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Environnement

Écopsychologie : "Les alertes s'accélèrent mais aucun virage significatif n'est pris"

Jean Pierre Le Danff est chercheur en écopsychologie. Il nous explique en quoi consiste son métier et analyse l'état d'esprit des Français vis-à-vis de la crise écologique.

L'écopsychologie est un nouveau domaine de recherche qui a pour objectif d'essayer de comprendre les mécanismes psychologiques et les fondements neurologiques de notre difficulté à faire face à la crise écologique et à la régler. 

Quelle est la situation actuelle en France ?

Nous sommes alertés depuis environ 50 ans par la communauté scientifique. Aussi bien chez les spécialistes des changements climatiques que de la biodiversité, ou autre, sur les dangers auxquels nous serons confrontés dans les années qui viennent à cause de la pollution, des produits phytosanitaires… Les alertes s'accélèrent, les diagnostics deviennent de plus en plus graves et pour autant, nous ne voyons aucun virage significatif dans les instances politiques des différents pays. Il y a bien sûr des mesures qui sont prises, il y a eu l'accord de Paris sur le changement climatique etc. Mais il n'y a rien qui est fait à la mesure de l'enjeu. C'est cela qui inquiète les éco-psychologues et la communauté scientifique. Ils sont préoccupés, voire terrifiés de ce qu’ils découvrent, et du peu de réactions que leurs alertes suscitent à la fois chez le public et chez les décideurs, les deux étant systémiquement liés.

Comment peut-on résumer cette difficulté de passer à l'action ?

Cela est difficile puisqu'il s'agit d'une problématique complètement inédite pour l'être humain et qui est d'une énorme complexité. La complexité des phénomènes du changement climatique, des émissions de CO2, gaz à effet de serre, de la biodiversité et des écosystèmes que l'on connaît très très mal sont en confrontation avec la complexité de notre cerveau qui est encore un cerveau de "chasseur cueilleur". Cette complexité est je pense tellement inédite, que notre cerveau ne peut pas la capturer. Nous sommes dans une problématique, comme le disent les chercheurs, "abstraite" pour la plupart des gens, intangible, donc d'une complexité inouïe et d'une gravité inouïe. Les scientifiques nous disent qu'actuellement, le climat change à un rythme 100 % fois plus rapide qu'il ne l'a fait au cours des derniers millions ou milliers d'années, comme la biodiversité qui disparaît aussi rapidement.

Or, avec notre cerveau, nous ne percevons pas cela ou très peu. Pour moi, la principale raison qui fait que nous ne faisons pas face à cette problématique au niveau qu'il faudrait, c'est parce que c'est de l'ordre de l'insaisissable. Et presque de l'impensable même s'il y a beaucoup d'autres raisons. Il y a des raisons liées à la dopamine produite par notre striatum qui nous fait toujours vouloir plus de pouvoir, plus de plaisir… Au détriment de la sérotonine, neurotransmetteur du bonheur ou l'ocytocine, neurotransmetteur du lien, qui sont peu sollicités, comme la dopamine domine. À mon avis, c'est là qu'il y aurait une solution. Comme le disait Daniel Kahneman dans ses recherches en neurologie, c'est la différence qu'il y a entre le moi de la mémoire et le moi de l'expérience, ce que j'ai ici là maintenant.

Nous sommes 'contaminés' par les croyances que le progrès technologique va nous rendre heureux…

Nous vivons essentiellement dans la mémoire, et c'est cette mémoire qui nous fait désirer la nouvelle voiture qui vient de sortir en se disant : "ah oui tiens, il faut que je l'achète, je vais être heureux". Il y a une confusion entre bien-être/confort et bonheur. Conflit entre dopamine et sérotonine. Il dit que notre système cognitif a deux formes de fonctionnement, un système rapide, intuitif que nous utilisons 80 % du temps, et un système réflexif, de le sens du temps, que nous prenons pour essayer de comprendre un problème. Or, la plupart des gens n'utilisent pas le deuxième système ou très peu. Nous sommes dominés par le premier système qui est "contaminé" par les croyances que le progrès technologique va nous rendre heureux… Nous sommes un peu piégés par cela.

Aujourd'hui, les enjeux écologiques commencent à devenir concrets, nous commençons à en voir et ressentir les effets. Est-ce que cela peut être un levier de prise de conscience, voire de mobilisation et d'action ?

Globalement non, parce que la plupart des phénomènes auxquels nous sommes confrontés sont lointains, abstraits, complexes et intangibles. L'être humain avec son cerveau de "chasseur cueilleur" peut se mobiliser pour des choses proches, tangibles qui le menacent et dans lesquels il a un intérêt immédiat, mais pas lointaines. Bien évidement, les personnes extrêmement informées sur les questions environnementales peuvent le faire. Mais le grand public ne l’est pas. Nous avons tendance à donner de l’importance à ce qui est devant nous et les questions environnementales font rarement la une des journaux. En ce moment, nous n’entendons parler que de la Covid-19 qui est un phénomène important certes, mais les conséquences du changement climatique sont plus beaucoup plus graves.

Tant qu’il n’y aura pas de très grosse crise et des millions de morts, il est peu probable que l’espèce humaine change de trajectoire.

L'être humain a tendance à changer de comportement lorsqu’il est confronté à une crise. Or, il a une capacité d’amnésie incroyable et d’habituation. Ce qui fait que pour ces phénomènes, nous entendons l’information qui est abstraite, elle nous touche un peu sur le moment, mais ne suscite pas le changement ou l’action. La conclusion de beaucoup de chercheurs et de dire que "tant qu’il n’y aura pas de très grosse crise et des millions de morts, il est peu probable que l’espèce humaine change de trajectoire". Il y a aussi une question de déni sur les problématiques environnementales majeures telles que le changement climatique, la disparition de la biodiversité et la pollution. Si nous leurs faisions vraiment face, cela obligerait une partie des Français à des changements de vie assez radicaux. Comme par exemple ne plus prendre l’avion, ne pas changer son smartphone tous les ans, être contre la 5G... Or cela, les gens n’en veulent pas. Ils veulent bien faire des petits gestes qui sont plus des attitudes de bonne conscience, plutôt que des changements radicaux que la crise écologique appelle.

Que faire pour que les citoyens, décideurs, élites… aient un électrochoc ?

Je crois que cela se fera lorsqu’une masse suffisamment critique de personnes aura compris que ce n’est pas dans "avoir et faire" que nous aurons le bonheur, mais dans "l’être". Si nous arrivons à les convaincre de laisser tomber la course à la nouvelle voiture, aux téléphones, aux voyages au bout du monde et de vivre le moment présent, car ce qui nourrit l’être humain psychologiquement est le lien, la communauté, là il y aura peut-être une chance. Être bien avec ses amis, savourer le temps avec ses enfants, même si notre société ne va pas dans ce sens et que le métro-dodo-boulot ne laisse pas vraiment de place pour cela.

Une interview réalisée en partenariat avec France Inter. Pour écouter la chronique Social Lab :

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