juridique de la nature en France.
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Environnement

La personnalité juridique de la nature sera-t-elle bientôt reconnue en France ?

Plusieurs pays ont déjà reconnu une personnalité juridique à la nature ou à certains milieux naturels de leur territoire. Venu des peuples autochtones d’Amérique latine et d’Océanie, ce concept fait son chemin en Europe. Qu’en est-il de la France ? 

Deuxième plus long fleuve de Corse, le Tavignano prend sa source dans le lac Nino, à 1 743 m d’altitude, et dévale les montagnes corses vers l’est avant de se jeter dans la mer Tyrrhénienne. Ce joyau de l’île de beauté est au cœur d’une bataille judiciaire depuis 2016, lorsque la société Oriente Environnement décide de faire construire un centre de stockage de déchets, pouvant en accueillir plusieurs dizaines de milliers de tonnes chaque année. 

Des collectifs d’habitants s’organisent pour revendiquer l’annulation du projet, craignant une pollution du fleuve, qui possède une biodiversité riche et fournit des dizaines de communes en eau potable. En juillet 2021, ils rédigent la déclaration des droits du fleuve. Même si sa portée est purement symbolique, il s’agit d’une première en France. 

Depuis les années 1970 

La reconnaissance des droits de la nature n’est pas une idée nouvelle. En 1972, le juriste américain Christopher Stone publie un article intitulé "Les arbres doivent-ils pouvoir plaider ?", en réponse à un projet porté par la Walt Disney Company. La célèbre société de divertissement ambitionne de construire une station de ski dans la vallée de Mineral King, en Californie, et d’abattre les séquoias millénaires qui s’y trouvent. 

Dans son texte, Stone explique que la reconnaissance d’une personnalité juridique de la nature mène l’humanité à remettre en question son rapport à celle-ci et à dépasser la vision anthropocentrique du monde, qui fait foi en Occident.

Il rappelle également que de nombreuses entités ont vu leur statut évoluer sur ce sujet au cours de l’Histoire. Dans de nombreux pays occidentaux, certains groupes d’individus, comme les femmes, les personnes racisées, les prisonniers ou les étrangers, n’ont pas toujours été reconnus comme des personnes juridiques. L’introduction du concept de personnalité morale a aussi été un profond bouleversement lors de sa création au XIXe siècle. 

Les peuples autochtones, pionniers de la reconnaissance 

Les pays dans lesquels vivent des populations autochtones sont aujourd’hui pionniers sur ces sujets. En 2008, l’Équateur est devenu le premier pays au monde à intégrer les droits de la Pachamama, la Terre Mère, dans sa toute nouvelle constitution. Ainsi, tout citoyen équatorien peut personnellement saisir la justice pour défendre la nature. La Bolivie fait de même en 2010 avec la loi sur les Droits de la Terre Mère. Ces deux pays sont à ce jour les seuls qui appliquent une reconnaissance juridique à la nature dans son ensemble. 

D’autres États accordent officiellement une personnalité juridique à certains milieux naturels spécifiques. En Nouvelle-Zélande, le parc national Te Urewera et le fleuve Whanganui ont obtenu ce statut, respectivement en 2014 et en 2017, participant ainsi à la reconnaissance de la culture maorie. Aux États-Unis, des ordonnances ont reconnu une personnalité juridique à des lieux, comme le lac Érié, dans l’Ohio, ou à des plantes, comme le manoomin, un riz sauvage qui pousse dans la réserve amérindienne de White Earth, dans le Minnesota. 

Jusqu’en Europe 

Face à la dégradation des écosystèmes, ce concept s’étend dans d’autres régions du monde. L'Espagne est devenue en septembre 2022 le premier pays européen à passer le pas en votant la reconnaissance des droits de la Mar Menor

Cette lagune d’eau salée située au sud-est du pays était autrefois peuplée de flamants roses, d’hippocampes, de nombreux poissons et de plantes sous-marines. Mais étouffé par la bétonisation massive et l’industrie chimique, cet écosystème s’est effondré. À partir de 2016, lorsque les algues ont commencé à proliférer dans la lagune, tuant des milliers d’animaux, les habitants se sont organisés. La mobilisation sociale a poussé à l'organisation d’une initiative législative populaire, qui a abouti à un vote au Sénat. 

En France, deux espèces d’animaux ont obtenu le statut "d’entité naturelle juridique". Dans la province des îles Loyauté, en Nouvelle-Calédonie, un amendement reconnait aux tortues et aux requins, animaux totems de la culture kanak, la capacité de défendre leurs droits et intérêts au tribunal depuis 2023. 

Mais le concept a du mal à convaincre en métropole. L’association Notre affaire à tous, qui a travaillé sur la déclaration des droits du fleuve Tavignano, en Corse, milite pour l’ajout de la catégorie d’entité naturelle juridique au droit français, en plus de la distinction classique entre objets et sujets de droit.