En s’appuyant sur la directive européenne 2001/18 qui réglemente les OGM, la Cour européenne a notamment confirmé que tous les organismes obtenus par mutagenèse sont des OGM.
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Environnement

Définition étendue des OGM par la justice européenne : "On peut parler de victoire historique"

Dans un arrêt rendu le 25 juillet dernier, la Cour de justice de l’Union européenne a estimé que les plantes issues de nouvelles techniques d'amélioration devaient être réglementées comme les OGM. Une décision dont se réjouissent plusieurs associations de défense de l'environnement et de lutte contre ces organismes génétiquement modifiés.  

La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a clarifié la situation après plusieurs années de procédure judiciaire : les organismes obtenus par mutagenèse - technique qui altère le génome d'une plante sans y insérer d'ADN étranger - sont des OGM et doivent en principe être réglementés comme tels. La Confédération paysanne, syndicat français, et huit autres organisations* sont à l'origine de la saisine de la CJUE. ID s'est entretenu avec Christian Berdot, des Amis de la Terre, l'une des associations requérantes.

Petit retour en arrière : depuis quand parle-t-on d'OGM et qu'en était-il de leur réglementation avant cet arrêt ?

Il y a eu une première génération d'OGM, dans les années 1970 : on provoquait des mutations chez les plantes soit en utilisant des produits chimiques, soit en les exposant à des radiations. C'est comme ça que des tas de variétés nouvelles ont été créées. En 1990, un premier jet de directive européenne extrêmement insatisfaisant a mené à une grande mobilisation et la Commission européenne a revu cette directive en 2001. C'est dans cette directive que l'on a obtenu la traçabilité et l'étiquetage ainsi que toute une série de règlements permettant d'encadrer les nouveaux OGM de l'époque. Car après la première génération d'organismes obtenus par mutagenèse, il y a eu la transgenèse : on prenait le gène d'un être vivant et on l'insérait dans le génome d'un autre être vivant. 

La directive de 2001 avait donc principalement pour but de réglementer ces nouveaux OGM de l'époque, obtenus par transgenèse ?

Oui. Par contre, les plantes mutées (ndlr : obtenues par mutagenèse, sans ADN étranger) développées dans les années 1970 étaient exemptées de cette règlementation. Les législateurs ont jugé que ces techniques étaient éprouvées depuis suffisamment de temps pour qu'on puisse les estimer sûres. Dès 2001, les techniques de modification du génome (ndlr : sans introduction d'un nouveau gène et ainsi sans avoir recours à la transgenèse) ont alors continué à se développer. Les industriels se sont engouffrés dans la brèche en expliquant qu'ils faisaient de la mutagenèse comme celle de grand-papa. Sauf que ces nouvelles techniques n'ont rien à voir avec la mutagenèse des années 1970. Elles ont un pouvoir d'intervention sur le génome beaucoup plus puissant que tous les instruments que l'on a eus précédemment. L'exemption de la directive ne portait pourtant que sur des techniques connues, appliquées et éprouvées avant 2001. 

Quel problème pose principalement le développement de ces techniques selon vous ?

Le gros problème, c'est que les êtres humains sont en train de transformer le vivant à très grande vitesse. Les mutations existent de façon spontanée dans la nature. Soit ces mutations naturelles vont empêcher la plante de survivre, soit elles sont un avantage et vont lui permettre de se développer. C'est comme cela qu'on a vu apparaître des espèces différentes selon les endroits. Aujourd'hui, les humains sont en train de raccourcir tout cela : on veut transformer les animaux, les insectes et les plantes et le seul facteur de décision est l'humain. On introduit dans l'environnement des tas d'êtres vivants modifiés sans se poser de questions. Et on est en train de faire des modifications génétiques alors qu'on est loin de comprendre tout ce qui se passe au niveau des gènes. En plus, lorsque vous faites des modifications à un endroit, des réajustements se font ailleurs. Quand on commence à modifier des moustiques et qu'on les relâche dans la nature, on peut s'inquiéter. 

Qu'est-ce qui a mené à cette procédure de la part de neuf organisations requérantes dont la vôtre ?

Cette procédure a été entamée il y a plusieurs années parce que l'on a bien compris que dans les champs, certaines plantes étaient des OGM qui ne disaient pas leur nom. Celles-ci étaient mutées avec de nouvelles méthodes : les semenciers disaient qu'il s'agissait de mutagenèse et qu'il n'y avait aucune raison de les étiqueter ni de leur faire subir tout le processus que doivent subir les OGM, comme les études de risques. En plus, ces plantes ont été rendues tolérantes à un herbicide. On retrouve ainsi tous les problèmes que l'on a eus aux États-Unis : des OGM comme du maïs deviennent tolérants à un herbicide que l'on peut balancer sur le champ : tout meurt sauf le maïs. Sur un million de plantes autour, une seule survit. Elle plante ses graines et l'année suivante, cent plantes survivent. Les agriculteurs sont obligés d'augmenter leurs doses d'herbicide. Quand celui-ci ne fonctionne plus, il faut utiliser d'autres herbicides et les volumes de produits chimiques utilisés sur les champs explosent. On va au devant des mêmes problèmes ici. En 2012, nous avons demandé à ce que ces plantes soient réglementées et vu que toutes les démarches effectuées auprès du gouvernement et des ministères n'aboutissaient à rien, nous avons décidé en 2015 d'aller devant le Conseil d'État. Après des auditions et l'intervention de scientifiques, le Conseil d'État a indiqué qu'il poserait quatre questions à la Cour de justice de l'Union européenne. L'arrêt du 25 juillet dernier répond à ces questions. 

Qu'a répondu en détails la justice européenne ?

La Cour de justice européenne a publié un arrêt, c'est donc un acte juridique qui fixe la loi et celle-ci s'applique à tout le monde, dont le gouvernement. Celui-ci indique que toutes les plantes dont le génome est modifié sont des OGM et que la réglementation de la directive de 2001 s'applique à toutes les techniques développées après 2001. Cela inclut toutes les techniques utilisées pour développer ces variétés de plantes rendues tolérantes aux herbicides. Il demeure une exemption pour les méthodes utilisées au siècle dernier. 

Que pensez-vous de cette décision ?

Certains ont parlé de "victoire historique" et je crois qu'on peut le dire, surtout quand vous lisez dans certains médias que des industriels sont en train de développer telle ou telle technique en laboratoire, finalement tout et n'importe quoi... Si la justice européenne en avait décidé autrement, on aurait pu se retrouver avec des tas et des tas d'êtres vivants modifiés génétiquement, sans information sur ceux-ci. C'est vraiment une décision très importante, qui trouve un écho à l'international malgré la période estivale : les citoyens peuvent demander à ce que les gens qui créent de nouvelles variétés rendent publics les procédés qu'ils utilisent. On va demander aussi pour des plantes déjà présentes dans les champs qu'elles subissent un étiquetage et une traçabilité. Il faut toutefois rester très vigilant parce qu'on parle d'enjeux qui se chiffrent en millions d'euros : les industriels ne vont pas lâcher le morceau et vont pouvoir jouer sur les mots en disant que leurs techniques sont éprouvées depuis longtemps, par exemple. Il y a encore énormément de pain sur la planche. 

*Amis de la Terre, CSCV 49, Fédération Nature et Progrès, OGM Dangers, Réseau Semences Paysannes, Vigilance OGM 33, Vigilance OGM et Pesticides 16, Vigilance OG2M

Détails de la décision :

"Les organismes obtenus par mutagenèse constituent des OGM et sont, en principe, soumis aux obligations prévues par la directive sur les OGM.

Néanmoins, les organismes obtenus par des techniques de mutagenèse qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps sont exemptés de ces obligations, étant entendu que les États membres sont libres de les soumettre, dans le respect du droit de l’Union, aux obligations prévues par la directive ou à d’autres obligations."

Source : communiqué de presse de la Cour de justice de l'Union européenne