En novembre prochain, les Etats membres de l'Union européenne doivent décider de la réautorisation ou non du glyphosate au sein de l'UE.
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Environnement

Glyphosate : pourquoi a-t-on du mal à s’en passer ?

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Considéré comme "cancérogène probable" depuis 2015, le glyphosate suscite de vifs débats aussi bien du côté des politiques que des agriculteurs. Si certains ont décidé de s’en débarrasser, d’autres peinent à s’en défaire pointant du doigt le manque d’alternatives "techniquement possibles et économiquement viables". Décryptage. 

Herbicide le plus utilisé dans le monde, avec plus de 800 000 tonnes répandues chaque année, le glyphosate est aussi l’un des plus controversés. A l'origine des débats : son caractère potentiellement cancérogène. Mis sur le marché en 1974 sous la marque Roundup, commercialisé par Bayer (ex-Monsanto), ce désherbant a été classé, en mars 2015, comme "cancérogène probable" par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). Des résultats appuyés par un rapport publié en 2021 par l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) qui indiquait "l’existence d’un risque accru de lymphomes non hodgkiniens", un cancer du système lymphatique, avec "un niveau de présomption moyen".  

En juillet dernier, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) renverse la vapeur en affirmant que "l’évaluation de l’impact du glyphosate sur la santé humaine, la santé animale et l’environnement n’a pas identifié de domaine de préoccupation critique". Face à ces données contradictoires, difficile d’y voir clair sur la dangerosité de l’herbicide. 

A ce jour, "il n’y a pas de consensus au sein de la communauté scientifique", relève Xavier Reboud, spécialiste en agroécologie et chercheur à l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), "le principe de précaution voudrait que l’on s’en passe dès lors qu’il y a un doute. Le principe de réalité souligne que l’on a construit tout notre modèle d’agriculture intensive pour proposer des denrées alimentaires à bas coût autour de la mobilisation de la mécanisation et de la chimie." 

Le glyphosate, symbole de l’agriculture intensive 

Pour le scientifique, le glyphosate est un peu à l’agriculture ce qu’est la voiture pour notre société : "difficile de s’en passer quand toute la logique a été progressivement construite autour de sa mobilisation."  

Si les ventes de glyphosate ont baissé de 10 % entre 2020 et 2021, notamment en raison des restrictions d’usage instaurées par l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) en 2021, la France fait encore partie des plus gros consommateurs de pesticides en Europe, avec l’Italie, l’Allemagne et l’Espagne. En 2021, 7 765 tonnes de glyphosate ont été vendues dans l'Hexagone. 

Plusieurs raisons peuvent expliquer cet attrait pour l’herbicide. La première reste sa praticité. Ceux qui travaillent en grandes cultures ont majoritairement recours à ce pesticide pour éliminer les adventices, autrement dit les mauvaises herbes. En migrant dans les sèves des plantes, le glyphosate atteint les organes racinaires et permet de détruire toute végétation.

Par ailleurs, contrairement à d’autres herbicides qui sont actifs pendant plusieurs semaines ce qui empêche de semer, ce produit n’a pas d’effet rémanent. Une fois qu’il est tombé au sol, il n’est pas remobilisé par les nouveaux végétaux”, précise Xavier Reboud.

Facile d’utilisation, l’herbicide est également peu coûteux : moins de 30 euros pour un traitement à l’hectare.  

Pour un usage raisonné 

Aujourd’hui sous le feu des critiques, les agriculteurs se défendent sur cet usage. "Contrairement aux idées reçues, le recours au glyphosate n’est jamais systématique. Quand on l’utilise, c’est toujours entre deux cultures, une fois que l’on a récolté”, témoigne Bruno Cardot, agriculteur dans l’Aisne (02). 

Un constat partagé par François Arnoux, céréalier et producteur de semences en Vendée (85). "Je l’utilise entre deux cultures pour détruire les mauvaises herbes avant le semis pour éviter un ou plusieurs passages d’outils qui assèchent le terrain avec une destruction partielle des adventices", indique-t-il.  

Les deux agriculteurs attestent par ailleurs réduire autant que possible les doses administrées. En 2021, les conditions d'emploi ont été revues par l'Anses. Désormais l'herbicide est autorisé en non-labour (que ce soit avant une culture d’hiver ou une culture de printemps et quel que soit le type de sol) à la dose maximale annuelle de 1080 g/ha.  

A terme, je souhaiterais pouvoir réduire de 50 % voire 70 % les quantités de glyphosate. On a bien conscience qu’il faut aller dans ce sens car la société le demande. Mais on ne va pas l'abandonner sans autre solution”, poursuit François Arnoux. 

Des alternatives qui peinent à convaincre 

Des alternatives au glyphosate existent pourtant. "Quotidiennement les agriculteurs en bio savent faire sans le glyphosate et démontrent que c’est possible de s’en passer", note Xavier Reboud. Parmi les solutions proposées : le désherbage mécanique ou labour, qui n’est toutefois pas neutre car consommateur d’énergies fossiles.  

"La seconde alternative consiste à mettre un obstacle physique que la plantule ne sait pas traverser. Le paillage et les films biodégradables mobilisables sur de petites surfaces jouent le même rôle que ce fait 10 cm de gravier dans une allée. C’est surtout le maraichage qui est concerné", observe le chercheur de l’Inrae.

Dernière option : l’agriculture de conservation des sols qui consiste à occuper la place des adventices pour qu’elles ne puissent pas s’installer. "Les agriculteurs sèment des prairies temporaires dans les zones d’élevage. Ils enherbent l’entre-rang en vigne ou en verger. Certains ajoutent aussi des plantes compagnes que le gel hivernal détruira au moment où ils sèment leur colza", détaille le spécialiste. 

Autant d’exemples qui peinent encore à convaincre du côté des agriculteurs. "Il n'y a aujourd’hui aucune solution qui ne mette pas en péril le rendement et donc la souveraineté alimentaire. Il nous faut une alternative intéressante économiquement mais aussi techniquement”, plaide François Arnoux. Pour Bruno Carnot, la réussite du bio reste aléatoire.

Ce n’est pas que la technologie qui pose problème, c’est aussi la météo. C’est un critère que l’on ne maîtrise pas. D’où l’utilité du glyphosate. Si jamais on n’a pas réussi agronomiquement à travers les rotations, ou mécaniquement en enlevant les herbes, on a cette roue de secours”, souligne-t-il.

Selon lui, la réponse réside dans l’hybridation de l’agriculture. "Je vais par exemple prendre ce qui marche bien dans le bio en désherbage mécanique, et avoir recours à l’outil chimique du conventionnel en cas de besoin." 

Parmi les freins, la question du coût est également sur toutes les lèvres. Dans un rapport sur les impacts économiques du déploiement des alternatives au glyphosate en grandes cultures, publié le 9 juin 2020, l’Inrae estimait que cela représentait entre 10 à 80 euros/ha pour les situations en semis direct.

"Abandonner le glyphosate c’est à plus ou moins court terme revenir sur la diversification des productions végétales, repositionner l’élevage dans les territoires ou réaugmenter la part de l’agriculture dans les activités professionnelles. C’est donc rapidement une question très complexe dans un marché mondialisé", souligne Xavier Reboud.  

Si le secteur agricole doit faire sa part, le choix de sortir ou non du glyphosate reste émminemment politique, comme en témoigne l'actualité. Vendredi 13 octobre, les Etats membres de l’UE se sont penchés sur la proposition de la Commission européenne visant à reconduire l'autorisation d’utilisation du glyphosate pour dix ans. Faute d’accord entre les Vingt-Sept, un nouveau vote doit avoir lieu début novembre. Le sort de l’herbicide sera-t-il enfin scellé ? Réponse au prochain épisode. 

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