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Environnement

Décroissance : quand le climat divise les économistes

Décroître pour enrayer le réchauffement climatique ou compter sur le progrès technologique ? Laisser libre cours au marché ou réguler davantage face aux inégalités ? Parmi les économistes et essayistes, le clivage entre marché libre et économie dirigée est en tout cas loin d'être enterré.

Dès 1972, le Rapport Meadows, rédigé par des experts américains, s'interrogeait : comment assurer une croissance continue dans un monde aux ressources restreintes ? Conforté par les critiques du consumérisme et le spectre du réchauffement climatique, le concept de décroissance gagne en popularité.

Décroissance ou croissance éthique

"Le problème, c'est que notre économie dépend du carbone, des énergies fossiles. Il y a une prise de conscience, mais le ver est dans le fruit (...) c'est une addiction", relève auprès de l'AFP Sophie Swaton, économiste et philosophe à l'université de Lausanne. Et d'énumérer des mesures pour en sortir : limitation des bonus et de la "lucrativité" des entreprises, interdiction des pesticides, instauration d'un "revenu de transition écologique" récompensant de nouvelles activités vertueuses...

La décroissance reste cependant compliquée à revendiquer : "On est dans un verrouillage sociétal, culturel, c'est difficile pour un chef d'Etat de faire un pas de côté", déplore auprès de l'AFP Agnès Sinaï, journaliste et enseignante à Sciences-Po. Mais comment créer des emplois ou financer la protection sociale sans croissance? Mme Sinaï évoque une meilleure répartition des ressources - un "rationnement énergétique" individuel par exemple - et une allocation exigeante des fonds publics et liquidités des banques centrales.

D'autres économistes, eux, préfèrent défendre une croissance plus éthique, non seulement suspendue au chiffre du Produit intérieur brut (PIB), mais attachée à des critères sociaux et environnementaux. "Vous avez besoin de croissance (...) mais nous allons dans une mauvaise direction qui gonfle inutilement la consommation de ressources, avec des problèmes massifs d'inégalités", souligne Stewart Wallis, président de la Wellbeing Economy Alliance, organisation associant ONG et universitaires.

Il prône "une économie de marché où les mesures incitatives et objectifs seraient radicalement changés (...) à l'inverse du capitalisme traditionnel". L'approche séduit déjà certains gouvernements - Nouvelle-Zélande ou Ecosse - dans l'élaboration de "budgets du bien-être". Dans leurs derniers livres, le prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz plaide pour un "capitalisme progressiste" avec un retour de l'Etat et de la régulation des marchés, tandis que le Français Thomas Piketty, connu pour son travail sur les inégalités, prône un "socialisme participatif" bouleversant le rapport à la propriété privée.

Laisser faire le marché et l'innovation

"Personne ne peut nier le fait que le progrès technique et les échanges commerciaux ont permis de sortir de l'extrême pauvreté et de produire des innovations", affirme à l'AFP l'essayiste libéral Gaspard Koenig. Selon la Banque Mondiale, 10 % de la population mondiale vit sous le seuil de pauvreté, contre 36 % trente ans plus tôt.

Avion à hydrogène, viande de synthèse, bateau nettoyeur d'océans : en projet ou déjà en développement, les innovations techniques se multiplient pour tenter de sauver la planète. De quoi réjouir les penseurs libéraux : "C'est par la technique qu'on résoudra les problèmes posés. Quand on voit les progrès dans le solaire, l'éolien (...) la mise au point de bactéries pour dévorer des sacs plastiques... Cela peut aller tout aussi vite que le progrès des technologies fondées sur le carbone au XIXe siècle", estime M. Koenig.

"Il y a 100 ans, personne n'aurait pu prévoir le nucléaire ou internet. Miser sur la technologie, c'est un pari qui implique de ne pas mettre de restriction au progrès", renchérit Laurent Pahpy, analyste pour l'Institut de recherches économiques et fiscales, centre de réflexion libéral. Pour ces "techno-optimistes", pas question de parler de décroissance et encore moins d'un contrôle renforcé de la puissance publique. "A partir du moment où l'on donne la légitimité à une autorité de dire ceci émet trop de CO2 on lui donne la légitimité de contrôler toute la société", estime Laurent Pahpy. "Rien ne prouve que l'allocation des ressources par une entité centralisée comme l'État sera plus optimale que l'économie de marché", ajoute t-il, citant l'exemple de l'Allemagne où "des choix absurdes sur la sortie du nucléaire ont conduit au retour au charbon". 

Comment inciter les actes vertueux ? Marché du carbone et surtout sanctuarisation de la propriété privée, recommandent les libéraux : "On a un problème écologique quand on peut piller quelque chose dont on est pas propriétaire", affirme M. Pahpy.

Avec AFP 

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