Face à l'urgence climatique, les politiques environnementales manquent fréquemment d'ambitions aux yeux des citoyens qui n'hésitent pas à assigner l'Etat pour l'inciter à prendre des mesures plus efficaces. La France a notamment été obligée par le Conseil d'Etat à prendre des mesures plus fortes pour limiter les émissions de gaz à effet de serre. ID a rencontré Hélène Flechet, qui s'est engagée à travers le collectif des "Parents pour la planète", pour faire reconnaitre en justice l'inaction climatique de la préfecture d'Auvergne-Rhône-Alpes.
Qu’est-ce qui vous inquiète pour porter plainte contre la préfecture de la région ?
Notre collectif a déposé plainte pour inaction environnementale et excès de pouvoir sur plusieurs aspects écologiques. Nous sommes particulièrement inquiets au sujet de la sécurité alimentaire, notamment pour les ressources en eau de la Drôme. La situation va devenir extrêmement compliquée pour l'irrigation des terres agricoles. La pratique n'est plus adaptée à la situation environnementale, notamment la production de maïs qui reste encore très importante, alors qu’elle nécessite énormément d'eau.
Au niveau du réchauffement climatique, il y a également un décalage de statistiques phénologiques entre les insectes pollinisateurs et les plantes, en raison de la dégradation des conditions de vie des abeilles. En matière de biodiversité, la bétonisation des terres est également un gros problème, sans parler de la chasse d’espèces en voie de disparition dans la réserve d’oiseaux des Ramières. Tout ça fait en sorte que la sécurité alimentaire n’est plus assurée dans les trente ans à venir.
Nous sommes également inquiets pour la sécurité sanitaire de la région. La pollution atmosphérique liée à l'ozone dépasse largement les quotas fixés par l'Union Européenne dans toute la vallée du Rhône. Enfin, il y a les risques d’incendies. On est passé de 8 feux en 2016 à 49 en 2019, notamment à cause de la sécheresse.
Est-ce que vous pensez qu’une préfecture a les moyens de vous donner une réponse satisfaisante ?
La Préfecture, c’est également la DREAL ( Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement), qui a un rôle au niveau de l'application des lois. Mais la préfecture d'Auvergne-Rhône-Alpes décide de ne pas appliquer les lois, à coups de dérogations et de déclarations d’utilité publique pour des grands projets d’aménagement des terres agricoles et des zones humides qui ont un impact sur la biodiversité.
Au nom de "l’intérêt public", on diminue l’impact des lois environnementales. Nous considérons que cela n’est pas normal. Nous faisons tout ce qui est possible à notre échelle pour préserver l'environnement et l'avenir de nos enfants. Nous votons également pour des députés qui votent eux-mêmes des lois sur l’environnement, et celles-ci sont vidées de leurs sens à cause de ces dérogations qui vont généralement dans l’intérêt de lobbys privés.
Quels exemples avez-vous de principes qui ne sont pas appliqués ?
Notre requête de justice est pleine de ces exemples. Le plus frappant concerne l’eau. Le SAGE [Schéma d’Aménagement de la Gestion de l’Eau] de la Drôme recommande de baisser les prélèvements de 15% par an sur la rivière. Pourtant, ils ont augmenté de 7% en 2020. Cela s’explique par le manque de contrôle, notamment au niveau des syndicats d’irrigants et des agriculteurs.
Je ne fais pas d’agribashing, je suis moi-même agricultrice. Les agriculteurs sont pris dans un engrenage avec la PAC [Politique Agricole Commune, NDLR] et l’industrie agroalimentaire qui les obligent à respecter des quotas. Le problème, c’est qu’il n’y a que 8 personnes à la police de l’eau pour contrôler 1400 pompages agricoles.
Sur les 16 pompages agricoles, 13 n’étaient pas dans les règles."
Dernièrement, il y a eu une opération de communication de la préfecture. Elle est allée contrôler, avec couverture médiatique, la zone des Ramières le long de la rivière. Sur les 16 pompages agricoles, 13 n’étaient pas dans les règles ! Tout ça parce qu’un journal local avait interpellé la préfecture par rapport à notre action. C’est là que l'on voit qu’il y a un gros souci d’application des lois. Et ils savent très bien qu’ils n’y arrivent pas, parce qu’ils choisissent la concertation au lieu de mettre en place des mesures contraignantes.
Qui fait partie de ce groupe de parents ?
Nous sommes 43 parents, et nous représentons 35 familles. C’est un collectif assez varié. Il y a pas mal de personnes qui sont informées sur l’écologie, mais les profils socio-culturels sont très différents. Il y a des gens qui sont au RSA, des avocats…Mais nous sommes tous engagés par préoccupation pour l'avenir de nos enfants. En tout il y a 60 enfants, âgés de 2 à 18 ans, qui sont concernés par cette plainte.
Comment vous est venue cette idée ?
L’idée nous est venue il y a un an et demi, à la fin de l’été. L’état de la rivière Drôme était catastrophique en raison de deux canicules et de la sécheresse. En tant qu’agricultrice, je le voyais sur mon terrain. Le niveau de la rivière était en train de chuter. Cela fait depuis 3 ans qu’elle ne se jette plus dans le Rhône l’été.
d’ici 2050, il y aura entre 30 et 60% de débit en moins dans le Rhône"
Ce n’est pas juste la Drôme qui est concernée par ce problème : la Compagnie nationale du Rhône alerte également sur le fait que d’ici 2050, il y aura entre 30 et 60% de débit en moins dans le Rhône. Cela n’aura pas uniquement un impact sur l’agriculture, mais un impact global. Il y a deux centrales nucléaires le long de la vallée du Rhône. Comment fera-t-on pour les refroidir lorsque le débit ne sera plus suffisant ?
Quelle charge de travail vous demande cette action ?
Cela me demande beaucoup de travail pour faire la coordination entre les parents et l’avocate. Il y a également des parents qui s’investissent énormément pour répondre aux médias et faire des recherches. Pour les autres parents engagés, ce n’est pas une action chronophage. Il n’y a pas de réunions tous les soirs. Tout le monde peut en faire partie.
Avez-vous eu une réponse de la préfecture ?
Aucune. Nous avons déposé un recours gracieux en août 2020, qui est resté sans réponse. Nous avons déposé plainte en justice deux mois plus tard. Après avoir demandé à la préfecture d’agir selon les manquements que nous avons constatés, nous demandons maintenant au juge du tribunal administratif de Lyon de reconnaitre que cette non-réponse est un refus d’action.
Qu’est-ce que cette reconnaissance pourrait ouvrir ensuite ?
Nous demanderons probablement une injonction à agir. Nous n'agissons pas uniquement pour nos enfants, mais pour tous les enfants de la Drôme et d'ailleurs. Il ne s’agit pas d’un combat abstrait sur le climat, il s’agit d’un enjeu très concret sur notre vie quotidienne et notre territoire. Si la préfecture ne nous a pas encore répondu, notre action a déjà eu un effet avec le contrôle. C’était la première fois que cela se faisait dans la Drôme, et c’est directement dû à notre action. L'intérêt lorsque l'on demande des comptes à la justice, c'est qu'il y a un effet immédiat.
Une interview réalisée en partenariat avec France Inter. Écoutez la chronique Social Lab ici.
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