La ferme de Sainte Marthe en Sologne de l'association Intelligence Verte.
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Agriculture bio : "Si l’on accepte de prendre ce virage, nous allons vers des lendemains qui chantent"

La Fondation Carrefour s'engage en faveur de la transition alimentaire solidaire en soutenant des projets axés sur l'anti-gaspillage solidaire, l'agriculture durable et solidaire, et/ou l'engagement sociétal. ID vous propose un dossier spécial publié à l'occasion de ses 20 ans : zoom sur l’un des projets qu’elle soutient. Entretien avec Philippe Desbrosses, de l'association Intelligence Verte. 

Héritier de la ferme familiale de Sainte Marthe en Sologne, Philippe Desbrosses est sur tous les fronts. Il jongle entre le travail à la ferme, la recherche scientifique, la formation agricole et les combats politiques. Il a notamment cofondé le label européen AB pour l’agriculture biologique il y a 35 ans. L’objet principal de ses travaux : la sauvegarde des variétés anciennes.

Cette année, la ferme fête deux anniversaires : "Le centenaire puisque mon grand-père l’a acheté en 1920, et les cinquante ans de sa conversion à l’agriculture biologique". Entretien avec Philippe Desbrosses.

Quelles sont les activités pratiquées sur la ferme de Sainte Marthe ?

J’ai pris la suite de mon père pour en faire un centre-pilote européen. Aujourd’hui, nous travaillons avec une équipe universitaire pour la transformer en une université paysanne. L’objet principal des recherches que l’on mène ici est la sauvegarde des savoir-faire anciens dont nous allons avoir beaucoup besoin à l’avenir puisque tous nos artifices ont désormais montré leurs limites. Il va donc falloir retrouver un peu de sérieux et de vérité pour cultiver la terre, en passant notamment par l’étude de la microbiologie des sols.

Les variétés ancestrales font donc parties de ce dispositif. Il faut comprendre qu’en un siècle, on a dû perdre au moins 80 % de la biodiversité, 75 % des variétés que l’on cultivait et en cinquante ans, les deux tiers des insectes et des oiseaux. Ça commence à bien faire !

Nous nous sommes préoccupés de tout cela très tôt sur la ferme puisque mes parents avaient la fibre écologique et que je suis rentré dedans tête baissée. Aujourd’hui, j’essaye de communiquer sur les travaux que nous menons depuis 40 ans. Nous avons notamment créé différents mouvements.

Nous étions parmi les pionniers de l’agriculture biologique. Dans mes combats militants pour la développer, j’ai pensé qu’il fallait la faire rentrer par la grande porte, avec la communauté scientifique. Ce qui m’a amené à reprendre le chemin de l’université pour réaliser un doctorat de sciences de l’environnement. Cela m’a ensuite permis de créer différentes organisations pour la sauvegarde du patrimoine génétique, comme Intelligence Verte.

Qu'est-ce qu’Intelligence Verte ?

Intelligence Verte est une association - qui s’accompagne d’une fondation - pour sanctuariser ce patrimoine familial et le rendre accessible. La ferme est aujourd’hui un territoire où l’on enseigne, on pratique et on fait de la recherche pour une agriculture de qualité. Son but : former des cadres de l’agroécologie - ce qui n’existait pas il y a quelques années en France.

Je me suis rendu compte que les variétés cultivées à l’époque de nos grands-parents avaient disparues et que l’on avait désormais toute une panoplie de variétés nouvelles plus ou moins "bricolées"."

Pourquoi s’être lancé sur ce créneau de la sauvegarde de ces variétés ?

Je me suis demandé pourquoi nos prédécesseurs n’avaient pas besoin de toute cette panoplie de produits chimiques pour cultiver la terre. Et un jour s’est imposée à moi la notion de plante rustique. C’est-à-dire celle qui a développé des aptitudes pour s’adapter à un territoire particulier, dans des conditions climatiques propres à sa région.

Dès les années 70, l’idée était donc de savoir ce qui s’était passé, quelles étaient les variétés comestibles de l’époque, etc. J’ai donc commencé avec les céréales. En faisant cet inventaire, je me suis alors rendu compte que les variétés cultivées à l’époque de nos grands-parents avaient disparues et que l’on avait désormais toute une panoplie de variétés nouvelles de blé plus ou moins "bricolées". Des variétés qui ont obligé les paysans à utiliser très vite des herbicides, hormones et ainsi de suite.

Ce que je souhaitais également, c’était transmettre ces valeurs. Depuis 25 ans, nous avons une liste d’attente pour notre Ferme-école : il y a parmi les élèves des bacs +5, +8, des commandants de bord, des hôtesses de l’air, des directrices d’hôpitaux, des ingénieurs informaticiens... Nous avons une population extraordinaire, avec des emplois, des carrières, des connaissances dans différents domaines, qui est surtout convaincue que les bouleversements que nous vivons doivent nous faire changer d’orientation. Nous avons ainsi formé des milliers de stagiaires pendant ces 25 ans sur place, à la Ferme, en immersion totale via les Formations de Micro Ferme bio – Semences et autonomie.

Dans les variétés modernes, il n’y a plus d’endophyte et les écosystèmes terrestres sont en train de s’effondrer progressivement parce qu'ils ne peuvent plus se renouveler du fait de nos pratiques agricoles."

Sur quoi portent les recherches précisément ?

Nous travaillons par exemple avec une équipe montpelliéraine de l’INRAE (Institut National de Recherche Agronomique, Alimentation et Environnement) sur les endophytes. Cela rejoint l’ensemble des préoccupations que nous avons pour les semences. Brièvement, les endophytes sont les écosystèmes microbiens symbiotiques qui travaillent en symbiose avec les plantes et les sols. C’est en fait l’équivalent de notre microbiote.

Retrouvez l'ensemble de notre dossier sur la transition alimentaire solidaire par ici !

Dans les variétés modernes, il n’y a plus d’endophyte et les écosystèmes terrestres sont en train de s’effondrer progressivement parce qu'ils ne peuvent plus se renouveler du fait de nos pratiques agricoles. Pourtant, on peut très bien faire de l’agriculture sans engrais, sans pesticide puisque tous ces écosystèmes "microbiotes" étaient là auparavant pour donner des récoltes honorables. Mais à l’époque ils n’étaient pas connus et pas utilisés convenablement puisque nous n’avions pas les connaissances. C’est ainsi que l’on est tombé dans le drame, la tragédie des poisons chimiques pour faire artificiellement de l’agriculture.

Aujourd’hui heureusement, la nature se rebiffe puisque les sols s’effondrent et qu’il n’y a pas moyen de continuer ainsi. L’agronomie est donc en train de faire son grand retour à la sagesse."

C’est l’enjeu principal auquel doit faire face l’agriculture aujourd’hui ?

Si je devais expliquer la différence entre l’agronomie moderne et la véritable agronomie traditionnelle, je dirais que depuis une cinquantaine d’années, les modernes se sont efforcées d’expulser au maximum toutes les fonctions naturelles et gratuites des écosystèmes pour leur substituer les artifices polluants et coûteux de la pétrochimie et de l’industrie lourde. Ce qui a fait de nous des otages permanents de ce système.

Aujourd’hui heureusement, la nature se rebiffe puisque les sols s’effondrent et qu’il n’y a pas moyen de continuer ainsi. L’agronomie est donc en train de faire son grand retour à la sagesse.

Nous faisons face à des enjeux considérables puisque nous avons la possibilité d’avoir une agriculture qui soit encore plus productive sans polluer la terre. Et quand j’ai commencé, je n’avais pas imaginé que l’on pouvait avoir une agriculture aussi résiliente et aussi prospère puisque l’on avait fait le tour de tous les artifices, de toutes les astuces pour produire à grande échelle. Mais justement, on a oublié l’essentiel : la microbiologie des sols, la vie que nous foulons sous nos pieds, ces milliards de bactéries au centimètre cube et ces milliers d’espèces. Tout ceci a été volontairement oublié dans tous les programmes de recherches, dans tous les systèmes de production agricole au bénéfice de la pétrochimie et de l’industrie lourde. Aujourd’hui, on le voit bien : on revient au local, à des petits modèles d’élevage, d’agriculture, on cesse cette idolâtrie du gigantisme avec des fermes immenses. On a pris conscience que ça, c’est mortel pour la terre, l’économie et la santé des êtres vivants.

Ce retour à des modèles agricoles traditionnels serait bénéfique à tous les égards ?

Pour donner un exemple concret, nous avons en collections plus de 1800 variétés potagères ancestrales, dont 250 variétés de tomates de toutes les formes et couleurs. Il suffit de les goûter pour comprendre sans grands discours, leur intérêt nutritionnel. Il y a une trentaine d’années déjà, nous avions notamment fait des essais avec Carrefour : nous faisions déguster nos tomates en magasin et les gens étaient ébahis de découvrir autant de saveurs, et de parfums.

Finalement, ces tests gustatifs nous renseignent spontanément sur le fait que, dans les légumes et les fruits qui ont du goût, on est à peu près certains qu’ils contiennent aussi beaucoup de nutriments.

Quel rôle a joué Carrefour dans le développement de ces travaux ?

Pendant plus de 15 ans nous avons testé nos productions innovantes avec Carrefour. Depuis tout ce temps, nous avons fait un travail utile je pense. Et je dois quand même dire que ce Groupe a eu un rôle majeur dans le barrage fait aux OGM dont j’ai été témoin. Sans cette action décisive et lucide en 1998, la France aurait été recouverte de ces chimères insipides et dangereuses dont la justice américaine s’est saisie aujourd’hui, avec des procès retentissants pour dédommager les victimes.

En parallèle, le mécénat de la Fondation Carrefour nous permet de continuer à avancer dans les recherches, de dévoiler toutes ces découvertes récentes, de faire comprendre que l’agriculture est à un tournant. Et contrairement à ce que l’on craignait – et moi le premier -, nous allons vers des lendemains beaucoup plus fastes avec une nature réconciliée, si toutefois on accepte ce virage.

En partenariat avec la Fondation Carrefour.

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